Cour d’appel de Colmar, le 11 septembre 2025, n°23/03247

La Cour d’appel de Colmar, 11 septembre 2025, statue en matière d’accidents du travail sur la contestation d’un taux d’incapacité permanente partielle fixé à 15 %. L’organisme social avait retenu ce taux à la date de consolidation arrêtée au 30 avril 2019, à la suite d’un accident de 2011 et de deux rechutes déclarées en 2013 et 2017. Après un recours préalable infructueux, le tribunal judiciaire de Strasbourg, 21 juin 2023, a confirmé le taux et écarté la demande d’incidence professionnelle. L’appelante sollicitait la fixation du taux à 100 %, subsidiairement une mesure d’instruction. L’intimée concluait à la confirmation.

Les faits utiles tiennent à la persistance de douleurs du membre inférieur, au suivi en clinique de la douleur, et à l’apparition d’un épisode dépressif antérieur à la consolidation. La difficulté s’est cristallisée sur l’office du juge face à des avis médicaux contestés, puis sur la méthode d’évaluation au regard des critères légaux et du barème indicatif.

La procédure révèle plusieurs étapes déterminantes. Une première appréciation médicale produite en cours d’instance a été écartée par le premier juge, car non référée au barème et située à la date d’examen. Une nouvelle désignation n’a pas abouti faute de comparution. Le tribunal a néanmoins appliqué le barème par lui-même. La Cour constate l’absence d’avis médical probant, et ordonne en conséquence une expertise à fins de caractériser les lésions imputables, de les situer à la date de consolidation, d’évaluer le taux lésionnel et d’éclairer le retentissement professionnel.

La question de droit porte sur la détermination du taux d’IPP au regard de l’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, du barème indicatif annexé à l’article R.434-32, et de l’exigence d’une évaluation située à la consolidation. La Cour rappelle que « Le taux d’incapacité permanente est fixé conformément à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale en fonction de l’état des séquelles au jour de la consolidation (en ce sens Cass. 2e civ., 15 mars 2018, n° 17-15.400). » Elle souligne que le barème « ne peut avoir qu’un caractère indicatif », que les taux proposés sont « des taux moyens », et que le médecin peut s’en écarter en motivant (« il doit alors exposer clairement les raisons qui l’y ont conduit »). Sur ce fondement, la Cour « ORDONNE une expertise médicale » et borne la mission à l’état séquellaire consolidé, avec avis sur l’incidence professionnelle.

I. Le sens de la décision: réaffirmer le cadre légal et probatoire de l’évaluation de l’IPP

A. La centralité de la consolidation comme borne temporelle

La Cour situe avec netteté la référence temporelle décisive. Elle reprend que « le taux […] est fixé […] en fonction de l’état des séquelles au jour de la consolidation », solution classique, fréquemment rappelée par la deuxième chambre civile. La motivation écarte d’emblée toute appréciation glissant vers l’état postérieur ou dépendant du seul examen tardif. Elle ferme ainsi la porte à une inflation d’éléments évolutifs, parfois éloignés des séquelles imputables et juridiquement pertinentes.

Cette exigence répond à une logique de sécurité juridique. Elle stabilise l’assiette du débat en fixant le périmètre des lésions évaluables à la date déterminée. Elle impose, techniquement, d’identifier ce qui relève des rechutes intégrées à la consolidation, puis d’exclure les pathologies survenues ou majorées postérieurement. L’expertise ordonnée est calibrée pour isoler cette photographie médicale, dont la rigueur conditionnera la justesse du taux porté à l’indemnisation forfaitaire.

B. Le barème indicatif et la nécessaire médiation de l’expertise

La Cour rappelle les « principes généraux » du barème annexé à l’article R.434-32: « il ne peut avoir qu’un caractère indicatif », les taux sont « moyens », le médecin garde « l’entière liberté » de s’en écarter, en motivant. La force de ces lignes est double. D’une part, le barème oriente l’évaluation, sans se substituer à l’examen concret des séquelles. D’autre part, la motivation médicale fonde juridiquement l’adaptation, laquelle ne relève pas d’une pure arithmétique judiciaire.

L’arrêt refuse en creux que le juge du fond substitue sa propre lecture du barème à un avis technique contradictoire lorsqu’aucune pièce médicale probante n’existe. Le recours à l’expertise apparaît alors comme une garantie de pertinence, de méthode et de contradictoire. La Cour en tire la conséquence procédurale adéquate et « ORDONNE une expertise médicale », plutôt que de fixer elle-même un taux incertain, ce qui réduirait la décision à une approximation non maîtrisée.

II. La valeur et la portée: l’expertise comme garantie de méthode, d’équité et de prévisibilité

A. L’office du juge social face à l’insuffisance technique du dossier

Le contentieux de l’IPP ne se confond pas avec une simple lecture du barème. Il suppose une traduction médicale précise des lésions imputables et un arrimage aux critères de l’article L. 434-2, incluant l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales, les aptitudes et la qualification professionnelle. La Cour le rappelle en mobilisant le texte même du visa légal: « L’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale dispose que le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité […] compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité. » Le juge fixe le taux, mais sur la base d’une assise médicale cohérente et contradictoire.

La solution retenue présente une valeur méthodologique forte. Elle purge les irrégularités nées d’évaluations inadaptées, puis installe un cadre d’instruction fidèle au droit positif. Le dispositif précise une mission serrée, incluant la distinction entre lésions imputables et non imputables, et bornant l’évaluation au périmètre consolidé. Cette prudence contentieuse renforce l’acceptabilité de la future décision au fond et limite les risques de cassation.

B. L’articulation entre taux lésionnel et incidence professionnelle

L’arrêt éclaire la portée de l’article L. 434-2 en adjoignant à la mission un avis sur le retentissement professionnel à la date de consolidation, apprécié au regard de l’emploi antérieur et d’éventuelles reconversions. Une telle articulation répond aux incertitudes nées d’évaluations confondant séquelles lésionnelles et répercussions socio-professionnelles. L’expertise devra dissocier, puis apprécier leur influence selon les règles propres au contentieux de l’IPP.

La Cour balise ainsi le débat probatoire. Elle ne préjuge ni d’une majoration systématique, ni d’une exclusion de principe. Elle commande une analyse contextualisée, fidèle à la temporalité de la consolidation, et fondée sur des justifications médicales motivées, conformément au caractère indicatif du barème. Ce calibrage permettra d’éviter la double erreur symétrique: l’oubli de séquelles imputables à traduction professionnelle réelle, ou l’intégration indue de facteurs étrangers au risque.

La décision possède, enfin, une portée pratique notable. Elle rappelle que l’expertise n’est pas une facilité procédurale, mais une condition de rationalité dans les dossiers à forte charge technique. Elle invite les parties à structurer leurs pièces autour de la consolidation et à documenter l’imputabilité comme le retentissement, afin de rendre opératoire la grille légale. En ordonnant l’expertise, la Cour privilégie une solution instruite et conforme, plutôt qu’un taux fixé dans l’abstrait du barème. « La caisse a alors fixé l’IPP au taux de 15 % qui est contesté dans la présente instance »; c’est bien à l’épreuve d’une méthodologie rigoureuse que cette contestation recevra une réponse juridiquement stable.

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