Cour d’appel de Colmar, le 11 septembre 2025, n°23/03730

La jurisprudence relative aux exigences formelles de l’acte d’appel et des conclusions en matière de procédure civile constitue un contentieux nourri. La Cour d’appel de Colmar, dans un arrêt du 11 septembre 2025, apporte une illustration des conséquences procédurales attachées à l’absence de demande d’infirmation dans les conclusions d’appel.

En l’espèce, une société de droit suisse s’était vu notifier une contrainte par un organisme de recouvrement des cotisations sociales. Elle forma opposition à cette contrainte. Par jugement du 17 août 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg déclara cette opposition irrecevable comme tardive et rappela que la contrainte retrouvait sa pleine force exécutoire.

La société interjeta appel de cette décision. Dans ses conclusions récapitulatives, elle sollicita notamment que la contrainte soit déclarée nulle et que la procédure de recouvrement soit annulée. L’organisme intimé, comparant par un agent muni d’un pouvoir et non assisté par un avocat, demanda la confirmation du jugement.

La question posée à la cour consistait à déterminer si, en l’absence de demande expresse d’infirmation du jugement dans le dispositif des conclusions de l’appelant, la juridiction d’appel pouvait néanmoins statuer sur les prétentions formulées au fond.

La cour confirme le jugement entrepris. Elle relève que le dispositif des écritures de l’appelante ne contient aucune demande d’infirmation. Elle précise que « ni les motifs ni aucun autre passage de ses écritures, ne contiennent de demande d’infirmation ». Elle en déduit qu’elle ne peut que confirmer le jugement et débouter l’appelante de ses demandes.

I. L’exigence d’une demande d’infirmation dans les conclusions d’appel

A. Le principe issu de la jurisprudence de la Cour de cassation

La cour rappelle expressément le principe dégagé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020. Selon cette jurisprudence, « lorsque l’appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement ». Ce principe procède d’une lecture combinée des articles 542 et 954 du code de procédure civile.

L’article 542 définit l’appel comme la voie de recours tendant à faire réformer ou annuler par la cour d’appel un jugement rendu par une juridiction du premier degré. L’article 954, dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017, impose que les conclusions d’appel comportent un dispositif récapitulant les prétentions des parties. La combinaison de ces textes implique que l’appelant qui entend obtenir la réformation du jugement doit formuler cette demande de manière explicite dans son dispositif.

B. L’absence de demande d’infirmation en l’espèce

La cour constate en l’espèce que le dispositif des conclusions de la société appelante ne comporte aucune demande d’infirmation ni d’annulation du jugement. L’appelante sollicitait uniquement que son recours soit déclaré bien fondé, que la contrainte soit annulée et que l’organisme soit condamné aux frais. Ces demandes, si elles supposaient logiquement une remise en cause du jugement, n’étaient pas accompagnées de la demande procédurale requise.

La cour pousse l’analyse au-delà du seul dispositif. Elle relève que « ni les motifs ni aucun autre passage de ses écritures » ne contiennent cette demande. Cette précision n’est pas anodine. Elle révèle que les juges ont vérifié l’ensemble des conclusions pour y rechercher une éventuelle demande d’infirmation, fût-elle mal placée. Cette démarche pourrait sembler aller au-delà des exigences du texte. Elle témoigne néanmoins d’un souci de ne pas appliquer la sanction de manière purement formaliste.

II. Les tempéraments au principe et leurs limites

A. L’inapplicabilité de l’exception relative à la procédure sans représentation obligatoire

La cour examine si les règles applicables à la procédure sans représentation obligatoire pourraient modifier cette analyse. L’article 446-2 du code de procédure civile prévoit en effet un régime particulier pour ces procédures. La règle selon laquelle le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ne s’applique que lorsque deux conditions cumulatives sont réunies. Les parties comparantes doivent formuler leurs prétentions par écrit et être assistées ou représentées par un avocat.

En l’espèce, l’organisme intimé avait conclu par écrit mais n’était pas représenté par un avocat. La seconde condition faisait donc défaut. La cour relève cette circonstance mais elle n’en tire pas de conséquence favorable à l’appelant. Le raisonnement s’explique aisément. L’exception de l’article 446-2 bénéficie aux parties qui ne sont pas assistées d’un avocat. Elle ne saurait permettre à une partie représentée de s’affranchir des exigences qui lui incombent.

B. L’impossibilité de suppléer à la carence de l’appelant

La solution retenue présente une certaine rigueur. L’appelante avait clairement manifesté sa volonté de contester le jugement en formulant des demandes incompatibles avec son maintien. Elle sollicitait la nullité de la contrainte alors que le tribunal avait déclaré son opposition irrecevable. Cette contradiction logique aurait pu conduire à considérer que la demande d’infirmation était implicite.

La cour refuse de s’engager dans cette voie. Elle applique la jurisprudence de la Cour de cassation sans y apporter de tempérament. Cette position se justifie par la nécessité de garantir la sécurité juridique et la loyauté des débats. L’intimé doit pouvoir connaître avec précision les demandes auxquelles il doit répondre. L’exigence d’une demande expresse d’infirmation participe de cette prévisibilité.

La décision appelle cependant une réflexion sur la proportionnalité de la sanction. L’appelante se trouve déboutée de son recours pour un défaut purement formel. La question de fond, relative à la recevabilité de l’opposition à contrainte, n’est pas examinée. Cette conséquence peut paraître sévère. Elle s’inscrit toutefois dans un mouvement jurisprudentiel qui responsabilise les parties représentées quant à la rédaction de leurs actes de procédure.

L’arrêt confirme la portée générale de la jurisprudence de 2020. Il illustre la vigilance que doivent observer les praticiens dans la rédaction du dispositif de leurs conclusions d’appel. L’omission de la demande d’infirmation, même lorsque la volonté de contester le jugement ressort à l’évidence des autres demandes formulées, emporte confirmation du jugement. Cette exigence formelle constitue désormais un élément essentiel de la technique procédurale en appel.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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