Cour d’appel de Colmar, le 11 septembre 2025, n°23/04363

La sécurité sociale organise la reconnaissance des maladies professionnelles selon un système dit des tableaux, lequel dispense le salarié de démontrer un lien de causalité lorsque certaines conditions sont réunies. Toutefois, la rigidité de ce mécanisme peut conduire à des situations où une pathologie objectivement liée au travail échappe à la prise en charge faute de satisfaire à l’ensemble des critères réglementaires. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Colmar le 11 septembre 2025 illustre cette tension entre automaticité de la présomption et nécessité d’une évaluation médicale approfondie.

Un salarié déclare le 16 juin 2021 une maladie consistant en des lombalgies chroniques avec lombosciatiques. La caisse primaire d’assurance maladie refuse la prise en charge au titre du tableau n° 98 des maladies professionnelles au motif que le délai de prise en charge était dépassé. Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Grand Est confirme ce refus. Le salarié saisit la commission médicale de recours amiable, sans succès, puis le tribunal judiciaire de Strasbourg. Par jugement du 2 novembre 2023, le tribunal confirme la décision de refus. Il relève que l’article R. 142-17-2 du code de la sécurité sociale impose certes de saisir un second comité régional lorsque le litige porte sur l’origine professionnelle d’une maladie, mais considère ne pouvoir y procéder sans excéder les demandes du requérant, lequel n’avait pas expressément sollicité cette mesure. Le salarié interjette appel et demande à titre principal la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, subsidiairement la transmission du dossier à un autre comité régional. La caisse s’en remet à la sagesse de la cour quant à cette saisine.

La question posée à la cour d’appel était de déterminer si la saisine d’un second comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles constitue une mesure d’instruction que le juge peut ordonner d’office ou si elle dépend d’une demande expresse des parties.

La cour d’appel de Colmar, avant dire droit, désigne le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles d’Île-de-France pour rendre un avis sur le caractère professionnel de la maladie déclarée. Elle ordonne à la caisse de transmettre le dossier conformément aux dispositions réglementaires et prononce le retrait du rôle dans l’attente de cet avis.

Cette décision présente un double intérêt. Elle clarifie d’abord la nature de l’obligation de saisine du second comité régional (I). Elle met ensuite en lumière les conditions de mise en oeuvre de cette procédure consultative obligatoire (II).

I. La nature impérative de la saisine du second comité régional

La cour d’appel rappelle le caractère obligatoire de cette consultation tout en en précisant la portée contentieuse.

A. Une obligation légale indépendante des demandes des parties

L’article R. 142-17-2 du code de la sécurité sociale dispose que « lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie dans les conditions prévues aux sixième et septième alinéas de l’article L. 461-1, le tribunal recueille préalablement l’avis d’un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse ». La cour d’appel donne à ce texte une interprétation littérale en relevant que « tel étant le cas en l’espèce », la saisine s’impose. Le verbe « recueille » ne laisse au juge aucune marge d’appréciation. Il ne s’agit pas d’une faculté mais d’une prescription impérative qui conditionne la régularité de la décision au fond.

Le tribunal judiciaire de Strasbourg avait cru devoir refuser d’ordonner cette mesure au motif qu’il ne pouvait « excéder les demandes du requérant, qui ne la sollicitait pas ». Cette analyse procède d’une confusion entre le principe dispositif, qui gouverne l’objet du litige, et les pouvoirs d’instruction du juge. Le premier interdit au juge de statuer ultra petita en accordant plus que ce qui est demandé. Le second lui permet, voire lui impose, d’ordonner les mesures nécessaires à la manifestation de la vérité. La saisine du comité régional relève de cette seconde catégorie.

B. Le dépassement d’une lecture restrictive des pouvoirs du juge

En ordonnant la saisine du comité d’Île-de-France alors même que le premier juge s’y était refusé, la cour d’appel corrige une interprétation excessivement formaliste du code de la sécurité sociale. Le contentieux technique de la sécurité sociale obéit à des règles dérogatoires au droit commun de la procédure civile. Ces règles visent à garantir que les décisions rendues reposent sur une expertise médicale plurielle lorsque l’enjeu porte sur l’origine professionnelle d’une pathologie.

La doctrine a depuis longtemps souligné que la consultation d’un second comité constitue une garantie fondamentale pour l’assuré. Elle permet de confronter deux avis médicaux indépendants et d’éviter qu’un premier avis défavorable ne préjuge définitivement du sort de la demande. Le juge qui s’abstient d’ordonner cette consultation prive l’assuré d’une garantie légale et méconnaît l’économie générale du dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles hors tableau.

II. Les modalités de mise en oeuvre de la procédure consultative

La cour d’appel organise précisément les suites de sa décision avant dire droit en définissant les obligations respectives des parties et du comité désigné.

A. L’organisation matérielle de la consultation

La cour désigne le comité régional d’Île-de-France comme l’un des « comités d’une des régions les plus proches » au sens de l’article R. 142-17-2. Elle prescrit à la caisse de transmettre le dossier « conformément aux dispositions de l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale ». Ce texte énumère les pièces qui composent le dossier soumis au comité, notamment le certificat médical initial, les éléments relatifs à l’exposition professionnelle et les avis médicaux antérieurs.

Le rappel des obligations de transmission pesant sur la caisse n’est pas anodin. La pratique révèle que certains retards dans l’instruction des dossiers résultent de la transmission incomplète ou tardive des éléments. En enjoignant expressément à la caisse de respecter les dispositions réglementaires, la cour entend prévenir tout dysfonctionnement susceptible de retarder encore une procédure qui dure depuis plusieurs années.

B. La gestion du temps procédural

La cour rappelle au comité désigné qu’il dispose d’un « délai de quatre mois pour adresser son avis motivé » conformément à l’article D. 461-35 du code de la sécurité sociale. Elle ordonne le retrait du rôle et précise que « l’affaire sera reprise par la partie la plus diligente dès réception de l’avis du comité ».

Cette organisation procédurale témoigne d’un souci d’efficacité. Le retrait du rôle évite d’encombrer les audiences tant que la mesure d’instruction n’a pas abouti. La charge de la reprise d’instance incombe à « la partie la plus diligente », formule qui vise généralement le demandeur mais n’exclut pas que la caisse prenne l’initiative si l’avis lui parvient en premier. L’exigence de joindre l’avis à l’acte de reprise d’instance permet à la cour de disposer immédiatement des éléments nécessaires pour statuer au fond.

La portée de cet arrêt réside moins dans l’innovation juridique que dans la réaffirmation d’un principe parfois méconnu. Le second avis du comité régional n’est pas une formalité facultative laissée à la discrétion des parties. Il constitue un élément substantiel de la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles hors tableau, que le juge doit ordonner d’office dès lors que le litige porte sur cette question.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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