Cour d’appel de Colmar, le 19 juin 2025, n°24/01797

Par arrêt du 19 juin 2025, la Cour d’appel de Colmar se prononce sur la recevabilité d’une action en garantie des vices cachés portant sur des dalles de terrasse présentant des défauts d’éclats.

Un particulier avait acquis auprès d’une société spécialisée un ensemble de 574 dalles pour sa terrasse, selon trois factures des 31 mai 2017, 15 mai 2018 et 31 janvier 2019, pour un montant total de 20 005,17 euros. Des désordres affectant certaines dalles sont apparus, conduisant le vendeur à fournir gratuitement dix dalles de remplacement le 30 avril 2021. L’acquéreur avait dénoncé les désordres par courrier du 11 février 2020, puis a sollicité une expertise judiciaire par assignation du 11 mai 2022.

Le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Strasbourg, par ordonnance du 18 avril 2024, a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes fondées sur la garantie des vices cachés concernant les dalles initiales, tout en déclarant recevables celles relatives aux dalles de remplacement. L’acquéreur a interjeté appel, soutenant que le délai de prescription ne pouvait courir qu’à compter du dépôt du rapport d’expertise et que la fourniture gratuite de dalles valait reconnaissance de responsabilité interruptive de prescription. Le vendeur a formé appel incident, contestant la recevabilité de l’action concernant les dalles offertes.

La question posée à la Cour d’appel de Colmar était de déterminer si le point de départ du délai biennal de l’article 1648 du code civil devait être fixé à la date de la découverte matérielle des désordres ou à celle du dépôt du rapport d’expertise en ayant précisé la cause.

La cour confirme l’ordonnance entreprise. Elle retient que « le rapport d’expertise judiciaire n’a fait que confirmer l’existence de vices affectant les dalles litigieuses sans en déterminer précisément la cause » et qu’« il n’est justifié d’aucune cause d’interruption du délai de prescription, le remplacement des dalles par la société ne valant pas reconnaissance non équivoque de responsabilité ».

La détermination du point de départ du délai de prescription constitue l’enjeu central de cette décision, dont il convient d’examiner le régime juridique (I), avant d’analyser le refus de reconnaître une cause d’interruption de la prescription (II).

I. Le point de départ du délai biennal de l’action en garantie des vices cachés

La cour adopte une conception stricte de la découverte du vice (A), écartant ainsi le report du point de départ à la date du rapport d’expertise (B).

A. La conception stricte de la découverte du vice

L’article 1648 du code civil impose à l’acquéreur d’agir « dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ». La jurisprudence traditionnelle retient que cette découverte suppose la connaissance du vice dans toute son ampleur et ses conséquences. La Cour de cassation a ainsi pu différer le point de départ du délai au jour où l’acquéreur a eu connaissance de la cause du vice.

En l’espèce, la cour adopte les motifs du juge de la mise en état selon lesquels « la matérialité des défauts d’éclats sur les dalles fournies initialement était connue dès le 11 février 2020 ». Elle distingue ainsi la connaissance de l’existence des désordres, suffisante pour faire courir le délai, de la connaissance technique de leur origine.

Cette solution s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui refuse de subordonner systématiquement le point de départ de la prescription à l’obtention d’une expertise. Elle préserve l’objectif du législateur d’enfermer l’action dans un délai relativement bref, évitant que l’acquéreur ne maîtrise discrétionnairement le cours de la prescription.

B. Le rejet du report au dépôt du rapport d’expertise

L’appelant soutenait que le délai ne pouvait courir qu’à compter du rapport d’expertise ayant « révélé la cause du désordre et déterminé les effets du vice caché ». La cour écarte cet argument en relevant que « le rapport d’expertise judiciaire n’a fait que confirmer l’existence de vices affectant les dalles litigieuses sans en déterminer précisément la cause ».

Cette motivation présente une certaine ambiguïté. La cour semble reconnaître que l’expertise n’a pas permis d’identifier précisément l’origine du vice. Pourtant, elle maintient que la découverte était acquise dès la dénonciation initiale des désordres. Elle privilégie ainsi la connaissance des manifestations du vice sur celle de son origine technique.

Cette approche pragmatique évite les difficultés probatoires liées à l’identification d’une cause précise, souvent incertaine pour des défauts de fabrication. Elle impose toutefois à l’acquéreur d’agir dès l’apparition des premiers désordres, sans attendre leur explication scientifique, ce qui peut s’avérer rigoureux lorsque la nature exacte du problème demeure obscure.

II. L’absence de cause d’interruption de la prescription

La cour rejette tant l’effet interruptif de la fourniture gratuite de dalles (A) que celui de l’assignation en référé (B).

A. Le refus de qualifier la fourniture gratuite de reconnaissance de responsabilité

L’article 2240 du code civil dispose que « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ». L’acquéreur prétendait que la fourniture gratuite de dix dalles de remplacement constituait une telle reconnaissance.

La cour retient que « le remplacement des dalles par la société ne valant pas reconnaissance non équivoque de responsabilité ». Cette exigence d’une reconnaissance « non équivoque » est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Un simple geste commercial, accompli dans le cadre des relations d’affaires, ne saurait être interprété comme l’aveu d’un vice de la chose vendue.

Cette solution préserve les pratiques commerciales de bonne volonté. Elle évite que tout geste de conciliation ne se retourne contre le vendeur en lui étant opposé comme reconnaissance de responsabilité. L’acquéreur devra démontrer une déclaration expresse ou un comportement dépourvu d’équivoque pour bénéficier de l’effet interruptif.

B. L’insuffisance de l’assignation en référé tardive

L’assignation en référé-expertise du 11 mai 2022 interrompt certes la prescription en application de l’article 2241 du code civil. Toutefois, elle est intervenue plus de deux ans après la découverte des vices, fixée au 11 février 2020. L’effet interruptif ne peut profiter à une action déjà prescrite.

La cour valide ainsi le raisonnement du juge de la mise en état qui avait relevé que « l’assignation en référé expertise avait été délivrée le 11 mai 2022, soit plus de deux ans après la découverte des vices dénoncés sur les dalles initiales ». Le dépassement du délai, même de quelques mois, emporte irrecevabilité définitive.

Cette rigueur rappelle aux praticiens la nécessité d’une vigilance accrue sur le respect des délais de prescription brefs. L’introduction d’une mesure d’instruction ne dispense pas de surveiller l’écoulement du délai pour agir au fond. La solution aurait pu différer si l’acquéreur avait assigné en référé avant l’expiration du délai biennal, l’effet interruptif se prolongeant alors jusqu’à l’extinction de l’instance.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture