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Je dispose de suffisamment d’éléments dans la décision soumise pour rédiger le commentaire d’arrêt. Voici le commentaire :
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La responsabilité civile des mandataires de justice constitue un contentieux délicat, à la frontière du droit des procédures collectives et du droit commun de la responsabilité. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Colmar le 20 juin 2025 illustre les difficultés rencontrées par les justiciables qui entendent rechercher la faute d’un professionnel ayant successivement exercé les fonctions de conciliateur puis de liquidateur judiciaire.
En l’espèce, une société ayant pour activité le conseil en systèmes et logiciels informatiques a connu des difficultés financières. Par ordonnance du 12 septembre 2012, un mandataire ad hoc a été désigné, puis un conciliateur par ordonnance du 24 décembre 2012. Un accord de conciliation a été signé le 18 mars 2013 et a reçu force exécutoire le 6 mai 2013. La société a ensuite fait l’objet d’une procédure de sauvegarde le 4 novembre 2013, convertie en redressement judiciaire le 17 février 2014, puis en liquidation judiciaire le 24 mars 2014, le même professionnel ayant été désigné liquidateur.
Le dirigeant de la société et deux autres sociétés civiles du groupe ont engagé une action en responsabilité contre ce mandataire. Ils lui reprochaient d’avoir, en qualité de conciliateur, tardé à déposer l’accord de conciliation pour homologation alors que celui-ci stipulait qu’« à défaut de constat par le président du tribunal de grande instance au plus tard le 30 mars 2013, le présent protocole sera caduc de plein droit ». Ils lui reprochaient également, en qualité de liquidateur, de ne pas avoir payé les loyers dus au titre d’un contrat de sous-location.
Par jugement du 6 mars 2023, le tribunal judiciaire de Strasbourg a débouté les demandeurs de leurs prétentions. Il a relevé que des décisions antérieures avaient jugé irrecevable une requête en rétractation de l’ordonnance du 6 mai 2013 et que la validité de l’accord de conciliation ne pouvait être remise en cause. S’agissant des loyers impayés, le tribunal a constaté l’absence de fonds suffisants pour les régler.
Les demandeurs ont interjeté appel le 22 mars 2023. Ils sollicitaient l’infirmation du jugement, la condamnation du mandataire à garantir les condamnations passées et futures résultant de l’accord de conciliation, ainsi que le paiement de diverses sommes au titre des loyers impayés, de la perte subie lors de la vente des locaux et d’un préjudice moral.
La question posée à la cour d’appel de Colmar était double : le conciliateur a-t-il commis une faute en ne respectant pas le délai contractuel de dépôt de l’accord de conciliation ? Le liquidateur a-t-il engagé sa responsabilité en ne payant pas les loyers postérieurs au jugement d’ouverture ?
La cour devait ainsi déterminer si la responsabilité d’un mandataire de justice peut être recherchée lorsque les griefs formulés tendent à remettre en cause des décisions de justice définitives, et si l’insuffisance de fonds disponibles exonère le liquidateur de toute faute dans le non-paiement des créances postérieures.
L’examen de cette décision conduit à analyser successivement le rejet de la faute du conciliateur fondé sur l’autorité des décisions antérieures (I), puis l’absence de faute du liquidateur confronté à l’insuffisance d’actif (II).
I. L’impossibilité de caractériser la faute du conciliateur au regard de l’autorité des décisions judiciaires
Le premier grief adressé au mandataire concernait sa mission de conciliateur. Les appelants soutenaient que le non-respect du délai conventionnel constituait une faute engageant sa responsabilité.
A. La clause de caducité confrontée à l’ordonnance de constat
L’accord de conciliation du 18 mars 2013 comportait une stipulation précise : « à défaut de constat par le président du tribunal de grande instance au plus tard le 30 mars 2013, le présent protocole sera caduc de plein droit ». Cette clause traduisait la volonté des parties de subordonner l’efficacité de leur accord à une formalité judiciaire accomplie dans un délai déterminé.
Le conciliateur n’a obtenu le constat de l’accord que le 6 mai 2013, soit postérieurement à l’échéance contractuelle. Les appelants voyaient dans ce retard la source de leur préjudice, considérant que l’accord aurait dû être déclaré caduc et qu’ils n’auraient pas dû être tenus par ses stipulations.
Toutefois, cette argumentation se heurtait à l’existence même de l’ordonnance du 6 mai 2013 ayant conféré force exécutoire à l’accord. Le tribunal a relevé qu’« un jugement du 25 juillet 2016, confirmé par arrêt du 17 mai 2017, avait déclaré irrecevable la requête de la société RBS Management qui demandait la rétractation de l’ordonnance du 6 mai 2013 ». La tentative de remise en cause directe de cette ordonnance avait donc échoué.
Le premier juge a également constaté qu’« un jugement du 31 janvier 2020 avait dit et jugé que la validité de l’accord de conciliation ne pouvait être remise en cause au motif du non-respect des modalités d’obtention de l’ordonnance de constat du 6 mai 2013, laquelle avait purgé cette difficulté ». L’ordonnance de constat avait ainsi produit un effet purgatoire sur le vice allégué.
B. L’obstacle de l’article L.611-8 du code de commerce
Le tribunal a fondé son raisonnement sur les « termes sans ambiguïté de l’article L.611-8 du code de commerce, selon lequel la décision constatant l’accord de conciliation n’est pas susceptible de recours ». Cette disposition légale interdit toute contestation de l’ordonnance de constat par la voie d’un recours ordinaire ou extraordinaire.
Les appelants tentaient de contourner cet obstacle en recherchant la responsabilité du conciliateur plutôt qu’en attaquant directement l’ordonnance. Le tribunal a cependant relevé que « l’invocation de la faute de Maître [K], en sa qualité de conciliateur, qui n’avait pas respecté le délai de quatre mois, consistait à remettre en cause la validité de l’ordonnance du 6 mai 2013 ».
Cette analyse révèle une difficulté inhérente à ce type de contentieux. La responsabilité civile du mandataire ne saurait servir de voie détournée pour remettre en cause une décision judiciaire définitive. L’ordonnance de constat, rendue par le président du tribunal, a consacré la validité de l’accord malgré le dépassement du délai conventionnel. Admettre que ce dépassement constitue une faute engageant la responsabilité du conciliateur reviendrait à priver d’effet l’ordonnance que l’article L.611-8 rend pourtant inattaquable.
La solution retenue préserve la cohérence du système juridique. Le conciliateur a accompli sa mission en négociant un accord qui a reçu force exécutoire. Le juge qui a constaté cet accord a nécessairement vérifié que les conditions de sa validité étaient réunies. Contester la responsabilité du conciliateur sur ce fondement reviendrait à substituer l’appréciation du juge de la responsabilité à celle du juge qui a constaté l’accord.
L’analyse de la faute reprochée au liquidateur dans le non-paiement des loyers appelle un raisonnement différent.
II. L’exonération du liquidateur confronté à l’insuffisance des fonds disponibles
Le second grief concernait le non-paiement des loyers postérieurs au jugement d’ouverture. Les appelants reprochaient au liquidateur de ne pas avoir réglé les échéances du contrat de sous-location.
A. Le régime des créances postérieures en liquidation judiciaire
Les loyers des deuxième, troisième et quatrième trimestres 2014 n’ont pas été payés par le liquidateur. La société bailleresse réclamait la somme de 291 044,61 euros TTC au titre de ces échéances impayées, outre diverses sommes au titre de la résiliation du contrat de crédit-bail et de la perte subie lors de la vente des locaux.
Le tribunal a relevé que « la société RBS Immobilière ne contestait pas l’absence de fonds suffisants pour payer les loyers, ni le temps nécessaire aux opérations de liquidation ». Cette constatation factuelle revêt une importance déterminante pour l’appréciation de la responsabilité du liquidateur.
En effet, le liquidateur ne dispose que des actifs de la société en liquidation pour désintéresser les créanciers. Lorsque ces actifs sont insuffisants, il ne peut être tenu pour responsable du non-paiement des créances, fussent-elles postérieures au jugement d’ouverture et bénéficiant du privilège de l’article L.622-17 du code de commerce.
La faute du liquidateur supposerait qu’il ait disposé des fonds nécessaires au paiement et qu’il ait refusé ou négligé de procéder au règlement. Tel n’était pas le cas en l’espèce. L’absence de fonds suffisants constitue une circonstance exonératoire qui prive de fondement la recherche de responsabilité.
B. L’impossible imputation du préjudice au mandataire
Les appelants sollicitaient également la condamnation du liquidateur à réparer le préjudice résultant de la vente des locaux à un prix inférieur à leur valeur. Ils évaluaient ce préjudice à 1 081 000 euros hors taxes.
Cette demande méconnaît la nature de la mission du liquidateur. Celui-ci est chargé de réaliser l’actif de la société dans l’intérêt collectif des créanciers. La cession des actifs s’opère selon les modalités prévues par la loi, sous le contrôle du juge-commissaire. Le liquidateur n’est pas garant du prix obtenu lors des cessions, sauf à démontrer qu’il a commis une faute dans la conduite des opérations de réalisation.
En l’espèce, aucun élément ne permettait d’établir que le liquidateur avait manqué à ses obligations dans la gestion des actifs immobiliers. La perte de valeur alléguée résultait des difficultés économiques de la société et des conditions du marché, circonstances étrangères à la mission du liquidateur.
S’agissant du préjudice moral allégué par le dirigeant, le tribunal a relevé que « l’action engagée par Maître [K] à l’encontre de M. [R] pour fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif l’avait été sur le fondement d’un rapport d’audit défavorable ». Le liquidateur avait ainsi exercé les actions prévues par la loi sur la base d’éléments objectifs. L’échec partiel de cette action, révélé par l’expertise ordonnée en cours de procédure, ne caractérise pas une faute du liquidateur qui a agi sur un fondement sérieux.
Cette décision rappelle que la responsabilité des mandataires de justice ne peut être engagée qu’en cas de faute caractérisée dans l’exercice de leur mission. L’insuffisance d’actif comme l’autorité des décisions antérieures constituent des obstacles dirimants à la recherche de cette responsabilité. La cour d’appel de Colmar confirme ainsi une conception rigoureuse des conditions d’engagement de la responsabilité des professionnels des procédures collectives, préservant leur capacité à exercer leurs fonctions sans crainte de poursuites infondées.