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Par un arrêt de la cour d’appel de Colmar du 9 septembre 2025, la chambre sociale tranche un contentieux de licenciement pour faute grave et plusieurs questions accessoires. La décision aborde la nullité de la requête introductive, la détermination de l’ancienneté en présence d’un mandat social antérieur, et l’existence d’une cause réelle et sérieuse.
Une salariée embauchée en 1991 a exercé un mandat de gérant à compter de 2000, puis a repris des fonctions salariées par avenant du 6 septembre 2019. L’activité boisson a été reprise par un nouvel employeur en 2020. Après une mise à pied conservatoire fin septembre 2021, un licenciement pour faute grave a été notifié le 27 octobre 2021, sur la base de six griefs.
Le conseil de prud’hommes de Saverne a jugé la rupture abusive en janvier 2023 et alloué diverses sommes, l’employeur ayant interjeté appel. Devant la cour, l’employeur sollicitait l’irrecevabilité de la requête, la reconnaissance de la faute grave, et subsidiairement la réduction de l’ancienneté à deux ans, tandis que la salariée demandait confirmation.
La cour rejette l’exception de nullité, réduit l’ancienneté à 11 ans et 7 mois en raison de la suspension du contrat durant le mandat social, et écarte la faute grave ainsi que la cause réelle et sérieuse. Elle confirme l’indemnité de préavis, ajuste l’indemnité conventionnelle et les dommages-intérêts, et refuse l’astreinte.
I. Ancienneté et cumul mandat social/contrat de travail
A. Les critères retenus et la suspension
La cour rappelle d’abord la définition du contrat de travail. Elle énonce que « Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération. » Cette grille tripartite structure l’analyse des périodes litigieuses.
Elle récapitule ensuite les conditions du cumul entre mandat social et contrat. L’arrêt précise que « Par ailleurs, le dirigeant peut cumuler un contrat de travail avec son mandat social à condition cependant que le contrat de travail soit effectif, c’est à dire qu’il se traduise par l’exercice de fonctions techniques, nettement différenciées de celles exercées dans le cadre du mandat social, par la perception d’une rémunération distincte, et par l’existence d’un véritable état de subordination. » L’exigence probatoire reste élevée, spécialement sur la subordination effective.
Appliquant ces principes, la juridiction retient la suspension du contrat pendant le mandat et sa réactivation après la démission. Elle énonce ainsi que « Par conséquent, durant cette troisième période, le contrat de travail suspendu a repris vigueur, et a fait l’objet d’un avenant. » La solution dissocie nettement les séquences et clarifie la portée temporelle de l’engagement.
B. Les incidences indemnitaires et la reprise d’ancienneté
L’avenant de 2019 mentionne l’embauche de 1991, mais sans reprendre l’ancienneté au-delà des périodes salariées effectives. La cour relève que « Cet avenant précise, certes, que la salariée a été embauchée à compter du 1er janvier 1991, ce qui est établi, mais il ne mentionne aucune reprise de l’ancienneté. » Le texte de l’accord ne suffisait donc pas à neutraliser la suspension.
En conséquence, l’ancienneté est limitée aux périodes salariées avant et après le mandat. La solution est nette et pédagogique : « C’est donc à tort que le conseil des prud’hommes a retenu une ancienneté de 30 ans. » La base de calcul de l’indemnité conventionnelle est mécaniquement ajustée.
Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante sur le cumul et la suspension, qui subordonne le maintien de l’ancienneté à la preuve d’un emploi distinct et subordonné. La méthode protège la cohérence des régimes et évite une assimilation automatique, faute d’engagement exprès de reprise d’ancienneté.
II. Faute grave, preuve des griefs et proportionnalité
A. L’office de la preuve et l’appréciation factuelle
La cour rappelle la définition de la faute grave en des termes désormais classiques. Elle énonce que « La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail, ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. » L’exigence de gravité est élevée.
La charge probatoire pèse sur l’employeur, ce que l’arrêt souligne : « Il appartient à l’employeur qui invoque la faute grave pour licencier d’en rapporter la preuve. » La cour confronte ensuite chaque grief à des éléments objectifs, hiérarchisant constats matériels et témoignages.
S’agissant de l’absence prétendue un samedi, la juridiction retient l’insuffisance de la preuve adverse au regard des pièces produites. La conclusion est sans équivoque : « Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que ce grief n’est pas établi. » La contradiction des attestations et les données chiffrées ont pesé lourd.
Concernant l’affichage des prix, la cour écarte le grief en raison du doute, nourri par le décalage temporel du constat et le mode d’affichage. Elle tranche en ces termes : « Le doute devant profiter au salarié, ce grief n’est pas retenu. » L’usage du principe « in dubio pro operario » demeure déterminant.
À l’inverse, la présence de produits périmés est retenue au vu du constat instrumentaire. L’arrêt affirme que « Ce grief, au regard du constat du huissier, est constitué, sans que le délai, entre la mise à pied conservatoire et le constat d’huissier, ne pose problème au regard des dates de péremption. » Le contexte pandémique atténue cependant la portée globale des manquements.
B. Le contrôle de proportionnalité et le pouvoir de direction
La cour reconnaît une défaillance ponctuelle de prospection après la reprise, tout en situant l’enjeu dans la sortie des restrictions. Elle note que « En revanche, il apparaît que, depuis la reprise en juin 2021 jusqu’à ses congés, le 13 septembre 2021, la salariée a délaissé sa mission de prospection… » L’appréciation demeure circonstanciée.
Elle rappelle corrélativement les devoirs du dirigeant en période de reprise d’activité. L’arrêt souligne qu’« il appartenait à l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, de donner des directives, et des consignes précises, et de s’assurer de leur exécution. » La défaillance de pilotage fragilise la qualification disciplinaire.
Au terme de ce faisceau, la sanction apparaît excessive. La cour juge que « Il apparaît que la sanction disciplinaire est disproportionnée au regard de la faute commise. » La confirmation logique suit : « Le jugement déféré est, par conséquent, confirmé en ce qu’il a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. » La réparation est alors recalibrée selon l’ancienneté retenue et le barème applicable.
Enfin, le volet procédural n’appelle pas de censure. La cour rappelle l’exigence d’un grief pour toute nullité de forme et conclut, de manière ferme, que « Faute de la preuve d’un quelconque grief, la requête introductive n’encourt pas de nullité. » La rigueur probatoire irrigue donc l’ensemble, de la procédure à la rupture.
L’arrêt se distingue par une articulation claire entre principes et faits. Il consolide la ligne sur le cumul mandat/contrat, réaffirme la charge de la preuve et le bénéfice du doute pour le salarié, et renforce le contrôle de proportionnalité en contexte post-crise. L’ensemble dessine un référentiel opérationnel pour les employeurs, les invitant à documenter, diriger et contextualiser avant toute sanction lourde.