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La Cour d’appel de Colmar, statuant le 9 septembre 2025, a rendu un arrêt relatif aux conditions d’exercice du droit propre du débiteur en liquidation judiciaire dans le cadre d’une procédure d’appel prud’homale.
Une société avait interjeté appel le 10 avril 2024 d’un jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Strasbourg le 13 mars 2024 dans un litige l’opposant à une salariée. Le 1er juillet 2024, un jugement de liquidation judiciaire a été prononcé à l’encontre de la société appelante. Cette dernière a déposé ses conclusions justificatives d’appel le 3 juillet 2024, soit postérieurement au jugement d’ouverture, mais sans avoir mis en cause le liquidateur judiciaire. Le liquidateur n’a transmis ses propres conclusions que le 18 septembre 2024, soit au-delà du délai de trois mois prévu par l’article 908 du code de procédure civile.
Le conseiller de la mise en état avait déclaré recevables les écritures de la société et celles du liquidateur judiciaire, rejetant la demande de caducité de la déclaration d’appel. L’intimée a formé un déféré contre cette ordonnance.
La question posée à la cour était la suivante : le débiteur en liquidation judiciaire peut-il valablement exercer son droit propre de conclure en appel sans que le liquidateur judiciaire soit présent à la cause ?
La Cour d’appel de Colmar a infirmé l’ordonnance du conseiller de la mise en état. Elle a déclaré irrecevables les conclusions de la société déposées le 3 juillet 2024 au motif qu’elles avaient été transmises sans mise en cause du liquidateur judiciaire. Elle a également déclaré irrecevables les conclusions du liquidateur du 18 septembre 2024 comme tardives. Elle a prononcé la caducité de la déclaration d’appel.
L’exercice du droit propre du débiteur en liquidation judiciaire se trouve ainsi conditionné à la présence du liquidateur à la cause (I). L’absence de cette condition substantielle emporte des conséquences processuelles irrémédiables (II).
I. La subordination du droit propre à la présence du liquidateur
La cour rappelle le principe du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire (A) avant de préciser les conditions d’exercice de l’exception que constitue le droit propre (B).
A. Le principe du dessaisissement issu de l’article L. 641-9 du code de commerce
L’article L. 641-9 du code de commerce pose le principe fondamental du dessaisissement du débiteur. La cour cite expressément ce texte : « Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens composant le patrimoine engagé par l’activité professionnelle. » Ce dessaisissement constitue une mesure de protection du gage commun des créanciers. Le débiteur perd la maîtrise de ses droits patrimoniaux au profit du liquidateur qui les exerce pendant toute la durée de la procédure.
La rigueur de ce principe se justifie par la finalité même de la liquidation judiciaire. Il s’agit de réaliser l’actif du débiteur dans l’intérêt collectif des créanciers. Toute initiative contentieuse du débiteur pourrait compromettre cet objectif en générant des frais ou en engageant le patrimoine de manière préjudiciable.
B. L’exception du droit propre et ses conditions d’exercice
La cour rappelle l’existence d’une jurisprudence « ancienne et désormais constante » reconnaissant au débiteur un droit propre. Ce droit lui permet d’exercer les voies de recours contre une décision statuant sur une créance antérieure au jugement d’ouverture. La cour se réfère à l’arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 2018, pourvoi n° 16-21701. Elle précise que ce droit propre s’étend à l’établissement des écritures.
La condition essentielle de ce droit propre réside dans la présence du liquidateur à la cause. La formulation de la cour est explicite : les conclusions d’appel déposées « au titre de son droit propre, mais sans mise en cause du liquidateur judiciaire sont irrecevables ». Cette exigence garantit que le liquidateur puisse exercer sa mission de représentation des intérêts collectifs. Elle assure également que les décisions rendues lui soient opposables.
II. Les conséquences processuelles de l’absence du liquidateur
Le défaut de mise en cause du liquidateur entraîne l’irrecevabilité des conclusions du débiteur (A). Cette irrecevabilité produit un effet en cascade aboutissant à la caducité de l’appel (B).
A. L’irrecevabilité des conclusions du débiteur et du liquidateur tardif
La cour prononce une double irrecevabilité. Les conclusions de la société du 3 juillet 2024 sont irrecevables car déposées sans mise en cause du liquidateur. Cette solution peut paraître sévère. La société avait respecté le délai de trois mois. Elle ne pouvait ignorer sa propre mise en liquidation prononcée deux jours plus tôt. Cependant, la cour fait prévaloir une application stricte de la condition de présence du liquidateur.
Les conclusions du liquidateur du 18 septembre 2024 sont quant à elles irrecevables pour tardiveté. Le délai de trois mois de l’article 908 du code de procédure civile courait à compter de la déclaration d’appel du 10 avril 2024. Il expirait le 10 juillet 2024. Le liquidateur ne saurait se prévaloir d’un délai propre courant à compter du jugement d’ouverture ou de sa désignation. La Cour applique ici rigoureusement les règles de la procédure d’appel.
B. La caducité de la déclaration d’appel comme sanction ultime
L’article 908 du code de procédure civile prévoit que le défaut de conclusions dans le délai de trois mois emporte caducité de la déclaration d’appel. La cour prononce cette sanction. Le jugement du conseil de prud’hommes de Strasbourg acquiert ainsi force de chose jugée.
Cette solution illustre la rigueur du formalisme procédural en matière d’appel. Le droit propre du débiteur, s’il constitue une exception au dessaisissement, n’emporte pas dérogation aux règles de procédure civile. Le débiteur et le liquidateur restent soumis aux délais impératifs. L’ouverture de la procédure collective n’interrompt pas la procédure prud’homale. La cour le rappelle expressément. Cette absence d’interruption impose une réactivité accrue des organes de la procédure collective. Le liquidateur doit être immédiatement informé des instances en cours pour pouvoir agir dans les délais.