Cour d’appel de Dijon, le 10 juillet 2025, n°23/00517

Par un arrêt du 10 juillet 2025, la Cour d’appel de Dijon, chambre sociale, a statué sur un contentieux né d’un licenciement pour inaptitude consécutif à un accident du travail, ainsi que sur des demandes indemnitaires relatives aux obligations de sécurité et d’adaptation. Engagée en 2005 comme agent à domicile, la salariée a été victime d’un accident du travail en 2008, déclarée inapte en 2013 après deux visites médicales, puis licenciée le 14 juin 2013.

La juridiction prud’homale a été saisie le 11 juin 2015. Une radiation est intervenue le 10 mai 2016, puis, le 28 août 2023, le conseil a constaté la péremption de l’instance. La salariée a interjeté appel le 22 septembre 2023. Elle demandait notamment la condamnation de l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour manquements aux obligations de sécurité et d’adaptation. L’employeur concluait à la confirmation, soulevait l’incompétence matérielle sur l’obligation de sécurité et opposait la prescription.

La question posée portait d’abord sur l’existence d’une péremption au regard du texte applicable aux instances introduites avant le 1er août 2016, puis sur la recevabilité des demandes indemnitaires au prisme de la prescription, avant d’examiner le régime de l’inaptitude d’origine professionnelle et l’exécution de l’obligation de reclassement. La Cour a infirmé le jugement, dit l’instance non périmée, déclaré irrecevables les demandes fondées sur les obligations de sécurité et d’adaptation comme prescrites, et jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d’un manquement probatoire relatif à la consultation des représentants du personnel, allouant 20 000 euros de dommages et intérêts.

I. Régime procédural: péremption et prescription en matière prud’homale

A. La stricte exigence de diligences expresses pour la péremption
La Cour rappelle le texte applicable aux instances introduites avant le 1er août 2016, ainsi formulé: « En matière prud’homale, l’instance n’est périmée que lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans […] les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. » Elle souligne en outre le principe suivant, qu’elle exprime en ces termes: « Il est jugé que la péremption d’instance n’est acquise que si la juridiction a mis expressément à la charge des parties une ou des diligences à accomplir. » Or, la décision de radiation de 2016 n’avait pas, dans son dispositif, imposé de diligence expresse à la salariée.

Cette motivation s’inscrit dans une ligne classique, qui conditionne le point de départ de la péremption à une charge procédurale clairement identifiée. Elle rappelle l’exigence de sécurité juridique qui entoure la sanction de l’inaction procédurale, et écarte les inférences issues de motifs implicites. L’approche retient logiquement que la radiation ne vaut ni injonction expresse ni extinction, préservant l’instance tant qu’aucune diligence n’a été mise à charge. La solution, pédagogique, évite une péremption automatique et réaffirme la primauté du dispositif.

B. L’articulation des délais de prescription et du régime transitoire de 2013
La Cour énonce d’abord l’effet interruptif de la saisine de 2015, en indiquant que « l’interruption du délai de prescription a commencé le 11 juin 2015 et n’a pas cessé de produire effet depuis lors […] à l’égard de toutes les actions procédant d’une même relation contractuelle. » Elle réserve toutefois l’incidence des dispositions transitoires issues de la loi du 14 juin 2013, en précisant: « La salariée pouvait donc agir pour des faits connus entre le 11 juin 2010 et le 11 juin 2015 » et conclut que « son action est prescrite même au regard des dispositions transitoires. »

Cette articulation, rigoureuse, distingue utilement l’interruption par un acte utile et l’extinction déjà acquise du droit d’agir. La Cour retient que la connaissance des faits fondant les demandes relatives à la sécurité et à l’adaptation remontait à l’accident du 1er avril 2008. Dès lors, la fenêtre transitoire, limitée pour ne pas excéder la durée antérieurement applicable, ne couvrait pas des faits connus au-delà de cinq ans avant la saisine. La recevabilité ne pouvait donc être rétablie par la saisine de 2015 si la prescription était déjà acquise. On saluera la cohérence de l’analyse, qui renforce la prévisibilité des délais et clarifie la portée des textes transitoires. À titre liminaire, la Cour affirme aussi sa compétence pour connaître d’un manquement à l’obligation de sécurité, dès lors qu’est recherchée la responsabilité de l’employeur au titre de l’exécution du contrat.

II. Inaptitude d’origine professionnelle et licenciement: obligations de sécurité, d’adaptation et de reclassement

A. Origine professionnelle de l’inaptitude et charge de la preuve du manquement
La Cour rappelle la règle de rattachement: « Il est jugé que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail […] s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié […] a, au moins partiellement, pour origine cet accident […] et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement. » L’inaptitude était établie après deux visites des 2 et 21 mai 2013, et l’employeur connaissait l’accident initial.

La protection ne rend cependant pas le licenciement automatiquement dépourvu de cause. La Cour l’énonce clairement en relevant qu’il appartient à la salariée d’établir un manquement de l’employeur. Elle examine la fiche de poste d’aide à domicile, écarte la thèse d’un glissement non prouvé vers des fonctions d’auxiliaire de vie, et retient que l’épisode traumatique est intervenu lors d’une aide ponctuelle face à un risque de chute. Aucune défaillance n’est caractérisée au titre de l’obligation de sécurité, dont la nature n’est pas de résultat, ni au titre de l’obligation d’adaptation, relevant de l’initiative de l’employeur mais devant se rattacher à l’emploi effectivement confié. La motivation, prudente, distingue l’origine professionnelle de l’inaptitude et la faute, et réaffirme la nécessité d’un lien probatoire convaincant entre manquement et atteinte invoquée.

B. La consultation des représentants du personnel, condition du reclassement effectif
La Cour consacre la portée impérative de la consultation dans la procédure de reclassement, en rappelant la formule suivante: « Il est jugé que l’employeur ne peut se soustraire à son obligation de consultation en raison de l’absence de délégués dans l’entreprise, dès lors que leur mise en place était obligatoire et qu’aucun procès-verbal de carence n’a été établi. » Elle constate l’absence de procès-verbal de carence et l’impossibilité de vérifier l’obligation de reclassement.

Faute de preuve de la consultation, la rupture ne peut reposer sur une cause réelle et sérieuse. La sanction s’inscrit dans le régime applicable à l’époque, la Cour citant le texte selon lequel, « en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte […] le tribunal octroie une indemnité […]. Cette indemnité ne peut être inférieure à douze mois de salaires. » Au regard d’un salaire mensuel de référence de 1 282 euros, l’indemnité allouée est de 20 000 euros, appréciation qui combine la gravité du manquement et la situation de l’intéressée.

Cette solution confirme la centralité de la consultation comme garantie substantielle du reclassement effectif, et non comme simple formalité dépendante de l’organisation interne. Elle incite les employeurs à justifier, par un procès-verbal de carence, l’impossibilité de consulter, faute de quoi le contrôle juridictionnel demeure impossible. La portée pratique est nette: en présence d’une inaptitude d’origine professionnelle, la vigilance sur les étapes du reclassement conditionne la validité du licenciement, indépendamment de toute discussion sur les obligations de sécurité et d’adaptation, ici écartées pour cause de prescription.

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