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Rendue par la Cour d’appel de Dijon le 11 septembre 2025, la décision commente la qualification de la faute inexcusable de l’employeur à la suite d’un accident survenu lors de la montée dans un engin de chantier. L’accident, déclaré au titre des risques professionnels, a conduit à une consolidation et à l’attribution d’un taux d’incapacité, ultérieurement réduit par le tribunal judiciaire de Nancy le 15 juin 2021. À la suite du rejet de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable par le pôle social du tribunal judiciaire de Dijon le 20 octobre 2023, l’appelant a interjeté appel, sollicitant la majoration de sa rente et une expertise, tandis que l’employeur sollicitait la confirmation intégrale du jugement. La question portait sur l’étendue de la charge probatoire pesant sur le salarié, en présence de circonstances jugées incertaines et d’un document unique d’évaluation des risques mentionnant un risque générique de chute. La Cour rappelle, en des termes limpides, que « Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » Elle précise surtout la charge de la preuve, en énonçant que « Il appartient au salarié de rapporter la preuve que l’employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, et cette preuve n’est pas rapportée lorsque les circonstances de l’accident dont il a été victime sont indéterminées. » Constatant l’absence d’éléments objectifs corroborant un glissement ou un risque de chute particuliers, et la délivrance d’équipements de protection, la Cour confirme le rejet des demandes.
I. Le cadre normatif et la logique décisionnelle
A. La définition retenue de la faute inexcusable
La Cour d’appel reprend le cadre légal classique issu du code de la sécurité sociale et du code du travail. Elle rattache la faute inexcusable à une double exigence cumulative, tenant à la conscience du danger par l’employeur et à son abstention de mesures adaptées, selon une formule désormais stabilisée. Le rappel selon lequel « Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail » qu’un tel manquement caractérise la faute inexcusable, replace utilement l’analyse sur le terrain du devoir général de sécurité.
La Cour précise ensuite le régime probatoire, résolument centré sur le salarié demandeur. En exigeant que ce dernier rapporte la preuve de la conscience du risque par l’employeur et du défaut de prévention, elle verrouille l’examen autour d’indices concrets relatifs au poste, aux gestes réalisés et aux mesures effectivement mises en œuvre. La formule consacrée, « Il appartient au salarié de rapporter la preuve […] et cette preuve n’est pas rapportée lorsque les circonstances de l’accident […] sont indéterminées », opère un lien direct entre clarté factuelle et démonstration juridique, en faisant de l’indétermination un obstacle décisif.
B. L’exigence d’une preuve circonstanciée des conditions de l’accident
L’examen des pièces retient l’absence d’éléments objectifs confirmant un glissement ou une chute, malgré la déclaration initiale et les documents médicaux. Les éléments internes rapportent une douleur survenue lors d’un effort de traction pour monter, sans observation externe ou témoignage établissant la perte d’adhérence. Le raisonnement s’attache à l’insuffisance de corroborations tierces et à la cohérence des lésions avec le mécanisme décrit. Faute de description précise et étayée, la Cour juge la preuve déficiente sur la conscience d’un danger particulier et sur l’insuffisance des mesures de prévention.
Le traitement du document unique d’évaluation des risques est également net. Bien qu’ancien, il mentionnait un risque général de chute d’un niveau supérieur, couvrant la montée comme la descente. La Cour souligne que « l’absence de document unique d’évaluation des risques professionnels contrairement à ce que prétend l’appelant, n’est pas, à elle seule, de nature à caractériser une faute inexcusable. » L’argument tiré d’un DUER prétendument lacunaire ne suffit donc pas, en l’absence d’éléments concrets révélant un risque connu et non prévenu au moment des faits.
Le raisonnement s’achève par une application rigoureuse du standard probatoire. « De sorte, au vu des circonstances indéterminées de l’accident, il n’est pas possible de reprocher à la société d’avoir eu, ou qu’elle aurait dû avoir, conscience du danger auquel le salarié aurait été exposé, et ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour l’en prémunir. » La conclusion procède ici d’un contrôle serré de la matérialité du risque et de sa prévisibilité, faute de quoi la faute inexcusable ne peut être retenue.
II. Portée et appréciation de la solution
A. Une confirmation d’une ligne probatoire exigeante
La décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle exigeante à l’égard des demandeurs. Elle refuse de transposer des présomptions attachées à l’imputabilité de l’accident au terrain de la faute inexcusable, laquelle demeure autonome et suppose une preuve positive de la conscience du danger et d’une carence préventive. Cette distinction réaffirme le primat des faits précis sur les généralisations, surtout lorsque l’accident découle d’un geste ordinaire de montée dans une machine, sans défaillance objectivée.
La portée pratique est importante pour les contentieux d’accidents de plain-pied ou d’accès à des engins. À défaut d’indices matériels spécifiques, de témoignages concordants ou de constats techniques, la démonstration achoppe sur l’indétermination des circonstances. Un DUER globalement pertinent et des EPI effectivement fournis pèsent alors dans le sens d’une prévention suffisante, sauf preuve contraire précise et circonstanciée.
B. Observations critiques sur la prévention et la traçabilité du risque
La solution ne minore pas l’obligation de sécurité, mais elle en réaffirme la traduction contentieuse: la preuve d’une insuffisance suppose de cerner le risque concret et sa prévisibilité. Le raisonnement protège la cohérence du régime, tout en imposant au salarié une rigueur probatoire élevée. Cette exigence se justifie pour éviter une assimilation de l’accident au défaut systématique de prévention, mais elle fragilise des actions liées à des mécanismes brusques et peu observables.
Sur le plan préventif, la décision incite à renforcer la traçabilité des risques liés aux accès d’engins: état des marches et poignées, procédures de montée et de descente, consignes visibles, formations, contrôles périodiques consignés. Elle invite également à objectiver les conditions matérielles post-accident: relevés, photographies, auditions, météorologie, chronotachygraphes lisibles, afin d’éviter que l’indétermination ne fige la discussion. Du point de vue du droit positif, l’affirmation selon laquelle « l’absence de document unique […] n’est pas, à elle seule, de nature à caractériser une faute inexcusable » paraît équilibrée: un DUER insuffisant doit être articulé à des circonstances établissant un danger connu et non prévenu.
Au total, la Cour d’appel de Dijon, le 11 septembre 2025, consolide une lecture coutumière du régime de la faute inexcusable. En rattachant la solution à la qualité de la preuve des circonstances, elle rappelle qu’un risque générique et une prévention apparente ne cèdent qu’au profit d’éléments précis, convergents et objectivés. La stabilité du standard s’en trouve confirmée, et sa mise en œuvre pratique appelle une documentation probatoire à la hauteur des exigences posées.