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La présente affaire soumet à l’examen de la Cour d’appel de Dijon les conséquences procédurales de l’ouverture d’une procédure collective en cours d’instance d’appel. Par un arrêt du 26 juin 2025, la chambre sociale de cette juridiction se prononce sur la nécessité de révoquer l’ordonnance de clôture lorsque les organes de la procédure collective n’ont pas été appelés à la cause.
Un salarié avait été embauché le 26 décembre 2021 par une société en qualité de cuisinier, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps complet. Le 20 janvier 2022, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Le 1er mars 2022, la société a néanmoins procédé à son licenciement pour faute grave. Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon aux fins de requalifier sa prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir diverses condamnations indemnitaires.
Par jugement du 30 mai 2023, le conseil de prud’hommes a partiellement accueilli ses demandes. La société a relevé appel de cette décision le 28 juin 2023. Postérieurement à la déclaration d’appel, elle a été placée en redressement judiciaire par jugement du 14 mai 2024, puis en liquidation judiciaire le 18 février 2025. L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 avril 2025, sans que les organes de la procédure collective ni l’AGS-CGEA n’aient été appelés à intervenir.
La question posée à la cour était de déterminer si la survenance d’une procédure collective en cours d’instance d’appel, sans mise en cause des organes compétents, constitue une cause grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture au sens de l’article 803 du code de procédure civile.
La Cour d’appel de Dijon décide de révoquer d’office l’ordonnance de clôture et ordonne le renvoi de l’affaire devant le conseiller de la mise en état. Elle retient qu’« en raison de la procédure de redressement puis de liquidation judiciaire de la société THE BUTCHER, les organes de la procédure collective n’ont pas été appelés en la cause et n’interviennent pas volontairement ». Elle sursoit à statuer sur les dépens.
Cette décision procédurale appelle un examen de la mise en oeuvre du mécanisme de révocation de l’ordonnance de clôture (I), avant d’envisager les implications de l’absence des organes de la procédure collective sur le droit au procès équitable (II).
I. La révocation de l’ordonnance de clôture fondée sur la survenance d’une procédure collective
La cour fait application des dispositions de l’article 803 du code de procédure civile pour révoquer l’ordonnance de clôture (A), ce qui conduit à un renvoi devant le conseiller de la mise en état en vue de régulariser l’instance (B).
A. Le fondement textuel de la révocation d’office
L’article 803 du code de procédure civile prévoit que « l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue ». Le texte autorise expressément cette révocation d’office par le juge. La cour rappelle cette règle de manière liminaire en reproduisant les termes de l’article.
La notion de cause grave n’est pas définie par le code. La jurisprudence l’interprète de manière souple, en fonction des circonstances de chaque espèce. En l’occurrence, la cour identifie cette cause grave dans le fait que les organes de la procédure collective n’ont pas été appelés à la cause. L’ouverture d’une liquidation judiciaire constitue un événement extérieur aux parties initiales, survenu postérieurement à la clôture, qui modifie substantiellement les conditions du litige.
La révocation permet ainsi de garantir que le débat judiciaire se déroule en présence de toutes les parties intéressées. La solution retenue s’inscrit dans une conception du procès respectueuse du principe du contradictoire. Elle manifeste le pouvoir du juge de veiller au bon déroulement de l’instance, y compris d’office.
B. Le renvoi devant le conseiller de la mise en état
La cour ne se contente pas de révoquer l’ordonnance de clôture. Elle ordonne le renvoi de l’affaire devant le conseiller de la mise en état. Cette décision vise à permettre la mise en cause des organes de la procédure collective et de l’AGS-CGEA territorialement compétent.
La formulation retenue par l’arrêt mérite attention. La cour indique que cette mise en cause doit être effectuée « par la partie la plus diligente ». Elle n’impose pas cette charge à une partie déterminée, laissant aux plaideurs le soin de prendre l’initiative. Cette formule traduit la neutralité du juge, qui organise les conditions de la régularisation sans se substituer aux parties dans l’accomplissement des diligences procédurales.
Le sursis à statuer sur les dépens est la conséquence logique de ce renvoi. La cour ne pouvant trancher le fond du litige, elle réserve la question des frais pour la décision ultérieure. Cette technique procédurale assure la cohérence de l’ensemble.
II. Les implications de l’absence des organes de la procédure collective
L’exigence de mise en cause des organes de la procédure collective répond à des impératifs tenant tant au droit des entreprises en difficulté (A) qu’au respect des droits fondamentaux de la défense (B).
A. La nécessaire représentation du débiteur en liquidation judiciaire
L’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire emporte dessaisissement du débiteur. Celui-ci perd la capacité d’agir en justice pour les actions relatives à son patrimoine. Seul le liquidateur dispose de la qualité pour représenter la société débitrice dans les instances en cours.
En l’espèce, la société employeur avait été placée en redressement judiciaire le 14 mai 2024, puis en liquidation judiciaire le 18 février 2025. Or l’ordonnance de clôture a été rendue le 10 avril 2025, soit postérieurement à l’ouverture de la liquidation. À cette date, la société n’avait plus la capacité de défendre seule ses intérêts devant la cour.
La poursuite de l’instance sans mise en cause du liquidateur aurait conduit à une décision rendue en l’absence d’un représentant qualifié du débiteur. Une telle situation aurait vicié la procédure. La révocation de l’ordonnance de clôture permet d’éviter cet écueil et de replacer l’instance dans un cadre régulier.
B. La garantie du droit au procès équitable
La mise en cause de l’AGS-CGEA répond à une autre exigence. Ce régime de garantie des salaires est susceptible d’être appelé à garantir le paiement des créances salariales en cas d’insuffisance des fonds de la liquidation. Son intervention dans l’instance revêt donc un caractère nécessaire dès lors que des condamnations pécuniaires sont sollicitées.
L’AGS doit pouvoir faire valoir ses moyens de défense et contester, le cas échéant, le bien-fondé des demandes du salarié. Son absence à la procédure l’aurait privée de cette faculté. La décision qui serait intervenue sans son appel aurait pu lui être déclarée inopposable.
La solution adoptée par la cour garantit ainsi l’effectivité du contradictoire à l’égard de l’ensemble des parties intéressées. Elle s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence soucieuse de préserver les droits de la défense, y compris lorsque des événements extérieurs viennent modifier la configuration procédurale du litige. La révocation de l’ordonnance de clôture apparaît comme l’instrument adapté pour concilier les exigences de célérité du procès avec le respect des garanties fondamentales.