Cour d’appel de Dijon, le 26 juin 2025, n°23/00595

Par un arrêt du 26 juin 2025, la chambre sociale de la Cour d’appel de Dijon s’est prononcée sur la nullité d’un licenciement pour inaptitude au regard de la protection dont bénéficie le conseiller du salarié. La décision illustre les conditions dans lesquelles l’employeur doit solliciter l’autorisation de l’inspection du travail avant de procéder au licenciement d’un salarié protégé.

Un salarié avait été engagé le 18 février 2006 en qualité de chef de poste par une société coopérative agricole. Placé en arrêt de travail à compter du 28 septembre 2020, il a été déclaré inapte à tout poste le 29 octobre 2021. L’employeur a engagé la procédure de licenciement en adressant une convocation à l’entretien préalable le 12 novembre 2021 pour un entretien fixé au 23 novembre suivant. Entre-temps, le salarié a été inscrit sur la liste des conseillers du salarié par arrêté préfectoral du 19 novembre 2021, publié au Journal officiel le 22 novembre. Lors de l’entretien préalable, le conseiller assistant le salarié a informé le représentant de l’employeur de cette inscription. Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié le 26 novembre 2021 sans que l’autorisation de l’inspecteur du travail ait été sollicitée.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes en invoquant la nullité de son licenciement pour violation du statut protecteur et en sollicitant des dommages et intérêts pour harcèlement moral. Par jugement du 27 septembre 2023, le conseil de prud’hommes de Dijon a rejeté ces demandes. Le salarié a interjeté appel le 23 octobre 2023.

Devant la cour d’appel, le salarié soutenait que son licenciement était nul faute d’autorisation de l’inspection du travail et que l’employeur avait eu connaissance de son mandat lors de l’entretien préalable. L’employeur faisait valoir qu’au jour de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable, la nomination n’était pas intervenue et qu’il ignorait cette qualité.

La question posée à la cour était de déterminer si l’employeur, informé lors de l’entretien préalable de la qualité de conseiller du salarié nouvellement acquise par ce dernier, devait solliciter l’autorisation de l’inspecteur du travail avant de prononcer le licenciement.

La Cour d’appel de Dijon a infirmé le jugement sur ce point et jugé le licenciement nul. Elle a retenu que « l’employeur a été informé de façon claire que le salarié avait le statut de conseiller du salarié, peu importe que l’information n’émane pas du salarié lui-même mais du conseiller l’assistant lors de cet entretien, ou encore que cette information n’ait pas été donnée de façon formelle dès lors qu’elle était dépourvue d’ambiguïté ».

La décision présente un intérêt certain quant à l’articulation entre le moment de l’information et l’obligation de solliciter l’autorisation administrative (I), ainsi que dans la détermination des conséquences indemnitaires de la violation du statut protecteur (II).

I. L’information de l’employeur sur la qualité de salarié protégé : une appréciation pragmatique

La cour d’appel adopte une conception souple tant des modalités de l’information (A) que du moment où celle-ci doit être prise en compte (B).

A. L’indifférence quant à l’auteur et à la forme de l’information

L’article L. 2411-1, 16°, du code du travail confère au conseiller du salarié inscrit sur la liste préfectorale une protection contre le licenciement. Cette protection court à compter du jour où la liste est arrêtée par le préfet conformément à l’article D. 1232-5 du même code. Le licenciement ne peut alors intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail selon l’article L. 2411-21.

La jurisprudence impose au salarié d’informer l’employeur de l’existence de son mandat « au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement », à défaut de quoi il ne peut se prévaloir de la protection. La cour rappelle ce principe tout en précisant que l’employeur doit également avoir connaissance de « l’imminence de la désignation » au moment de l’envoi de la convocation.

En l’espèce, la situation présentait une particularité : l’inscription sur la liste était intervenue après l’envoi de la convocation mais avant l’entretien préalable. Le salarié n’avait pas lui-même informé l’employeur de sa qualité. C’est le conseiller l’assistant lors de l’entretien qui avait annoncé cette inscription. L’attestation produite indiquait que celui-ci avait déclaré que le salarié « était inscrit sur la nouvelle liste préfectorale » et faisait « partie des conseillers du salarié ».

La cour juge que cette information suffit. Elle retient qu’il importe peu « que l’information n’émane pas du salarié lui-même » et qu’elle n’ait pas « été donnée de façon formelle dès lors qu’elle était dépourvue d’ambiguïté ». Cette solution s’inscrit dans une logique de protection effective. L’objectif du statut protecteur serait compromis si l’employeur pouvait se prévaloir d’un formalisme excessif alors qu’il dispose de l’information pertinente.

B. La prise en compte de l’information jusqu’au prononcé du licenciement

La cour distingue deux moments dans l’appréciation de la connaissance par l’employeur. D’une part, au jour de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable, soit le 12 novembre 2021, « la protection ne pouvait bénéficier au salarié » puisque l’arrêté préfectoral n’était pas encore intervenu. Le salarié ne démontrait pas avoir informé l’employeur de l’imminence de sa désignation à cette date.

D’autre part, la cour recherche « si l’employeur a eu ou non connaissance de la qualité de conseiller le jour de l’entretien préalable ». Cette démarche révèle que l’information peut être utilement donnée jusqu’à l’entretien préalable. L’employeur qui acquiert cette connaissance au cours de l’entretien « devait donc demander, avant de prendre sa décision de licenciement, l’autorisation de l’inspecteur du travail ».

La solution retenue impose à l’employeur une obligation de vigilance. Même lorsque la procédure a été régulièrement engagée, la survenance d’un mandat protecteur avant la décision de licenciement oblige l’employeur à suspendre la procédure et à solliciter l’autorisation administrative. Cette exigence préserve l’effectivité de la protection sans pour autant permettre au salarié de se prévaloir d’un mandat qu’il aurait celé.

La cour confirme par ailleurs le rejet de la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral. Elle constate que « la supposition de harcèlement est renversée par les éléments probants et objectifs apportés par l’employeur ». Cette partie de la décision n’appelle pas d’observations particulières, la cour ayant appliqué le mécanisme probatoire classique des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.

II. Les conséquences indemnitaires de la violation du statut protecteur : une réparation intégrale

La nullité du licenciement emporte des conséquences sur l’indemnisation du préjudice résultant de la rupture (A) et ouvre droit à une indemnité spécifique pour méconnaissance du statut protecteur (B).

A. L’indemnisation de la rupture illicite sur le fondement de l’article L. 1235-3-1

Le licenciement prononcé en violation du statut protecteur est nul. L’article L. 1235-3-1 du code du travail exclut l’application du barème d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 lorsque le licenciement est entaché de nullité. Le salarié peut alors prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

La cour condamne l’employeur à verser une indemnité compensatrice de préavis de 6 975 euros outre les congés payés afférents. Elle alloue également des dommages et intérêts de 25 000 euros pour licenciement nul « sur la base d’un salaire mensuel de référence de 2 325 euros ». Cette somme représente environ dix mois de salaire pour un salarié disposant de dix-sept années d’ancienneté.

L’évaluation retenue excède le plancher légal de six mois tout en demeurant dans des proportions mesurées. La cour ne motive pas précisément les éléments ayant conduit à cette évaluation. L’absence de réintégration demandée par le salarié et les circonstances de la rupture ont vraisemblablement été prises en compte.

La demande initiale du salarié portait sur une somme de 46 600 euros correspondant à vingt mois de salaire. La cour n’a donc pas fait droit à l’intégralité de cette prétention. Le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond s’exerce pleinement dans la détermination du montant des dommages et intérêts, sous réserve du respect du plancher légal.

B. L’indemnité spécifique pour méconnaissance du statut protecteur

Outre les dommages et intérêts pour licenciement nul, le salarié protégé illégalement licencié a droit à une indemnité au titre de la violation du statut protecteur. La cour rappelle que « la méconnaissance du statut protecteur ouvre droit à une indemnisation qui est égale aux salaires que le salarié aurait dus percevoir jusqu’à la fin de la période de protection en cours à la date de son éviction et dans la limite de trente mois ».

Cette indemnité forfaitaire vise à réparer le préjudice résultant de la perte de la protection dont le salarié aurait dû bénéficier. Elle est distincte de l’indemnisation de la rupture elle-même. Son montant correspond aux salaires qui auraient été versés pendant la période de protection restant à courir, plafonné à trente mois conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

La cour alloue au salarié la somme de 19 890 euros « telle que demandée ». Ce montant correspond à la protection restant à courir jusqu’au terme du mandat. La liste des conseillers du salarié est établie pour une durée de trois ans en application de l’article D. 1232-5 du code du travail. Le salarié ayant été licencié peu après son inscription, la période de protection restante était substantielle.

Le cumul des deux indemnités aboutit à une réparation totale de 44 890 euros au titre de la rupture, outre les indemnités de préavis. Cette solution illustre la sévérité des sanctions attachées à la violation du statut protecteur. L’employeur qui omet de solliciter l’autorisation de l’inspecteur du travail s’expose à une condamnation significative, indépendamment du bien-fondé du motif de licenciement.

La décision rappelle aux employeurs la nécessité de vérifier, tout au long de la procédure de licenciement, l’absence de mandat protecteur du salarié concerné. L’information tardive ne dispense pas de l’obligation de solliciter l’autorisation administrative dès lors qu’elle est acquise avant la notification du licenciement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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