Cour d’appel de Dijon, le 3 juillet 2025, n°23/00372

La Cour d’appel de Dijon, chambre sociale, 3 juillet 2025, tranche un litige relatif à la fixation de la date de consolidation et à la demande d’une nouvelle expertise technique en matière d’accident du travail. L’assuré, blessé en mai 2019, s’est vu notifier une consolidation au 18 mars 2020 sans séquelle indemnisable. Il a contesté, une expertise technique a été ordonnée après annulation d’un premier rapport, puis l’expert désigné a confirmé la date de consolidation. Une rechute a été déclarée en janvier 2021. Le pôle social du tribunal judiciaire de Macon, par jugement du 25 mai 2023, a confirmé la consolidation au 18 mars 2020 et rejeté la demande d’expertise. Devant la cour, l’assuré sollicite une nouvelle expertise ou, subsidiairement, une consolidation au 12 janvier 2021 avec séquelles indemnisables. La caisse demande confirmation.

La question de droit porte sur les conditions d’ordonnance d’une nouvelle expertise technique au regard de l’article L. 141-2 du code de la sécurité sociale, lorsque l’expertise déjà réalisée conclut à la consolidation, et sur l’articulation entre cette consolidation et la prise en charge ultérieure d’une rechute. La cour énonce que la partie qui requiert une nouvelle expertise doit en démontrer l’utilité probatoire. Elle confirme la consolidation au 18 mars 2020 et refuse la nouvelle mesure, relevant l’absence d’éléments nouveaux et la cohérence du rapport technique.

I. Le refus de la nouvelle expertise au regard de l’article L. 141-2 du code de la sécurité sociale

A. Le cadre légal et l’office du juge
La cour rappelle la règle déterminante en ces termes, qui fixent rigoureusement la charge de la preuve procédurale: «Si l’article L. 141-2 du code de la sécurité sociale, en sa teneur applicable à la cause, permet au juge, au vu de l’avis technique de l’expert désigné en application de l’article L 141-1 du même code, d’ordonner une nouvelle expertise sur demande d’une partie, c’est à la condition essentielle que la partie demanderesse de la mesure en démontre le bien fondé.» Le pouvoir d’ordonner une nouvelle expertise n’est pas discrétionnaire. Il suppose un besoin objectif d’instruction, établi par des éléments précis, circonstanciés et pertinents dans la controverse médicale.

Le juge du fond apprécie souverainement l’utilité de la mesure, à l’aune du rapport technique et des pièces produites. L’expertise médicale technique, ordonnée sur le fondement de l’article R. 142-17-1, structure le débat sur la consolidation et les séquelles indemnisables. En l’absence d’insuffisance, d’ambiguïté, ou de contradiction manifeste, la demande d’itération ne peut prospérer.

B. L’appréciation des éléments médicaux et l’absence de contradiction utile
La cour souligne d’abord la qualité du support probatoire en relevant que «le rapport d’expertise querellé comporte des conclusions claires, précises et dépourvues d’ambiguïté». Les critiques adverses demeurent générales, ou s’appuient sur un avis non contradictoire qui n’apporte pas d’élément nouveau sur l’état antérieur et ses effets. La prise en charge d’une rechute postérieure ne suffit pas, à elle seule, à défaire la cohérence d’une consolidation antérieure, dès lors que les notions de consolidation et de rechute ne se confondent pas et coexistent dans le régime des risques professionnels.

Faute d’éléments objectivant une insuffisance du rapport ou une discordance technique déterminante, la cour retient logiquement que «l’utilité d’une seconde expertise technique n’est dès lors pas démontrée». Le cœur du contrôle porte sur l’existence d’un doute sérieux sur la date de stabilisation et sur l’ampleur des séquelles, doute qui n’est pas caractérisé ici. La confirmation de la solution de première instance s’ensuit, dans une démarche de stricte économie des mesures d’instruction.

II. Valeur et portée de la solution en contentieux AT/MP

A. Une exigence probatoire élevée à la charge du demandeur
La solution consacre une exigence probatoire claire pour obtenir une réouverture de l’instruction médicale. La production d’un avis médical privé non contradictoire ne suffit pas, en l’absence d’éléments nouveaux, d’erreur manifeste ou d’incohérences internes de l’expertise technique. L’articulation consolidation/rechute est clarifiée: la reconnaissance d’une rechute ultérieure n’affecte pas, par principe, la validité d’une consolidation antérieure, sauf démonstration d’une erreur initiale ou de données alors ignorées.

Ce standard probatoire renforce la sécurité des décisions issues de l’expertise technique, tout en préservant la possibilité d’une nouvelle mesure lorsque le besoin est démontré. Il évite l’instrumentalisation de la demande d’expertise à des fins dilatoires, ainsi qu’un déplacement indû du fardeau de la preuve. La cohérence de l’économie générale du contentieux AT/MP s’en trouve consolidée.

B. Conséquences pratiques et lignes directrices pour les acteurs
La décision éclaire la stratégie des parties et du juge. D’une part, celui qui sollicite une nouvelle expertise doit cibler des lacunes objectivables du rapport, établir des contradictions techniques précises, ou produire des éléments contemporains négligés. D’autre part, le juge peut se fonder sur l’autosuffisance du rapport pour clore l’instruction, lorsque les critiques demeurent assertions, ou se bornent à substituer une appréciation au détriment du caractère contradictoire.

La portée se lit dans la formule de confirmation qui assoit la stabilité du dispositif: «Le jugement sera par conséquent intégralement confirmé.» Elle promeut une ligne jurisprudentielle de maîtrise des expertises successives, de lisibilité des règles de preuve, et d’articulation fidèle des concepts de consolidation et de rechute. Elle indique enfin que l’avis technique «s’impose aux parties» lorsqu’il est clair, précis et non équivoque, sauf démonstration contraire réellement probante.

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Hassan KOHEN
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