- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Dijon le 3 juillet 2025 invite à examiner les contours de la liberté d’expression du salarié dans le cadre des relations de travail, ainsi que les conditions de validité des clauses restrictives de concurrence.
Une salariée avait été embauchée en 2004 par une société d’expertise comptable en qualité de chargée de clientèle. Son contrat de travail fut transféré en 2022 à un cabinet d’avocats du même groupe, où elle devait occuper un poste de manager en droit social. L’employeur lui reprocha, quelques mois après ce transfert, des divergences sur le contenu de son emploi et une attitude de remise en cause permanente de sa hiérarchie. Il la licencia pour faute grave le 15 juillet 2022, invoquant notamment le ton de certains courriels adressés à son supérieur. La salariée contesta ce licenciement et sollicita sa nullité pour violation de sa liberté d’expression. Elle demanda également la nullité d’une clause contractuelle qu’elle qualifiait de clause de non-concurrence déguisée.
Le Conseil de prud’hommes de Dijon jugea le licenciement sans cause réelle et sérieuse et fit droit à plusieurs demandes indemnitaires de la salariée. L’employeur interjeta appel.
La Cour d’appel de Dijon devait déterminer si le licenciement fondé sur des propos tenus par la salariée dans des échanges professionnels portait atteinte à sa liberté d’expression, rendant ainsi cette mesure nulle. Elle devait également apprécier la nature juridique d’une clause intitulée « obligation de loyauté et respect de la clientèle » figurant au contrat de travail.
La Cour infirma partiellement le jugement. Elle qualifia le licenciement de nul au motif que les propos reprochés à la salariée ne revêtaient aucun caractère abusif. Elle confirma par ailleurs que la clause litigieuse constituait une clause de non-concurrence nulle faute de respecter les conditions de validité requises.
Cette décision mérite attention en ce qu’elle précise les limites de la liberté d’expression du salarié dans l’entreprise (I) et rappelle les critères de requalification d’une clause de loyauté en clause de non-concurrence (II).
I. La liberté d’expression du salarié, fondement de la nullité du licenciement
La Cour rappelle le principe selon lequel le salarié jouit d’une liberté d’expression dont la restriction suppose la démonstration d’un abus (A). Elle procède ensuite à une analyse concrète des propos litigieux pour en exclure tout caractère fautif (B).
A. Le rappel du principe de liberté d’expression dans l’entreprise
La Cour d’appel fonde son analyse sur l’article L. 1121-1 du Code du travail. Elle rappelle que « sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ». Cette formulation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation.
L’abus suppose, selon la Cour, « l’existence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ». En l’absence de tels propos, le salarié ne peut être sanctionné pour avoir usé de sa liberté de s’exprimer. Cette protection constitue une garantie fondamentale dont la violation entraîne la nullité du licenciement, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3-1 du Code du travail.
La Cour souligne que l’employeur avait explicitement fondé le licenciement sur le contenu de courriels considérés comme participant d’un « climat relationnel très tendu » et d’un « manque de respect ». Ce grief entrait donc dans le champ de la liberté d’expression du salarié. La Cour devait alors vérifier si les propos incriminés excédaient les limites de cette liberté.
B. L’appréciation in concreto de l’absence d’abus
La Cour procède à un examen minutieux des échanges électroniques produits aux débats. Elle constate que les termes employés par la salariée « caractérisent l’expression d’un désaccord critique en réponse aux remarques négatives qui lui sont adressées ». Elle ajoute qu’il n’est « aucunement démontré que les propos tenus à cette occasion ont été injurieux, diffamatoires, excessifs ou même menaçants ».
L’arrêt relève que les propos demeuraient « courtois, tout au plus agacés ou ironiques ». La salariée avait certes manifesté une contradiction aux observations de son supérieur, mais cette attitude ne pouvait caractériser un abus. La Cour note également que le contexte était celui d’une modification unilatérale des fonctions contractuelles, ce qui expliquait la tension existante.
La décision illustre l’exigence d’une caractérisation précise de l’abus. La simple existence d’un désaccord, même exprimé avec vivacité, ne suffit pas à priver le salarié de la protection attachée à sa liberté d’expression. La Cour conclut que « le licenciement, en partie fondé sur la violation d’une liberté fondamentale et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur l’éventuel bien fondé des autres griefs invoqués, est nul ».
II. La requalification de la clause de loyauté en clause de non-concurrence
La Cour analyse la portée réelle de la clause contractuelle litigieuse pour en déterminer la nature juridique (A). Elle en tire les conséquences quant à sa validité tout en refusant d’indemniser la salariée faute de préjudice démontré (B).
A. L’identification des effets anticoncurrentiels de la clause
L’article 10 des conditions générales du contrat stipulait une « obligation de loyauté et de respect de la clientèle » interdisant à la salariée de « détourner ou tenter de détourner la clientèle » de l’employeur « pendant et au-delà de la relation contractuelle ». La Cour relève que cette clause, « formulée en termes très larges et imprécis », imposait en réalité « une interdiction générale de contracter sous quelque forme que ce soit avec un client de la société ».
L’employeur soutenait qu’il s’agissait d’une simple obligation de non-sollicitation distincte d’une clause de non-concurrence. La Cour rejette cette analyse en constatant que la clause visait non seulement les clients avec lesquels la salariée avait été en contact, mais également « tout client de la société ». Elle ajoute que l’activité de l’employeur couvrait l’ensemble du territoire national, « ce qui revient à empêcher la salariée d’exercer auprès de tout client de l’employeur une quelconque activité concurrente, et ce sans limitation d’espace ».
Cette analyse fonctionnelle permet à la Cour de conclure que « cette clause s’analyse, de fait, comme une clause de non-concurrence ». Le juge n’est pas lié par la qualification donnée par les parties. Il doit rechercher les effets réels de la stipulation contractuelle sur la liberté professionnelle du salarié.
B. La nullité sans indemnisation faute de préjudice établi
La Cour rappelle les conditions cumulatives de validité d’une clause de non-concurrence : elle doit être « indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace », tenir compte « des spécificités de l’emploi du salarié » et comporter « l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière ». Elle constate que « ces conditions n’étant pas remplies en l’espèce, cette clause de non-concurrence est nulle ».
La salariée sollicitait des dommages-intérêts à hauteur de douze mois de rémunération. La Cour refuse de faire droit à cette demande au motif qu’elle « n’apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité d’un préjudice ayant résulté de la mise en œuvre de cette clause ». Elle précise que la salariée n’établit pas avoir « été concrètement empêchée, du fait de celle-ci, d’accéder à un emploi lui offrant des conditions plus favorables ».
Cette solution rappelle que la nullité d’une clause ne dispense pas le salarié de prouver son préjudice pour obtenir réparation. La Cour applique ici le principe selon lequel « il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi ». L’infirmation du jugement sur ce point témoigne de la rigueur probatoire exigée en matière indemnitaire, même lorsque l’illicéité de la clause est établie.