Cour d’appel de Dijon, le 4 septembre 2025, n°23/00323

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Dijon le 4 septembre 2025 illustre les conséquences procédurales d’une erreur d’identification du défendeur dans une action en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur. Un apprenti victime d’un accident du travail survenu le 29 octobre 2012 avait engagé une action tendant à faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Le gérant de la société employeur avait été condamné pénalement pour violation délibérée d’obligations de sécurité.

Les faits révèlent qu’un salarié, employé comme apprenti maçon depuis le 8 octobre 2012, a été victime d’un accident pris en charge au titre de la législation professionnelle. Par jugement du 27 avril 2018, le gérant de la société employeur a été reconnu coupable d’avoir causé des blessures involontaires par violation délibérée d’une obligation de sécurité et d’avoir omis de dispenser la formation appropriée.

Par requête postée le 25 mars 2022, la victime a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Mâcon en désignant expressément le gérant personne physique comme défendeur. Le tribunal a déclaré l’action irrecevable par jugement du 4 mai 2023. En appel, le requérant a modifié ses demandes pour les diriger contre la société, tout en maintenant une demande de provision contre le gérant personne physique.

La cour était saisie de la question de savoir si une action en reconnaissance de faute inexcusable peut valablement être dirigée contre une personne morale qui n’a jamais été appelée en la cause, et si une demande de provision peut être formée contre le gérant personne physique d’une société employeur.

La Cour d’appel de Dijon confirme le jugement et déclare irrecevable l’action dirigée contre la société. Elle retient que « ladite société n’en n’est pas pour autant dans la cause, dans laquelle elle n’a été ni appelée, ni n’est intervenue volontairement ». La demande de provision contre le gérant est également déclarée irrecevable au motif que « l’appelant reconnaît lui-même que son employeur n’est pas cette personne physique mais une société ».

Cette décision met en lumière l’exigence fondamentale d’identification du défendeur dans l’action en faute inexcusable (I) et ses implications sur la qualité pour défendre (II).

I. L’exigence d’une mise en cause régulière du véritable employeur

L’arrêt rappelle avec fermeté le principe du contradictoire comme condition de recevabilité de l’action (A), avant d’en déduire l’impossibilité de substituer un défendeur en cours d’instance (B).

A. Le principe du contradictoire comme fondement de l’irrecevabilité

La cour fonde sa décision sur l’article 14 du code de procédure civile aux termes duquel « nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ». Ce texte constitue l’expression procédurale du principe du contradictoire, garantie fondamentale du procès équitable.

En l’espèce, la requête introductive d’instance désignait sans équivoque le gérant personne physique. La cour relève que le libellé sollicitait la convocation de « Monsieur [X], artisan maçon » et non de la société. Cette précision terminologique emporte des conséquences décisives puisque le greffe a régulièrement convoqué la personne désignée.

L’appelant invoquait la signature du procès-verbal de non-conciliation par le gérant pour le compte de la société. La cour écarte cet argument en relevant que le document « ne comporte même pas de signature pour le compte de la société », seul le demandeur l’ayant signé. Cette constatation factuelle prive l’argumentation de tout fondement.

La rigueur de cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de déduire la mise en cause d’une personne morale de la seule comparution de son représentant légal agissant en son nom propre. Le formalisme procédural trouve ici sa pleine justification dans la protection des droits de la défense.

B. L’impossibilité de modifier l’identité du défendeur en cause d’appel

La cour refuse d’admettre que les demandes formulées en appel contre la société puissent régulariser l’instance. Elle souligne que la société « n’a été ni appelée, ni n’est intervenue volontairement » à hauteur d’appel.

La déclaration d’appel elle-même confirmait l’identité du défendeur originaire. Le conseil de l’appelant y indiquait interjeter appel du jugement « opposant Monsieur [H] à Monsieur [X] ». La cour en déduit l’absence de toute ambiguïté sur l’intention de l’appelant.

Cette solution s’explique par l’effet dévolutif de l’appel qui ne saurait permettre l’introduction de parties nouvelles hors les cas prévus par la loi. L’article 555 du code de procédure civile autorise certes l’intervention en cause d’appel, mais elle suppose une initiative de la partie concernée ou une mise en cause par voie d’assignation.

La jurisprudence refuse traditionnellement qu’une simple modification des conclusions puisse opérer mise en cause d’un tiers à l’instance. Cette exigence préserve la sécurité juridique du défendeur qui doit pouvoir identifier avec certitude la procédure dirigée contre lui.

II. La distinction entre l’employeur personne morale et son représentant légal

L’arrêt tire les conséquences de la personnalité morale distincte de la société (A) et sanctionne le défaut de qualité du gérant pour défendre à l’action (B).

A. L’autonomie juridique de la personne morale employeur

Le droit de la sécurité sociale désigne l’employeur comme débiteur de l’obligation de sécurité dont la violation caractérise la faute inexcusable. Lorsque l’employeur est une personne morale, c’est cette entité juridique distincte qui assume les obligations légales.

La cour souligne que « l’appelant reconnaît lui-même que son employeur n’est pas cette personne physique mais une société ». Cet aveu judiciaire scelle le sort de l’action. La condamnation pénale du gérant pour manquement aux règles de sécurité ne modifie pas cette analyse puisque la responsabilité pénale personnelle n’emporte pas confusion des patrimoines.

L’action en faute inexcusable présente une nature indemnitaire. Elle tend à la majoration de la rente et à la réparation de préjudices personnels. Ces prestations incombent à la caisse qui exerce ensuite un recours contre l’employeur. Cette architecture suppose l’identification correcte du débiteur final.

La confusion entre le gérant et la société qu’il représente constitue une erreur fréquente mais aux conséquences irrémédiables lorsque la prescription est acquise. L’écoulement du délai de deux ans depuis la consolidation interdit toute régularisation par nouvelle assignation.

B. Le défaut de qualité pour défendre du gérant personne physique

La cour applique l’article 32 du code de procédure civile qui dispose que « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». Le gérant, n’étant pas l’employeur, ne dispose pas de la qualité pour défendre à une action en faute inexcusable.

Cette fin de non-recevoir se distingue du défaut de pouvoir qui affecte la représentation d’une partie régulièrement en cause. Le gérant aurait pu représenter la société si celle-ci avait été assignée. L’action aurait alors été valablement dirigée contre le véritable débiteur.

La demande de provision formulée contre le gérant encourt la même irrecevabilité. La cour relève que l’appelant « répète cette demande dans ses conclusions soutenues oralement à l’audience » sans pour autant reprendre sa demande d’infirmation. Cette observation procédurale aggrave la situation du demandeur qui maintient une prétention manifestement irrecevable.

L’arrêt confirme ainsi la jurisprudence qui refuse d’engager la responsabilité personnelle du dirigeant sur le fondement de la faute inexcusable. Seule une faute détachable des fonctions pourrait justifier une action directe contre lui sur un autre fondement.

Cet arrêt rappelle l’importance d’une identification rigoureuse du défendeur dans le contentieux de la faute inexcusable. La personnalité morale de l’employeur constitue un écran juridique que la procédure civile ne permet pas de franchir par une simple rectification des conclusions. La solution, conforme aux principes directeurs du procès, sanctionne une négligence procédurale aux conséquences définitives pour la victime.

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Hassan KOHEN
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