Cour d’appel de Dijon, le 4 septembre 2025, n°23/00335

Par un arrêt de la Cour d’appel de Dijon, chambre sociale, du 4 septembre 2025, la juridiction statue sur la qualification d’un accident du travail et sur la recevabilité d’un recours préalable. L’espèce concerne un assuré, boucher, qui déclare une vive douleur lors du décrochage d’une pièce de viande en chambre froide, d’abord datée au 2 mai 2021, puis rectifiée au 1er mai 2021.

Deux déclarations ont été instruites séparément par la caisse, l’une née d’un formulaire du 26 juillet 2021 pour le 2 mai 2021, l’autre d’une déclaration du 12 mai 2022 pour le 1er mai 2021. Des certificats médicaux initiaux mentionnent lombalgies et douleurs bilatérales d’épaule, sans témoin désigné, avec un rectificatif médical quant à la date alléguée. La caisse refuse la prise en charge pour le 2 mai 2021 le 19 octobre 2021, puis pour le 1er mai 2021 le 8 août 2022, notamment faute de lien de subordination et de matérialité.

Saisi, le pôle social du tribunal judiciaire de Dijon, par jugement du 9 mai 2023, joint les affaires, déclare irrecevables les demandes relatives au 1er mai 2021, confirme l’absence de prise en charge pour le 2 mai 2021, et prononce une amende civile. En appel, l’assuré sollicite l’infirmation partielle, la reconnaissance de l’accident au 1er mai 2021 et la prise en charge, tandis que la caisse conclut à la confirmation, outre une demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La question de droit tient, d’une part, à l’exigence du recours préalable devant la commission de recours amiable pour contester la décision du 8 août 2022, d’autre part, à la preuve du fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail pour la date du 2 mai 2021. La cour confirme l’irrecevabilité des prétentions liées au 1er mai 2021, confirme le refus de prise en charge du 19 octobre 2021, écarte l’amende civile et accorde une somme au titre de l’article 700.

I. Le sens de la décision

A. La fin de non‑recevoir procédurale fondée sur le recours préalable

La cour rappelle la règle, en des termes précis, qui encadre les contentieux de sécurité sociale. Elle énonce que « Il ne fait pas débat entre les parties que les contestations des décisions prises par les organismes de sécurité sociale doivent être précédées, en application des articles L. 142-1 et L. 142-4 du code de sécurité sociale, d’un recours devant la commission de recours amiable de la caisse, sous peine d’irrecevabilité de toute demande contentieuse. » La référence combinée aux textes confirme le caractère impératif du filtre amiable, dont l’omission entraîne une irrecevabilité de plein droit.

La cour constate l’absence de saisine démontrée de la commission contre la décision du 8 août 2022, qui avait été rendue au terme d’une instruction distincte ouverte par la seconde déclaration. Elle en tire la conséquence suivante, exprimée sans ambiguïté: « En conséquence, en l’absence de justification d’aucune saisine de la commission de recours amiable en contestation de la décision de la caisse rendue le 8 août 2022 par la caisse, à l’issue de la procédure instruite au titre de l’accident daté du 1er mai 2021 dans la déclaration d’accident du 12 mai 2022, les contestations contentieuses à l’encontre du refus de cette prise en charge doivent être déclarés irrecevables, le jugement déféré étant par conséquent confirmé sur ce point. » La motivation articule classiquement la règle et le fait générateur de la fin de non‑recevoir.

B. La qualification d’accident du travail et la charge de la preuve

La cour situe le cadre normatif au regard de l’article L. 411‑1 du code de la sécurité sociale, qu’elle cite en ces termes: « Selon l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. » Elle rappelle ensuite la dialectique entre présomption d’imputabilité et charge probatoire pesant sur l’assuré, en précisant: « Si cet article institue une présomption d’imputabilité au travail de l’accident lorsque celui-ci survient au temps et au lieu de travail, il incombe à l’assuré de rapporter la preuve d’un fait accidentel au temps et au lieu de travail. »

Appliquant ces principes, la cour constate l’absence d’activité professionnelle le 2 mai 2021, de sorte qu’aucun fait accidentel intervenu au temps et au lieu du travail ne peut être retenu pour cette date. Elle conclut d’ailleurs que « Ainsi en l’absence d’accident survenu le 2 mai 2011, a fortiori en lien avec l’activité professionnelle, le refus de la caisse du 19 octobre 2021 de le prendre en charge n’est pas critiquable et ce chef de jugement doit par conséquent être confirmé. » La mention « 2011 » relève manifestement de l’erreur matérielle, sans altérer le raisonnement ni la portée de la solution.

II. Valeur et portée de la solution

A. La rigueur du filtre préalable et l’économie contentieuse

Sur le terrain procédural, la solution conforte un mécanisme de régulation des litiges sociaux au moyen d’un recours préalable obligatoire. Elle en souligne l’effectivité en cas de pluralité de déclarations successives, instruites séparément, qui imposent autant de recours préalables autonomes. Cette approche prévient les confusions sur l’objet du litige et favorise un débat complet dès le stade amiable, au prix d’une discipline procédurale accrue pour l’assuré.

La motivation sur l’amende civile manifeste une appréciation mesurée du droit d’agir, en rappelant d’abord le texte applicable: « Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. » Après examen des circonstances, la cour juge qu’aucun abus n’est caractérisé et tranche nettement: « Il n’y a donc pas lieu à amende civile et ce chef de jugement sera par conséquent infirmé. » L’équilibre préserve l’accès au juge, tout en laissant intact l’outil répressif lorsque la mauvaise foi est établie.

B. La portée matérielle sur la preuve et la gestion des déclarations multiples

Au fond, la solution réaffirme que la présomption d’imputabilité ne se déclenche qu’en présence d’un fait accidentel établi au temps et au lieu du travail. Cette exigence probatoire, rappelée avec clarté, protège la cohérence du régime des risques professionnels et circonscrit les hypothèses de prise en charge. Elle invite les salariés à documenter immédiatement les circonstances, spécialement en l’absence de témoins.

La séparation des instructions, liée à des dates divergentes non rectifiées via la première déclaration, emporte des conséquences pratiques notables. Elle commande des voies de recours distinctes et segmente l’appréciation de la matérialité, ce qui renforce la prévisibilité pour la caisse et impose une vigilance accrue aux déclarants. L’allocation d’une somme au titre de l’article 700, modérée au regard de l’issue, s’inscrit dans cette logique d’ordonnancement adéquat des charges procédurales.

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Hassan KOHEN
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