Cour d’appel de Dijon, le 4 septembre 2025, n°24/01439

La procédure d’appel exige le respect de formalismes stricts dont la méconnaissance emporte des sanctions radicales. L’arrêt rendu le 4 septembre 2025 par la cour d’appel de Dijon illustre cette rigueur en confirmant la caducité d’une déclaration d’appel pour défaut de conformité des conclusions aux prescriptions de l’article 954 du code de procédure civile.

En l’espèce, quatre enfants issus d’une même union se trouvaient en litige dans le cadre des opérations de liquidation-partage de la succession de leur père décédé le 2 avril 2017. Par jugement du 15 octobre 2024, le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône avait débouté trois des cohéritiers de leur demande tendant à la condamnation de leur sœur au paiement d’une indemnité de réduction de la quotité disponible. Les demandeurs déboutés ont relevé appel le 25 novembre 2024. L’intimée a soulevé un incident de caducité. Par ordonnance du 12 juin 2025, le magistrat de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d’appel au motif que les conclusions signifiées le 14 février 2025 ne comportaient pas, dans leur dispositif, l’énoncé des chefs du jugement critiqués. Les appelants ont déféré cette ordonnance à la cour.

Les appelants soutenaient que leurs conclusions respectaient les exigences légales dès lors que les chefs de jugement critiqués figuraient dans la déclaration d’appel. Ils invoquaient un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 16 janvier 2025 selon lequel le prononcé d’une caducité porterait une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge lorsque l’intimé peut appréhender le périmètre de l’effet dévolutif. L’intimée répliquait que la jurisprudence invoquée concernait les conclusions d’intimé et que le défaut de mention des chefs critiqués dans le dispositif privait la cour de toute prétention.

La question posée à la cour était de savoir si des conclusions d’appel dont le dispositif ne mentionne pas les chefs du jugement critiqués, conformément à l’article 954 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 29 décembre 2023, constituent des conclusions valables au sens de l’article 908 du même code.

La cour d’appel de Dijon confirme l’ordonnance de caducité. Elle juge que « le respect de la diligence impartie par l’article 908 est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de l’article 954 ». Elle relève que « l’objet du litige ne peut être déterminé — lorsqu’il est conclu à l’infirmation ce qui est naturellement le cas des appelants — que par la mention dans le dispositif des chefs de jugement critiqués ». Elle conclut que « la conséquence du défaut des chefs de jugement critiqués dans le dispositif des premières conclusions, par application combinée des articles 954 et 915-2 du code de procédure civile, est donc bien l’absence de prétentions ».

Cette décision révèle l’articulation désormais indissociable entre les exigences de forme des conclusions et la validité de l’appel (I), tout en soulevant la question de la proportionnalité de la sanction au regard du droit d’accès au juge (II).

I. L’exigence d’une conformité formelle des conclusions comme condition de validité de l’appel

La cour consacre l’interdépendance des articles 908 et 954 du code de procédure civile (A), ce qui conduit à faire du dispositif des conclusions le vecteur exclusif de la détermination du litige (B).

A. L’interdépendance des articles 908 et 954 du code de procédure civile

L’article 908 du code de procédure civile impose à l’appelant de remettre ses conclusions au greffe dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel, à peine de caducité relevée d’office. La cour précise la nature de ces conclusions en rappelant qu’elles sont « celles, remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte, qui déterminent l’objet du litige porté devant la cour ».

Le décret du 29 décembre 2023 a modifié l’article 954 pour imposer que le dispositif des conclusions indique si l’appelant demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, en cas d’infirmation, « les chefs du dispositif du jugement critiqués ». La cour approuve le magistrat de la mise en état d’avoir estimé que « l’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminées dans les conditions fixées par l’article 954 […], le respect de la diligence impartie par l’article 908 est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de l’article 954 ».

Cette lecture combinée signifie que des conclusions formellement irrégulières au regard de l’article 954 ne peuvent satisfaire à l’obligation de l’article 908. Le formalisme procédural acquiert ainsi une dimension substantielle puisqu’il conditionne l’existence même de l’appel.

B. Le dispositif des conclusions comme vecteur exclusif de détermination du litige

La cour affirme sans ambiguïté que « l’objet du litige ne peut être déterminé — lorsqu’il est conclu à l’infirmation — que par la mention dans le dispositif des chefs de jugement critiqués ». Cette formulation exclut toute équivalence fonctionnelle entre la déclaration d’appel et le dispositif des conclusions.

Les appelants faisaient valoir que les chefs de jugement critiqués étaient mentionnés dans leur déclaration d’appel. La cour rejette cet argument en relevant que « le premier jeu de conclusions […] est désormais le pivot de l’appel puisqu’il appartient à l’appelant de formaliser voire de régulariser le périmètre de son appel dans ses premières écritures ». L’article 915-2, qui permet aux conclusions de compléter la déclaration d’appel, ne peut jouer en sens inverse.

La conséquence est radicale. « À défaut, la cour n’est pas saisie de conclusions d’appel qui déterminent l’objet du litige dans les formes exigées par les textes ». L’irrégularité formelle équivaut à une absence de prétention et prive la cour d’effet dévolutif.

II. La proportionnalité contestée de la sanction de caducité

Les appelants invoquaient la jurisprudence relative au droit d’accès au juge, mais la cour écarte cet argument (A), consacrant une conception stricte du formalisme procédural qui n’est pas sans soulever des interrogations (B).

A. Le rejet de l’argument tiré de l’atteinte au droit d’accès au juge

Les appelants se prévalaient d’un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 16 janvier 2025 selon lequel une déclaration de caducité porterait une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge lorsque l’intimé peut appréhender le périmètre de l’effet dévolutif.

La cour neutralise cette argumentation en relevant que les appelants s’appuient « sur un arrêt qui ne peut concerner que les intimés ». La distinction est pertinente. La jurisprudence invoquée visait l’hypothèse où l’intimé, malgré une irrégularité, disposait des éléments suffisants pour organiser sa défense. La situation de l’appelant diffère car c’est sur lui que pèse l’obligation de déterminer l’objet du litige.

La cour ne se prononce pas sur l’existence d’un grief subi par l’intimée. Elle observe que « la question n’est pas de savoir si elle ou la cour pouvaient comprendre, ni l’existence ou non d’un grief ». Le formalisme de l’article 954 s’impose indépendamment de toute considération finaliste.

B. Une conception stricte du formalisme procédural

La solution retenue traduit une approche rigoureuse du formalisme. La cour admet que « la cour ne pourrait en tout état de cause, faute d’effet dévolutif de l’appel, que confirmer le jugement dont appel ». Elle constate ainsi que le résultat de la caducité et celui de l’absence de prétentions se rejoignent.

Cette convergence des effets peut interroger. Si la cour reconnaît qu’elle ne pourrait que confirmer le jugement, c’est qu’elle envisage le fond du litige. La caducité apparaît alors comme une sanction de pure forme, détachée de toute considération sur la compréhension effective du litige par les parties.

La réforme issue du décret du 29 décembre 2023 a renforcé les exigences pesant sur l’appelant. Le premier jeu de conclusions devient « le pivot de l’appel » et doit contenir tous les éléments de détermination du litige. Cette évolution renforce la sécurité juridique au prix d’une sévérité accrue envers les justiciables qui méconnaissent ces exigences formelles. La question demeure de savoir si cette rigueur procédurale, appliquée sans considération pour l’intelligibilité effective du recours, satisfait pleinement aux exigences du procès équitable.

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Hassan KOHEN
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