Cour d’appel de Douai, le 11 juillet 2025, n°23/01366

Par un arrêt de la Cour d’appel de Douai, chambre sociale, du 11 juillet 2025 (n° RG 23/01366), la juridiction tranche un différend né d’un licenciement pour faute grave. Le salarié, engagé en septembre 2020 comme directeur industriel, a été licencié en décembre 2021 après mise à pied conservatoire. L’employeur invoquait quatre griefs: refus d’utiliser l’ERP-SAP, abandon de l’audit ISO 14001, excès de délégation, et refus d’adhérer à la transformation de l’entreprise. Le conseil de prud’hommes d’Arras (14 septembre 2023) a dit la rupture sans cause réelle et sérieuse, a alloué des indemnités, a accordé le solde de la prime variable et a rejeté diverses demandes subsidiaires.

L’appel interjeté par l’employeur visait l’infirmation des condamnations. L’arrêt relève d’emblée que «Le litige est très factuel et technique.» La question posée tient à l’existence d’une faute grave au regard de griefs précis et datés, sous le contrôle de la prescription disciplinaire, ainsi qu’à l’exigibilité d’une part variable contractuelle en l’absence d’objectifs opérationnels clairement notifiés. La cour confirme l’absence de cause réelle et sérieuse, rappelant que «Il s’ensuit que le licenciement ne repose sur aucun grief sérieux», tout en révisant à la baisse l’indemnisation du préjudice d’emploi, et en confirmant le paiement du reliquat de prime d’objectifs.

I. L’appréciation des griefs disciplinaires au regard des exigences probatoires

A. ERP et audit ISO 14001: absence de manquement caractérisé
La cour écarte le premier grief en constatant la demande de formation, antérieure et incertaine quant à sa réalisation, et l’absence de preuve d’un défaut d’initiative fautif pour l’obtention d’une licence. Elle juge, à propos de l’outil logistique, que «Le grief ne peut être retenu.» Le second grief relatif à l’audit est également rejeté, au vu d’éléments médicaux contemporains et d’une information donnée à l’employeur avant le télétravail ponctuel. La motivation retient que «Le grief n’apparaît pas constitué.» Le juge du fond exige ainsi des éléments objectifs, datés et imputables au salarié, plutôt que de simples reproches de principe.

B. Délégations, prescription disciplinaire et périmètre de responsabilité
S’agissant des délégations antérieures, la cour applique strictement l’article L.1332-4 du code du travail: «C’est à juste titre que l’intimé invoque la prescription disciplinaire de l’article L.1332-4 du code du travail.» L’employeur ne justifiant pas d’une connaissance récente, l’action disciplinaire était forclose pour ces faits. Concernant la délégation à un technicien du service informatique, la juridiction relève l’absence de preuve d’une responsabilité exclusive du salarié sur un service en cours de structuration et la technicité propre du contrat négocié, pour conclure que «Le grief sera écarté.» Le reproche global de refus de transformation est enfin qualifié de simple réitération: «celui-ci n’est en réalité, en substance, qu’une redite des reproches précédents qui ont été réfutés», ce qui scelle l’absence d’assise sérieuse de la rupture.

II. Portée indemnitaire et traitement de la rémunération variable

A. Quantum des dommages-intérêts et accessoires de rupture
La cour rappelle d’abord les effets de l’absence de cause réelle et sérieuse: salaire pendant la mise à pied conservatoire, indemnité légale de licenciement, préavis de trois mois pour un cadre de moins de cinquante ans. Pour l’indemnité réparant la perte d’emploi, elle s’aligne sur le bornage applicable à l’ancienneté retenue: «Disposant par ailleurs d’une ancienneté comprise entre 1 et 2 ans, son préjudice de perte d’emploi est réparé par des dommages-intérêts pouvant aller jusqu’à 2 mois de salaire.» Appréciant l’âge, la qualification, la rémunération et le reclassement effectif, elle fixe souverainement l’indemnité à un montant forfaitaire: «Il lui sera accordé la somme de 8 000 euros.» Les autres demandes accessoires, relatives au caractère vexatoire de la rupture, au retard documentaire et à l’abondement d’épargne salariale, sont rejetées faute de preuve d’un préjudice distinct ou de la condition préalable de versement.

B. Prime d’objectifs: précision des critères et cohérence des versements
Le contrat prévoyait une rémunération variable de 10 000 euros, versée pour moitié en mai et pour moitié en novembre 2021, sur la base d’objectifs déterminés en amont. La cour souligne la dissociation nécessaire entre objectifs d’évaluation liés au poste et objectifs de production déclenchant la prime, qui «devaient lui être assignés de façon précise en novembre 2020 par une notification séparée.» Elle relève surtout la portée probatoire du premier versement intégral: «l’entier paiement de la moitié de la prime à l’échéance prévue en mai 2021 suppose nécessairement que les résultats étaient déjà satisfaisants», ce qui rend infondée la rétention du solde en novembre. La condamnation au paiement du reliquat est donc confirmée, dans la logique d’un système d’objectifs qui doit être antérieurement notifié, intelligible et appliqué avec constance.

Confirmant le jugement quant au principe de l’irrégularité de la rupture et aux accessoires, l’arrêt affine l’évaluation du préjudice d’emploi et réaffirme, avec sobriété, l’exigence de griefs établis. Il clôt le débat en allouant des frais irrépétibles d’appel, au regard de l’issue du litige, retenant qu’«Il sera équitable de condamner la société […] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.»

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