Cour d’appel de Douai, le 11 juillet 2025, n°24/00030

La cour d’appel de Douai, par un arrêt du 11 juillet 2025, statue sur la question de l’indemnité de précarité due au salarié à l’issue de contrats à durée déterminée successifs.

Un salarié avait été engagé en qualité de responsable de projets par une association, d’abord du 4 août au 31 décembre 2020, puis du 4 janvier au 31 décembre 2021. À l’issue de ces contrats, il réclama le versement de l’indemnité de fin de contrat prévue par l’article L. 1243-8 du code du travail. L’employeur refusa, soutenant que le salarié avait décliné une proposition de contrat à durée indéterminée. Le conseil de prud’hommes de Béthune, par jugement du 5 décembre 2023, débouta le salarié de cette demande et le condamna à verser des dommages et intérêts pour déloyauté. Le salarié interjeta appel.

L’association employeur prétendait que le salarié savait « pertinemment que son contrat à durée déterminée se poursuivrait en contrat à durée indéterminée », dès lors qu’il avait participé à des négociations avec un partenaire pour l’année suivante et s’était engagé à représenter l’association lors d’un salon ultérieur. Le salarié contestait avoir reçu une proposition formelle de contrat à durée indéterminée.

La cour devait déterminer si l’employeur pouvait invoquer l’exception de l’article L. 1243-10, 3° du code du travail, qui prive le salarié de l’indemnité de précarité lorsqu’il « refuse d’accepter la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire ».

La cour d’appel de Douai infirme le jugement. Elle condamne l’association à verser l’indemnité de précarité et rejette la demande de dommages et intérêts pour déloyauté. Elle retient qu’« il ne ressort d’aucune pièce » qu’une proposition écrite de contrat à durée indéterminée « précisant notamment sa fonction et sa rémunération » ait été faite au salarié avant le terme de son contrat.

L’arrêt invite à examiner les conditions du refus d’un contrat à durée indéterminée excluant l’indemnité de précarité (I), avant d’apprécier les conséquences de l’absence de proposition formelle sur la qualification de déloyauté (II).

I. L’exigence d’une proposition formelle de contrat à durée indéterminée

Le régime de l’exception au droit à l’indemnité de précarité suppose l’existence d’une proposition effective (A), que la cour apprécie en imposant un formalisme probatoire rigoureux (B).

A. Le fondement légal de l’exception au droit à l’indemnité de précarité

L’article L. 1243-8 du code du travail prévoit que le salarié en contrat à durée déterminée perçoit, au terme de celui-ci, une indemnité égale à dix pour cent de la rémunération brute totale. Cette indemnité compense la précarité inhérente à ce type de contrat. L’article L. 1243-10 du même code énumère les cas d’exclusion de cette indemnité. La cour rappelle que celle-ci n’est pas due « lorsque le salarié refuse d’accepter la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente ».

Le législateur a ainsi entendu réserver l’exclusion de l’indemnité aux hypothèses où le salarié, par son refus délibéré, renonce lui-même à la stabilité professionnelle que lui offrait l’employeur. La précarité cesse alors d’être subie pour devenir choisie. Cette logique justifie la perte du droit à indemnisation. La cour s’inscrit dans cette interprétation téléologique en exigeant que l’employeur rapporte la preuve d’une proposition effective et suffisamment précise.

B. La nécessité d’une proposition écrite et circonstanciée

La cour relève que l’association prétendait que le salarié avait connaissance de la poursuite envisagée de la relation contractuelle. Elle s’appuyait sur sa participation à des échanges avec un partenaire institutionnel et sur son engagement à participer à des événements prévus après le terme du contrat. La cour écarte ces éléments en jugeant qu’« il ne saurait en tout état de cause être déduit du seul fait » que le salarié ait annoncé la présence de l’association à un salon « le fait qu’il lui ait été proposé un contrat de travail à durée indéterminée ».

La cour exige ainsi une proposition formalisée « par écrit » mentionnant « notamment sa fonction et sa rémunération ». Cette exigence probatoire s’inscrit dans la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, qui impose à l’employeur de démontrer les éléments essentiels de la proposition pour que le refus du salarié puisse lui être opposé. L’implicite ne saurait suffire. La simple participation du salarié à la vie de l’association au-delà du terme prévisible de son contrat ne vaut pas acceptation tacite d’une proposition inexistante.

II. L’impossible qualification de déloyauté en l’absence de proposition formelle

L’absence de proposition formelle neutralise le grief de déloyauté formulé par l’employeur (A), ce qui confirme la protection du salarié à l’expiration régulière de son contrat (B).

A. Le rejet du grief de déloyauté fondé sur un départ au terme du contrat

L’association sollicitait des dommages et intérêts pour déloyauté, arguant que le départ du salarié l’avait privée de subventions importantes. La cour rejette cette demande en énonçant qu’« il ne peut être reproché » au salarié « d’avoir quitté l’association au terme de son contrat durée déterminée ». Elle souligne que l’annonce de son départ lors du conseil d’administration du 22 décembre 2021 est intervenue alors que l’association ne lui avait adressé « aucune proposition écrite de contrat de travail à durée indéterminée, ni même à durée déterminée ».

Le contrat à durée déterminée se caractérise par un terme extinctif. Le salarié n’est tenu d’aucune obligation de poursuivre la relation de travail au-delà de ce terme. L’employeur qui souhaite conserver le salarié doit formuler une proposition en temps utile. La cour refuse de faire peser sur le salarié la responsabilité d’une carence de l’employeur dans la formalisation de ses intentions.

B. La portée de l’arrêt sur l’équilibre des obligations dans la cessation du contrat

L’arrêt rappelle que l’obligation de bonne foi prévue par l’article L. 1221-1 du code du travail s’applique à l’exécution du contrat et non à la liberté du salarié de ne pas poursuivre une relation contractuelle parvenue à son terme naturel. La cour précise que la convention avec le partenaire institutionnel « n'[avait] même pas été signée » à la date où le salarié annonça son départ. L’employeur ne pouvait donc se prévaloir d’une situation acquise que sa propre inertie avait empêché de consolider.

Cette décision s’inscrit dans une conception protectrice du salarié en contrat à durée déterminée. Elle sanctionne l’employeur qui tente de reporter sur le salarié les conséquences de son propre défaut d’anticipation. Elle confirme que l’indemnité de précarité constitue un droit acquis au terme du contrat, dont l’exclusion suppose la démonstration rigoureuse des conditions légales par l’employeur. La cour condamne également l’association aux dépens et à une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sanctionnant ainsi une résistance abusive à des prétentions légitimes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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