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Par un arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai le 11 juillet 2025, la chambre sociale tranche divers chefs de demande articulés autour de la preuve des heures supplémentaires, du régime conventionnel des indemnités de repas, du harcèlement moral, de la résiliation judiciaire, du travail dissimulé et de la délivrance des bulletins de paie. Le litige naît d’une relation de travail de chauffeur-livreur, conclue d’abord en contrat à durée déterminée puis en contrat à durée indéterminée, interrompue par un arrêt maladie prolongé et close par un licenciement pour inaptitude à la suite d’un avis du médecin du travail.
Saisi antérieurement d’une demande de résiliation judiciaire assortie de multiples prétentions indemnitaires, le conseil de prud’hommes de Lille, par jugement du 22 février 2024, n’avait alloué qu’une somme modeste au titre des frais de repas et avait débouté le salarié du surplus. En cause d’appel, l’intéressé sollicitait des rappels d’heures supplémentaires, des dommages-intérêts pour harcèlement moral, manquement à l’obligation de sécurité et exécution déloyale, des indemnités de rupture, une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et la remise des documents de fin de contrat, tandis que l’employeur concluait au rejet et formait appel incident sur les frais de repas.
La question juridique centrale porte d’abord sur la répartition de la charge probatoire en matière d’heures supplémentaires et sur ses effets, directs ou indirects, quant aux autres chefs (harcèlement moral, résiliation judiciaire, travail dissimulé). La Cour affirme à cet égard que « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ». Elle rappelle que « le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées » et qu’« il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant ». Au terme de l’analyse des pièces contradictoirement produites, la Cour ne retient qu’un unique dépassement significatif, limite le rappel d’heures à une journée et écarte les demandes afférentes aux repas, au harcèlement, à la résiliation et au travail dissimulé, tout en indemnisant la rétention abusive des bulletins de paie et en ordonnant leur délivrance.
I. Le régime probatoire des heures supplémentaires et sa mise en œuvre concrète
A. L’exigence d’éléments suffisamment précis et le pouvoir souverain d’appréciation du juge
La Cour s’inscrit d’emblée dans le cadre probatoire désormais classique en matière d’heures, en rappelant la mécanique de l’allégement de preuve et de la discussion contradictoire des éléments produits de part et d’autre. L’énoncé de principe est limpide et décisif pour l’économie du litige, puisque « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur […] d’y répondre utilement ». En miroir, le contrôle juridictionnel demeure intégral, car « le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments » et, en cas de dépassement établi, « il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci ».
La Cour confronte les décomptes manuscrits du salarié aux feuilles de route, plannings et lettres de voiture, en relevant des incohérences, notamment l’intégration de pauses non travaillées et l’imprécision des amplitudes déduites de pièces ne révélant que l’heure de la dernière livraison. Elle retient l’existence d’un seul dépassement d’amplitude une veille d’arrêt de travail, ce qui circonscrit le rappel dû. Cette approche illustre la logique probatoire bilatérale et confirme la latitude d’évaluation du juge du fond.
B. La réduction du rappel aux seules heures établies et le rejet corrélatif des demandes accessoires
Au vu du faisceau de pièces, la Cour conclut que « il résulte de l’ensemble de ces éléments que seul rappel de salaire au titre des heures supplémentaires est dû par la journée du 2 mars 2021 ; qu’il convient d’évaluer à la somme de 64,06 euros et à 6,40 euros les congés payés y afférents ». La portée de cette affirmation excède la seule quantification, car elle borne l’allégation d’une amplitude constante et dément l’existence d’une pratique générale durable.
Le même mouvement d’analyse conduit au rejet de la demande d’indemnités de repas, au regard des textes conventionnels applicables à la zone de camionnage et de la condition tenant à la prise de repas hors du lieu de travail. La Cour constate la perception régulière d’une indemnité spécifique et l’absence de preuve quotidienne de la contrainte de restauration extérieure, de sorte que « en conséquence l’appelant ne démontre pas que son employeur soit redevable d’un rappel d’indemnités de repas ». En clarifiant ainsi les postes salariaux, l’arrêt prépare l’examen des griefs tenant aux conditions de travail et à leurs effets juridiques.
II. La valeur et la portée de la décision sur les autres griefs et obligations
A. L’insuffisance des éléments pour présumer un harcèlement moral et pour justifier une résiliation judiciaire
La Cour rappelle la nécessité d’« éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». Les seules invocations d’injures non corroborées, associées à un dépassement isolé d’amplitude et à un rappel d’heures modeste, ne satisfont pas au seuil probatoire. L’énoncé est précis et rigoureux : « la reconnaissance d’heures supplémentaires pour la somme de 64,06 euros et le dépassement à une seule reprise de l’amplitude journalière maximale ne peuvent constituer des éléments de fait de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral qui suppose en outre des agissements répétés ». La Cour réaffirme ainsi le caractère répété et objectivé des agissements constitutifs, condition cumulative et non supplétive.
Dans le même esprit, la gravité du manquement exigée par la résiliation judiciaire n’est pas remplie, l’arrêt précisant que « le seul défaut de paiement d’un modeste rappel d’heures supplémentaires ne constitue pas un manquement suffisamment grave de l’employeur pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de ce dernier ». Ce standard de gravité, appliqué à des faits limités dans le temps et dans leur intensité, assure la cohérence du droit positif, en réservant la résiliation aux hypothèses de défaillance structurelle et persistante. L’articulation retenue éclaire la frontière entre difficulté ponctuelle de gestion du temps et atteinte durable à l’exécution loyale du contrat.
B. L’exigence d’intention en matière de travail dissimulé et la sanction de la rétention de bulletins
S’agissant du travail dissimulé, la Cour retient l’absence d’élément intentionnel, conformément à l’exigence textuelle. L’arrêt constate que « l’intention de la société intimée de se livrer à du travail dissimulé par dissimulation d’activité n’est pas établie ». L’échec de la démonstration s’explique par le caractère isolé du rappel et par l’absence d’indices convergents d’une stratégie de dissimulation. La solution s’inscrit dans la ligne qui distingue l’erreur de paie ponctuelle, fût-elle fautive, de la dissimulation délibérée d’activité ou d’emploi salarié.
En revanche, la Cour sanctionne la carence dans la délivrance des bulletins, rappelant l’obligation mensuelle de remise, y compris pendant la suspension du contrat. Elle relève que le salarié « n’a pu avoir satisfaction qu’en raison de la convocation de la société à l’audience du bureau de conciliation et d’orientation fixée le 22 novembre 2021 ; que la réticence abusive de l’employeur lui a bien occasionné un préjudice qu’il convient d’évaluer à 500 euros ». La mesure de réparation est proportionnée et pédagogique, et s’accompagne d’une injonction utile, puisque « il convient d’ordonner la délivrance par la société d’un bulletin de paye conforme au présent arrêt ». L’arrêt réaffirme ici un double message normatif : l’accessoire documentaire n’est ni optionnel ni différable, et sa violation, même sans perte pécuniaire avérée, ouvre droit à une indemnisation spécifique.
Au total, la décision combine une appréciation précise et circonspecte de la preuve des heures avec un rappel ferme des exigences relatives aux documents de paie et à l’élément intentionnel du travail dissimulé. Elle clarifie la portée probatoire d’éléments manuscrits non corroborés, circonscrit les effets de dépassements isolés et opère une hiérarchisation des manquements conforme à l’économie du droit du travail.