Cour d’appel de Douai, le 11 juillet 2025, n°24/01403

Par un arrêt du 11 juillet 2025, la Cour d’appel de Douai statue sur la requalification de missions d’intérim en contrat à durée indéterminée et ses effets.

Un salarié intérimaire a enchaîné 146 contrats entre mai 2021 et juillet 2022 auprès d’une entreprise utilisatrice, sous le motif d’un accroissement temporaire d’activité. Saisi le 12 avril 2023, le conseil de prud’hommes de Calais l’a débouté par jugement du 3 juin 2024, ce qui a conduit à l’appel. Devant la cour, l’appelant sollicitait la requalification en CDI à compter du 28 mai 2021, des indemnités de rupture, des salaires interstitiels et une indemnité de requalification. Les intimées sollicitaient la confirmation du jugement en appel et également l’allocation d’une indemnité de procédure.

La question posée était double: la régularité du motif d’accroissement temporaire en contexte sanitaire et le respect du délai de carence entre missions successives, avec leurs conséquences. La cour infirme, requalifie la mission du 28 mai 2021 côté utilisatrice et celle du 22 juin 2021 côté entreprise de travail temporaire, puis fixe les indemnités. Elle relève enfin que « le contrat à durée indéterminée ayant été illégalement rompu, sans lettre ni motif », des dommages-intérêts doivent être alloués.

I. Les fondements de la requalification

A. Le non-respect du délai de carence

Le régime des articles L. 1251-36 et L. 1251-6 impose un délai de carence entre missions successives, sauf exceptions limitatives étrangères au motif d’accroissement retenu. Deux contrats se sont enchaînés sans délai les 16–22 et 22–26 juin 2021, alors que leur motif commun était l’augmentation de l’activité, hors remplacement ou saisonnalité. La motivation retient que « ces contrats ayant tous deux comme motif « l’augmentation de l’activité commerciale » sans précision de son caractère temporaire » la carence s’imposait. Cette analyse exclut l’application des dérogations, car aucune mission n’était conclue pour un remplacement, ni pour un emploi d’usage, ni pour des travaux urgents. Il s’ensuit, à l’égard de l’entreprise de travail temporaire, la requalification à compter de la mission reprise, conformément au mécanisme légal et aux effets attachés.

B. L’insuffisance d’un simple besoin d’organisation

La cour rappelle que « en cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire il appartient à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de travail ». Or la baisse du trafic contredisait l’augmentation alléguée; la formation retient que « il ne prouve pas l’impossibilité de les effectuer avec ses effectifs existants ». Elle souligne encore que « il disposait déjà de salariés permanents pouvant sans grande difficulté être affectés à ce type de contrôles ne nécessitant pas une technicité particulière ». L’intéressé n’était d’ailleurs pas exclusivement mobilisé sur ces vérifications; la cour constate que « il justifie avoir été affecté au remplacement d’agents en pause ». Ce constat caractérise un emploi relevant de l’activité normale; il est expressément rattaché à « un emploi durable liée à l’activité permanente de l’entreprise ». Le raisonnement combine ainsi contrôle du motif et vérification des enchaînements contractuels, ce qui conditionne la nature du lien et ses suites indemnitaires.

II. Valeur et portée de la solution

A. Conformité au droit positif

La solution s’aligne sur l’exigence selon laquelle le travail temporaire ne saurait pourvoir durablement un emploi rattaché à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Elle réaffirme la charge probatoire pesant sur l’utilisatrice, tout en privilégiant des indices factuels précis, notamment l’organisation interne, la polyvalence et l’affectation de personnels permanents. La mise en œuvre de l’article L. 1251-40 entraîne la prise d’effet du CDI au premier jour de la mission requalifiée, justifiant les droits de rupture et l’indemnité adéquate. L’appréciation contextuelle du pic lié aux contraintes sanitaires demeure mesurée: la cour exige une démonstration opérationnelle d’impossibilité, et non une simple référence à une réglementation temporaire.

B. Conséquences pratiques et disciplinaires

Sur les interstices, l’arrêt retient que « il était à la disposition de son employeur durant les courtes périodes intercalaires », ce qui ouvre droit aux salaires correspondants. En revanche, l’absence de preuve d’un treizième mois exclut tout rappel, illustrant une lecture stricte des éléments contractuels et conventionnels produits par le salarié. La condamnation in solidum de l’utilisatrice et de l’entreprise de travail temporaire, hors indemnité de requalification, organise une répartition claire des responsabilités et renforce l’effet dissuasif. L’ensemble consacre un contrôle rigoureux des recours à l’intérim, adapté aux crises conjoncturelles, mais attentif à la permanence des emplois et à la loyauté probatoire des employeurs.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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