Cour d’appel de Douai, le 11 juillet 2025, n°24/01493

La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 11 juillet 2025, statue sur un litige opposant un salarié à une association du secteur médico-social. Le salarié avait été engagé en qualité de moniteur éducateur par contrats à durée déterminée successifs entre décembre 2019 et janvier 2021. Il sollicitait la requalification de son dernier contrat en contrat à durée indéterminée et diverses indemnités au titre de la rupture.

Un premier contrat à durée déterminée avait été conclu le 17 décembre 2019, prolongé par avenant jusqu’au 30 septembre 2020. Un second contrat couvrait la période du 1er octobre au 31 décembre 2020. Un avenant portant sur la période du 1er janvier au 17 janvier 2021 ne fut signé que le 19 janvier 2021, soit postérieurement à son terme. Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Douai le 11 octobre 2022. Par jugement du 31 mai 2024, cette juridiction a déclaré l’ensemble des demandes irrecevables comme prescrites. Le salarié a interjeté appel.

L’employeur soutenait que toutes les demandes étaient atteintes par la prescription. Le salarié faisait valoir que son action en requalification était recevable, le terme du contrat litigieux constituant le point de départ du délai biennal, et que sa demande d’indemnité compensatrice de préavis relevait de la prescription triennale applicable aux créances salariales.

La cour devait déterminer si les différentes demandes du salarié étaient recevables au regard des délais de prescription applicables, et dans l’affirmative, si la poursuite de la relation de travail au-delà du terme du contrat sans avenant régulièrement signé justifiait la requalification sollicitée.

La cour d’appel de Douai infirme partiellement le jugement. Elle déclare recevable la demande de requalification et prononce la requalification du contrat à durée déterminée du 1er octobre 2020 en contrat à durée indéterminée. Elle condamne l’employeur au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis. Elle confirme en revanche l’irrecevabilité des demandes relatives à la rupture du contrat comme prescrites.

La solution retenue appelle une analyse tant sur la question de la recevabilité des demandes au regard des prescriptions applicables (I) que sur le régime de la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (II).

I. La diversification des délais de prescription en droit du travail

La cour opère une distinction méthodique entre les différentes prescriptions applicables (A), ce qui conduit à des solutions contrastées quant à la recevabilité des demandes (B).

A. L’application distributive des prescriptions selon la nature des créances

La cour rappelle que « la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée », chaque demande doit être examinée distinctement. Elle censure ainsi l’approche globale du conseil de prud’hommes qui avait déclaré l’ensemble des demandes prescrites sans opérer de distinction.

L’action en requalification fondée sur la poursuite du contrat au-delà de son terme relève de la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail. La cour précise que le point de départ est « la date du terme du contrat », soit le 31 décembre 2020. La saisine du 11 octobre 2022 intervient donc dans le délai. L’action en paiement de l’indemnité compensatrice de préavis, qualifiée de créance salariale, relève quant à elle de la prescription triennale de l’article L. 3245-1. Les demandes relatives à la rupture du contrat sont soumises à la prescription annale de l’article L. 1471-1 alinéa 2.

Cette analyse distributive traduit l’état du droit positif issu de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que le délai applicable dépend de la nature de la créance et non de la qualification de l’action. L’arrêt commenté s’inscrit dans cette jurisprudence constante.

B. Les conséquences pratiques de la pluralité des délais

L’application de prescriptions différentes conduit à une situation paradoxale. Le salarié obtient la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée et l’indemnité compensatrice de préavis. Il se trouve néanmoins privé de toute indemnisation au titre de la rupture elle-même, déclarée prescrite.

La prescription annale applicable aux litiges relatifs à la rupture du contrat court à compter de « la notification de la rupture ». Or la requalification intervient par l’effet de la loi lorsque la relation se poursuit au-delà du terme. Aucune notification formelle n’existe. La cour retient néanmoins la date du 17 janvier 2021, dernier jour travaillé, comme point de départ du délai.

Cette solution peut apparaître sévère pour le salarié. La brièveté du délai annuel, introduite par l’ordonnance du 22 septembre 2017, prive effectivement de nombreux salariés de la possibilité de contester utilement leur licenciement. La doctrine a d’ailleurs critiqué cette réduction drastique des délais. L’arrêt illustre les conséquences concrètes de ce raccourcissement sur l’effectivité des droits des salariés.

II. Le régime de la requalification pour poursuite au-delà du terme

La cour prononce la requalification en raison de l’absence d’avenant régulièrement conclu (A) et en tire les conséquences indemnitaires limitées (B).

A. L’exigence d’un avenant antérieur à l’échéance du terme

La cour fonde la requalification sur l’article L. 1243-11 du code du travail selon lequel « lorsque la relation de travail se poursuit après l’échéance du terme du contrat à durée déterminée, celui-ci devient à durée indéterminée ». Elle relève que l’avenant portant sur la période du 1er janvier au 17 janvier 2021 n’a été signé que le 19 janvier 2021.

La cour énonce qu’« à défaut d’avenant régularisé avant l’arrivée du terme du contrat initial, il ne peut qu’être considéré que le contrat s’est poursuivi sans contrat valablement conclu ». Elle ajoute que la requalification s’impose « peu important l’existence d’un avenant signé ultérieurement ».

Cette position est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui sanctionne tout défaut de formalisme du contrat à durée déterminée. La transmission tardive du contrat écrit ou de l’avenant équivaut à une absence de contrat. La solution se justifie par la protection du salarié contre le recours abusif aux contrats précaires. Le formalisme imposé par le code du travail vise à garantir l’information du salarié sur la durée de son engagement avant qu’il ne commence à travailler.

B. L’indemnisation résiduelle du salarié

La requalification prononcée n’ouvre droit qu’à une indemnité compensatrice de préavis. La cour relève que le salarié « ne sollicite pas d’indemnité de requalification ». Elle condamne l’employeur au paiement d’un mois de salaire au titre du préavis, conformément à la convention collective applicable pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté.

L’indemnité de requalification prévue par l’article L. 1245-2 du code du travail ne peut être inférieure à un mois de salaire. Son absence de demande par le salarié conduit la cour à ne pas l’allouer d’office. Ce choix procédural prive le salarié d’une somme potentiellement significative. La cour ne pouvait statuer ultra petita mais cette situation illustre l’importance du conseil juridique dans la formulation des demandes.

La prescription des demandes relatives à la rupture prive le salarié de toute indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il obtient uniquement l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents. Le bénéfice concret de la requalification se trouve ainsi considérablement réduit. L’arrêt démontre que la stratégie contentieuse et le respect des délais conditionnent largement l’effectivité des droits du salarié en cas de recours abusif aux contrats à durée déterminée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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