Cour d’appel de Douai, le 19 juin 2025, n°23/05083

L’articulation entre procédure collective et prescription extinctive constitue une problématique récurrente du droit des entreprises en difficulté. La protection du débiteur, inhérente à cette matière, cède parfois devant les droits légitimes de certains créanciers, notamment la caution solvens. La cour d’appel de Douai, par un arrêt du 19 juin 2025, illustre cette tension en précisant les conditions de reprise des poursuites individuelles après clôture d’une liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

En 2005, trois prêts sont consentis à un particulier par un établissement bancaire. Ces prêts bénéficient du cautionnement d’une société de garantie. À la suite de la défaillance de l’emprunteur, la caution est appelée en garantie et désintéresse le créancier principal. Elle obtient alors, le 21 octobre 2009, un jugement condamnant le débiteur au paiement de la somme de 138 302,95 euros au titre de son recours subrogatoire. Parallèlement, une procédure de redressement judiciaire est ouverte le 11 octobre 2009 à l’égard du débiteur, convertie en liquidation judiciaire le 14 décembre 2009. La caution déclare ses créances le 17 décembre 2009, lesquelles sont admises au passif pour un montant total de 148 784,27 euros outre intérêts. La procédure collective est clôturée pour insuffisance d’actif le 13 décembre 2017.

Par requête du 2 août 2023, la caution saisit le président du tribunal de commerce sur le fondement des articles L. 643-11 et R. 643-20 du code de commerce afin d’être autorisée à reprendre ses poursuites individuelles contre le débiteur. Par ordonnance du 7 novembre 2023, la juridiction consulaire fait droit à cette demande. Le débiteur interjette appel et soulève principalement la prescription de l’action, soutenant que les dispositions de l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution ne seraient pas applicables et qu’il conviendrait d’appliquer la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil.

La question posée à la cour d’appel de Douai était la suivante : le créancier titulaire d’un titre exécutoire antérieur à l’ouverture d’une procédure collective peut-il, après clôture pour insuffisance d’actif, reprendre ses poursuites individuelles lorsque le délai écoulé depuis l’obtention du titre excède dix années, la prescription ayant été interrompue par la déclaration de créance pendant la durée de la procédure ?

La cour confirme l’ordonnance entreprise en retenant que « le délai de prescription applicable en l’espèce au titre exécutoire est donc de dix ans » et que « la prescription a été interrompue en l’espèce par la déclaration de créance », de sorte que l’action de la caution n’est pas prescrite.

L’arrêt mérite examen tant au regard de la détermination du régime prescriptif applicable au titre exécutoire (I) que des conditions procédurales de la reprise des poursuites individuelles par la caution solvens (II).

I. La détermination du régime prescriptif applicable au titre exécutoire

La cour procède à une analyse rigoureuse des textes applicables (A) avant d’appliquer le mécanisme interruptif propre aux procédures collectives (B).

A. L’identification du délai décennal d’exécution des décisions de justice

Le débiteur soutenait que l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution, issu de l’ordonnance du 19 décembre 2011, ne pouvait régir la prescription du titre obtenu en 2009. Cette argumentation procédait d’une confusion entre codification et création normative.

La cour relève que « cet article ne fait que reprendre à l’identique les dispositions de l’article 3-1 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution ». Cette disposition avait été créée par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Le jugement du 21 octobre 2009 se trouvait donc soumis, dès son prononcé, au délai décennal d’exécution. L’ordonnance de 2011 n’a fait que codifier à droit constant une règle préexistante.

Cette solution s’inscrit dans la logique de la réforme de 2008 qui a unifié les délais de prescription autour de deux pôles principaux : cinq ans pour les actions personnelles et mobilières, dix ans pour l’exécution des titres exécutoires. Le délai décennal permet de concilier la sécurité juridique du débiteur avec le droit du créancier à l’exécution effective de sa créance judiciairement constatée.

B. L’effet interruptif de la déclaration de créance au passif collectif

La cour applique le mécanisme interruptif reconnu par l’article L. 622-25-1 du code de commerce, tout en précisant que ce texte, « entré en vigueur le 1er juillet 2014 », n’était pas directement applicable à la procédure collective ouverte en 2009. Elle relève néanmoins que cette disposition « consacre la jurisprudence antérieure selon laquelle la déclaration de créance au passif d’une liquidation judiciaire équivaut à une demande en justice interrompant la prescription jusqu’à l’extinction de la procédure collective ».

Cette assimilation de la déclaration de créance à une demande en justice produit un double effet. L’interruption efface le délai déjà couru et fait courir un nouveau délai de même durée. Surtout, cet effet interruptif perdure pendant toute la durée de la procédure collective, jusqu’au jugement de clôture. En l’espèce, la déclaration du 17 décembre 2009 a interrompu la prescription jusqu’au 13 décembre 2017, date de clôture. Un nouveau délai décennal a alors commencé à courir, de sorte que la requête du 2 août 2023 intervient dans le délai.

La portée de cette solution dépasse le cas d’espèce. Elle confirme que le créancier diligent, qui déclare régulièrement sa créance, conserve ses droits nonobstant la durée parfois considérable des procédures collectives.

II. Les conditions procédurales de la reprise des poursuites par la caution solvens

La cour examine les conditions de fond autorisant la reprise des poursuites (A) puis précise la portée de l’ordonnance présidentielle lorsque le créancier dispose déjà d’un titre (B).

A. Le régime dérogatoire applicable à la caution ayant désintéressé le créancier

L’article L. 643-11 du code de commerce pose le principe selon lequel la clôture pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers leur droit de poursuite individuelle. Cette règle protectrice du débiteur malheureux connaît toutefois des exceptions. Le II de ce texte autorise notamment « la caution ou le coobligé qui a payé au lieu et place du débiteur » à poursuivre celui-ci.

Cette exception se justifie par la nature du recours de la caution solvens. Celui-ci procède non d’une créance directe contre le débiteur mais du paiement effectué pour son compte. Il serait inéquitable de priver définitivement la caution de tout recours alors qu’elle a désintéressé le créancier principal.

Le V de l’article L. 643-11 impose néanmoins une condition procédurale. Les créanciers recouvrant leur droit de poursuite doivent, « lorsqu’ils disposent déjà d’un tel titre, avoir fait constater qu’ils remplissent les conditions prévues au présent article ». Cette exigence vise à permettre au président du tribunal de vérifier que le créancier entre bien dans les cas d’exception au principe d’interdiction des poursuites.

B. La portée de l’ordonnance présidentielle en présence d’un titre exécutoire préexistant

Le débiteur reprochait à l’ordonnance de première instance de ne pas contenir l’injonction de payer prévue à l’article R. 643-20, alinéa 3, du code de commerce. La cour écarte ce moyen en distinguant deux situations. Lorsque le créancier ne dispose pas de titre, l’ordonnance vaut titre exécutoire et doit contenir l’injonction de payer. Lorsqu’il dispose déjà d’un titre, « la saisine du président du tribunal prévue à l’article L. 643-11 de ce code a pour objet uniquement de faire constater qu’il remplit les conditions prévues à l’article pour recouvrer son droit de poursuite individuel ».

Cette précision clarifie utilement l’articulation entre les dispositions légales et réglementaires. L’ordonnance présidentielle n’a pas vocation à créer un nouveau titre mais à lever l’obstacle procédural résultant de la clôture de la procédure collective. La caution conserve son titre de 2009 et l’ordonnance lui permet simplement de reprendre les poursuites sur ce fondement.

La cour rejette également le moyen tiré de la violation de l’article R. 643-18 du code de commerce en relevant que « ces dispositions concernent les jugements rendus par le tribunal statuant sur la clôture de la procédure collective et non les ordonnances du président saisi en application de l’article L. 643-11 ». Cette distinction entre les compétences du tribunal et celles de son président manifeste la rigueur du contentieux des procédures collectives.

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Hassan KOHEN
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