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L’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai le 19 juin 2025 illustre la complexité du régime probatoire applicable à la subrogation de l’assureur dans les droits de son assuré. Cette décision s’inscrit dans un contentieux technique opposant deux compagnies d’assurance à une société de maintenance à la suite de deux dégâts des eaux survenus dans un centre aquatique.
Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Le 5 mars 2018, un premier dégât des eaux est survenu dans la salle de fitness d’une piscine appartenant à un syndicat intercommunal. Une expertise amiable a révélé que les dommages résultaient de fuites multiples au niveau de l’installation de production d’eau chaude et froide. Les assureurs ont indemnisé leur assuré à hauteur de 13 848,39 euros. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2019, un second sinistre s’est produit au même endroit, causé par la rupture d’une canalisation de production d’eau chaude. Les assureurs ont versé une indemnité immédiate de 19 274,71 euros.
Sur le plan procédural, les assureurs, se prévalant de leur qualité de subrogés dans les droits de leur assuré, ont assigné la société chargée de la maintenance devant le tribunal judiciaire de Lille le 15 février 2021. Par jugement du 10 janvier 2022, le tribunal a débouté les assureurs de l’intégralité de leurs demandes. Ces derniers ont interjeté appel le 8 janvier 2024.
Devant la cour, les assureurs sollicitaient la condamnation de la société de maintenance au remboursement des sommes versées à leur assuré, invoquant tant la subrogation légale spéciale du droit des assurances que la subrogation de droit commun et la subrogation conventionnelle. L’intimée opposait l’irrecevabilité des demandes faute pour les assureurs de justifier valablement de leur qualité de subrogés.
La cour d’appel de Douai était ainsi confrontée à la question suivante : dans quelles conditions l’assureur peut-il établir sa subrogation dans les droits de son assuré pour exercer un recours contre le tiers responsable ?
La cour infirme le jugement de première instance. Elle reconnaît la subrogation conventionnelle pour le second sinistre, le chèque de règlement étant antérieur à la quittance subrogatoire. Elle écarte en revanche la subrogation légale spéciale faute de production des conditions générales et spéciales du contrat d’assurance. Elle retient enfin la subrogation légale de droit commun pour les deux sinistres en application de l’article 1346 du code civil, dès lors que les assureurs établissent avoir libéré leur assuré envers le responsable définitif de la dette.
Cet arrêt mérite attention en ce qu’il précise les exigences probatoires distinctes selon le fondement de subrogation invoqué (I), tout en consacrant l’utilité de la subrogation légale de droit commun comme fondement subsidiaire de l’action récursoire de l’assureur (II).
I. Les exigences probatoires différenciées selon le fondement de subrogation
La cour d’appel de Douai opère une analyse méthodique des différents mécanismes subrogatoires, distinguant nettement les conditions de la subrogation conventionnelle (A) de celles de la subrogation légale spéciale (B).
A. La rigueur des conditions de la subrogation conventionnelle
La cour rappelle que l’article 1346-1 du code civil subordonne la subrogation conventionnelle à une exigence temporelle précise. Elle énonce que cette subrogation « doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n’ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement ».
La cour apporte une précision importante concernant la valeur probatoire de la quittance subrogatoire. Elle relève que « si la quittance subrogatoire matérialise la volonté de l’assuré de subroger son assureur dans ses droits en contrepartie du paiement de l’indemnité, elle ne permet de trancher la question de l’antériorité ou de la concomitance du paiement que si elle indique la date à laquelle est intervenu ce paiement ». En l’espèce, les quittances ne mentionnaient pas la date du règlement, ce qui imposait aux assureurs de produire des justificatifs complémentaires.
Pour le premier sinistre, la quittance datée du 5 avril 2019 ne permettait pas d’établir l’antériorité ou la concomitance du paiement. La cour écarte également les impressions d’écran comptables comme insuffisamment probantes. Pour le second sinistre, la production du chèque de règlement daté du 4 octobre 2019, antérieur à la quittance du 19 novembre 2020, satisfait aux exigences légales.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui impose une vérification rigoureuse de la chronologie entre le paiement et l’expression de la volonté de subroger. La cour refuse de présumer cette concomitance du seul fait de l’existence d’une quittance, exigeant une preuve positive de la date effective du règlement.
B. L’exigence de production du contrat d’assurance pour la subrogation légale spéciale
L’article L. 121-12 du code des assurances institue une subrogation de plein droit au profit de l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance. La cour précise que ce mécanisme suppose d’établir non seulement la réalité du paiement mais également que « l’indemnité a été payée en vertu du contrat d’assurance ».
La cour adopte une position stricte quant à la preuve de cette seconde condition. Elle relève que les assureurs produisent des conditions particulières signées le 7 décembre 2017 qui renvoient expressément à des conditions générales « 331 e » et des conditions spéciales « 861 ». Or les documents communiqués sous la même pièce sont manifestement inadaptés : un document tronqué visant un projet différent, des conditions particulières renvoyant à d’autres conditions générales, et un document visant un numéro de contrat distinct.
La cour en déduit qu’« à défaut de produire les stipulations contractuelles applicables au contrat ayant visé au titre du paiement effectué au profit de l’assuré, les MMA n’établissent pas qu’elles ont payé les deux indemnités successives en exécution de ce contrat d’assurance ».
Cette exigence probatoire peut sembler sévère dans la mesure où la réalité du paiement n’était pas contestée. La solution s’explique par la nature même de la subrogation légale spéciale qui vise à permettre le recours de l’assureur ayant exécuté son obligation de garantie. La vérification du lien entre le paiement et les garanties souscrites participe du contrôle de la légitimité du recours subrogatoire.
II. La subrogation légale de droit commun comme fondement autonome du recours de l’assureur
Face aux carences probatoires affectant les autres fondements, la cour reconnaît l’opérabilité de la subrogation légale de droit commun (A), dont elle tire les conséquences sur la responsabilité du tiers (B).
A. L’autonomie de la subrogation de l’article 1346 du code civil
La cour d’appel fait une application remarquée de l’article 1346 du code civil selon lequel « le débiteur qui s’acquitte d’une dette personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier de la subrogation de plein droit s’il a, par son paiement, libéré envers le créancier commun celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette ».
Ce fondement suppose la réunion de deux conditions. L’assureur doit d’abord établir la réalité du paiement. La cour note que cette preuve « n’est pas contestée en l’espèce, alors que la société Dalkia se prévaut notamment de l’antériorité des deux paiements effectués pour s’opposer à l’effet subrogatoire des quittances ». L’intimée reconnaissait ainsi implicitement la réalité des versements tout en contestant leur effet subrogatore.
L’assureur doit ensuite démontrer que la personne indemnisée bénéficie d’une action contre le responsable. La cour procède à une analyse approfondie de la relation contractuelle entre le syndicat intercommunal et la société de maintenance. Elle retient l’existence d’un marché public attribué le 16 juin 2016 portant sur l’exploitation des installations de chauffage, ventilation et production d’eau chaude sanitaire.
L’intérêt de ce fondement réside dans son autonomie par rapport à la subrogation légale spéciale. La cour souligne d’ailleurs que « la subrogation spéciale du droit des assurances n’excluant ni la subrogation de droit commun ni la subrogation conventionnelle ». L’assureur qui échoue à prouver les conditions de l’article L. 121-12 du code des assurances conserve ainsi la faculté d’invoquer la subrogation de droit commun.
Cette solution présente une portée pratique considérable pour les assureurs confrontés à des difficultés de reconstitution de leurs archives contractuelles. Elle confirme que l’absence de production du contrat d’assurance ne fait pas obstacle au recours subrogatoire dès lors que les conditions de l’article 1346 du code civil sont réunies.
B. Les conséquences sur la responsabilité du tiers
La reconnaissance de la subrogation permet à la cour d’examiner le fond du litige. Elle caractérise les manquements de la société de maintenance à ses obligations contractuelles en s’appuyant sur les rapports d’expertise contradictoire.
Pour le premier sinistre, le rapport du cabinet mandaté par les assureurs conclut que les dommages « résultent de fuites multiples au niveau de l’installation production eau chaude et eau froide, sous contrat P3 avec Dalkia ». Le représentant de la société de maintenance a signé ce rapport, lui conférant une force probante particulière. La cour en déduit que « la survenance de telles fuites constitue par conséquent un manquement par la société Dalkia à sa garantie des équipements placés sous son contrôle technique ».
Pour le second sinistre, le rapport d’expertise établi contradictoirement mentionne que le dégât des eaux résulte d’une rupture de canalisation de production d’eau chaude et que la société de maintenance « est intervenue pour la réparation de la cause ». Cette intervention conforte l’existence du lien contractuel et la reconnaissance implicite de la responsabilité.
La cour limite toutefois la condamnation aux seules indemnités immédiates effectivement versées. Les assureurs sont déboutés de leurs demandes au titre des indemnités différées faute d’établir leur paiement. Cette solution rappelle que la subrogation ne s’opère qu’à concurrence des sommes effectivement réglées, conformément au principe selon lequel nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en possède.
L’arrêt illustre ainsi l’articulation entre les différents mécanismes subrogatoires et leur fonction commune de permettre à l’assureur d’exercer un recours contre le véritable responsable du dommage. La cour d’appel de Douai confirme que cette pluralité de fondements offre à l’assureur des voies alternatives lorsque l’une d’entre elles se révèle impraticable.