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Par un arrêt du 26 juin 2025, la cour d’appel de Douai a confirmé l’autorisation accordée à une indivisaire de procéder seule à la vente d’un bien immobilier indivis, rejetant l’appel formé par son ancien concubin. Cette décision illustre les conditions d’application de l’article 815-6 du code civil relatif aux mesures urgentes dans l’intérêt commun de l’indivision.
Deux personnes vivant en concubinage depuis 2009 ont acquis ensemble, le 27 décembre 2011, un bien immobilier pour un prix de 198 000 euros. Les quotes-parts respectives étaient inégales : l’un détenait environ 77 % du bien et l’autre environ 23 %. Le financement provenait d’un apport personnel issu d’une donation parentale ainsi que de plusieurs crédits immobiliers souscrits conjointement. La séparation du couple est intervenue en décembre 2022 dans un contexte de violences ayant conduit au dépôt d’une plainte, à un placement sous contrôle judiciaire puis à une condamnation pénale assortie d’une interdiction de contact.
Après la rupture, l’indivisaire minoritaire s’est trouvée contrainte d’assumer seule les mensualités des emprunts depuis juillet 2023. Face au refus de l’autre indivisaire de participer aux charges et de donner suite aux tentatives de vente amiable, elle l’a assigné devant le président du tribunal judiciaire de Lille statuant selon la procédure accélérée au fond. Par jugement du 10 septembre 2024, le magistrat l’a autorisée à procéder seule à la vente pour un prix minimal de 520 000 euros. L’indivisaire majoritaire a interjeté appel, faisant valoir un projet de rachat de la quote-part de son ancienne compagne et contestant tant l’urgence que l’intérêt commun de la mesure.
La question soumise à la cour d’appel de Douai était de déterminer si les conditions de l’article 815-6 du code civil étaient réunies pour autoriser un indivisaire à vendre seul un bien indivis, en présence d’un autre indivisaire invoquant un projet d’acquisition de la quote-part litigieuse.
La cour a confirmé le jugement entrepris. Elle a retenu que « Mme [U], qui assume seule les charges de l’indivision avec des ressources modestes tout en devant assurer l’entretien de l’enfant commun, justifie d’une proposition d’achat de l’immeuble au prix de 520 000 euros, conforme à l’intérêt commun de l’indivision, menacée d’impécuniosité ». Elle a ajouté que « l’urgence étant caractérisée par le caractère relativement ancien de l’offre et son caractère avantageux, l’opportunité ainsi offerte méritant d’être saisie ». Quant au projet concurrent de rachat, la juridiction a considéré que « les pièces versées par M. [T] ne permettent pas d’attester du sérieux de son projet », l’avis favorable d’un courtier étant « insuffisant à démontrer que ce crédit a effectivement été obtenu dès lors qu’aucune offre de prêt subséquente n’est versée au débat ».
L’examen de cette décision conduit à analyser d’une part l’appréciation des conditions légales de l’autorisation judiciaire de vente (I), d’autre part le traitement du projet concurrent de rachat invoqué par l’indivisaire défaillant (II).
I. L’appréciation stricte des conditions légales de l’autorisation judiciaire
L’article 815-6 du code civil soumet l’intervention du juge à la réunion de deux conditions cumulatives. La cour d’appel de Douai en a fait une application rigoureuse en caractérisant tant l’intérêt commun de l’indivision (A) que l’urgence de la mesure sollicitée (B).
A. La caractérisation de l’intérêt commun par la menace d’impécuniosité
La cour a retenu que l’indivision était « menacée d’impécuniosité ». Cette formulation traduit une conception patrimoniale de l’intérêt commun : il s’agit de préserver la valeur des droits indivis contre une dégradation financière. La juridiction s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence constante selon laquelle l’intérêt commun ne se confond pas avec l’intérêt personnel de l’un des coïndivisaires.
L’arrêt rappelle à cet égard la décision de la première chambre civile du 18 décembre 2014, selon laquelle « la cession du bien ne réduisant pas la valeur des droits indivis dès lors que le prix se substitue au bien dans l’indivision ». Cette subrogation réelle constitue le fondement théorique de l’autorisation : l’indivisaire réfractaire conserve ses droits, simplement reportés sur le prix de vente. La cour neutralise ainsi l’objection tirée de l’atteinte au droit de propriété.
L’appréciation de l’intérêt commun repose sur des éléments concrets. L’indivisaire demanderesse assumait seule les charges depuis près de deux ans. L’autre indivisaire faisait l’objet de multiples procédures de recouvrement attestant d’une situation financière gravement obérée. Le prix proposé correspondait à l’estimation du bien, soit 520 000 euros pour un immeuble acquis 198 000 euros treize ans plus tôt. Ces éléments convergents établissaient que la vente servait objectivement l’indivision.
B. La qualification de l’urgence par l’opportunité de l’offre
L’urgence a été caractérisée de manière originale. La cour a relevé « le caractère relativement ancien de l’offre et son caractère avantageux, l’opportunité ainsi offerte méritant d’être saisie ». Cette motivation s’écarte d’une conception classique de l’urgence comme péril imminent. Elle intègre une dimension économique : l’urgence naît aussi du risque de perdre une occasion favorable.
Cette approche pragmatique peut être rapprochée de la jurisprudence admettant que l’urgence résulte de la durée anormale de l’indivision ou du blocage persistant de l’un des coïndivisaires. La cour ajoute un critère supplémentaire tiré de la qualité de l’offre obtenue. L’acquéreur avait obtenu son accord de financement et l’offre avait été prorogée jusqu’au 30 juillet 2025. Le refus d’autoriser la vente aurait fait perdre cette opportunité concrète.
Cette lecture extensive de l’urgence mérite attention. Elle pourrait conduire à faciliter les sorties d’indivision conflictuelles dès lors qu’une offre sérieuse existe. La condition d’urgence tendrait alors à se confondre partiellement avec celle d’intérêt commun. Une telle évolution présenterait l’avantage de la souplesse mais pourrait affaiblir le rôle protecteur de l’exigence d’urgence pour l’indivisaire non demandeur.
II. Le rejet du projet concurrent de rachat faute de preuve suffisante
Face à la demande d’autorisation de vente, l’indivisaire majoritaire opposait un projet de rachat de la quote-part de son ancienne compagne. La cour a écarté cette objection en exigeant des preuves tangibles du sérieux du projet (A), révélant une conception exigeante de la charge probatoire pesant sur l’indivisaire opposant (B).
A. L’insuffisance de l’avis favorable d’un courtier
L’appelant produisait un courriel d’un courtier daté du 19 juin 2024 mentionnant un avis favorable pour l’octroi d’un crédit de 157 902 euros. La cour a jugé cet élément « insuffisant à démontrer que ce crédit a effectivement été obtenu dès lors qu’aucune offre de prêt subséquente n’est versée au débat ».
Cette exigence probatoire est rigoureuse. Un avis favorable de courtier constitue une étape préalable dans le processus d’obtention d’un financement. Il manifeste une démarche et une faisabilité de principe. La cour a cependant refusé de s’en contenter. Elle a exigé une offre de prêt, c’est-à-dire un engagement ferme de l’établissement bancaire. Entre l’avis du courtier et l’audience, plus d’un an s’était écoulé sans production d’offre définitive.
Cette sévérité s’explique par le contexte. La situation financière de l’appelant était décrite comme « plus que délicate » au vu de nombreuses relances de créanciers, d’avis à tiers détenteurs et d’une saisie sur salaire. Ces éléments rendaient peu crédible l’obtention effective d’un financement immobilier. La cour a appliqué un principe de réalisme : face à une offre d’achat concrète et financée, un projet de rachat doit présenter des garanties équivalentes de réalisation.
B. Les implications de l’exigence probatoire pour l’indivisaire opposant
La décision fixe un standard probatoire élevé pour l’indivisaire souhaitant s’opposer à une vente en invoquant un projet de rachat. Un simple projet, même accompagné d’un commencement de démarches bancaires, ne suffit pas. Il faut démontrer une capacité effective et actuelle de financement.
Cette exigence se justifie par la protection de l’indivisaire demandeur. Admettre qu’un projet non abouti puisse bloquer une vente reviendrait à permettre des manoeuvres dilatoires. L’indivisaire récalcitrant pourrait indéfiniment invoquer des projets successifs sans jamais les concrétiser. La cour ferme cette voie en imposant une preuve de réalisation effective.
La solution présente néanmoins une limite. Elle défavorise l’indivisaire de bonne foi qui aurait besoin de temps pour finaliser son financement. L’article 815-6 vise des mesures urgentes. Si l’urgence est caractérisée, comme en l’espèce, le temps ne joue pas en faveur de celui qui souhaite racheter. La cour a implicitement arbitré entre deux intérêts légitimes : celui de sortir rapidement d’une indivision conflictuelle et celui de permettre à un indivisaire de conserver un bien auquel il est attaché. La présence d’une offre tierce a fait pencher la balance vers la première solution.