Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, n°23/00759

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Par un arrêt de la Cour d’appel de Douai du 27 juin 2025, la chambre sociale, statuant par défaut, se prononce sur plusieurs demandes relatives à l’exécution et à la rupture d’un contrat de travail. Engagé en 2007, le salarié a été licencié en février 2019 pour désengagement et insubordination lors d’un déplacement professionnel, après une période marquée par des désaccords persistants sur sa rémunération fixe et variable ainsi que sur certaines primes. Saisi en 2019, le conseil de prud’hommes de Lille a, par jugement du 5 mai 2023, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, alloué diverses sommes, mais rejeté plusieurs rappels de rémunération et la demande au titre du harcèlement. Seul le salarié a interjeté appel. L’intimée n’ayant pas constitué avocat, la cour statue par défaut, en rappelant que « la partie qui ne conclut pas […] est réputée s’en approprier les motifs ». Les questions posées tenaient, d’une part, à la preuve des éléments de rémunération variable et à la réalisabilité des objectifs fixés unilatéralement, d’autre part, à la qualification de harcèlement moral et à l’évaluation de l’indemnisation du licenciement. La cour confirme l’indemnité allouée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais infirme pour le surplus, en accordant des rappels de rémunération fixe et variable, des primes spécifiques, et une indemnité pour harcèlement moral, tout en enjoignant à l’employeur un remboursement à l’organisme d’indemnisation du chômage dans la limite légale.

I. La protection probatoire du salarié face aux mécanismes de rémunération variable

A. Le contrôle de la réalisabilité des objectifs et la charge de la preuve pesant sur l’employeur
La cour rappelle avec netteté le régime applicable lorsque la rémunération dépend d’objectifs fixés unilatéralement. Elle juge, pour l’exercice 2017, qu’« il incombe à l’employeur de produire les éléments de nature à établir que les objectifs qu’il avait fixés au salarié pour l’année 2017 étaient réalisables, ce qui n’a pas été fait ». L’augmentation substantielle du seuil à atteindre, établie par courriels non contestés, caractérise un risque manifeste d’inatteignabilité. En l’absence de preuve contraire, la juridiction admet la demande au titre d’une fraction de la prime liée à la marge commerciale, limitée à 50 % conformément au schéma alors en vigueur. Cette motivation s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante exigeant que l’employeur démontre le caractère réaliste des cibles, condition nécessaire à la validité de mécanismes incitatifs.

La solution comporte une dimension pédagogique importante. Le juge du fond vérifie concrètement si les pièces établissent une cohérence entre le niveau d’objectifs et les moyens offerts. Il ne se contente pas d’inférences abstraites tirées du statut du salarié ou de son niveau de responsabilité. L’approche favorise un contrôle effectif de la clause d’objectifs, sans en altérer le principe, mais en imposant la preuve positive de sa réalisabilité.

B. La production des éléments détenus par l’employeur et la sanction de la carence
La cour étend ensuite l’exigence de transparence aux paramètres de calcul lorsque ceux-ci sont réservés à l’employeur. Elle énonce qu’« il est de principe que lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire ». Constatant l’absence de production, elle en tire la conséquence attendue : « faute de production de ces éléments, il convient d’accueillir la demande ». L’application se décline pour 2018, avec attribution d’un solde variable sur la base du schéma d’objectifs communiqué, et pour le début de 2019, par une fixation pro rata en l’absence d’objectifs définis avant la rupture.

La cohérence de l’arrêt tient également au traitement de la rémunération fixe. Après examen des échanges et des bulletins, la cour retient l’existence d’un accord sur une répartition 60/40 entre fixe et variable non pleinement respectée, mais borne le rappel à la période où la preuve des paramètres, de leur application et des contestations est réunie. Cette méthode évite la reconstitution hypothétique d’annualités entières et maintient un standard de preuve distinct selon la nature des composantes salariales. L’allocation des primes dites exceptionnelles, dont « la prime big deal » et la prime d’apporteur d’affaires, découle du même office probatoire: l’employeur, nécessairement dépositaire des métriques de chiffre d’affaires et des bons de commande, ne peut opposer au salarié sa propre carence documentaire.

II. Le harcèlement moral et l’évaluation des préjudices au stade de la rupture

A. L’appréciation globale des faits et le renversement probatoire en matière de harcèlement
S’agissant de la santé au travail, la cour applique le mécanisme probatoire spécifique. Après avoir rappelé les textes, elle retient que « les faits matériellement établis et examinés globalement permettent de présumer d’agissements de harcèlement moral ». Sont pris en compte des épisodes précis, rapprochés dans le temps, corroborés par témoignage circonstancié et alerte médicale, révélant une dégradation tangible des conditions de travail. L’employeur, défaillant à rapporter des « éléments contraires démontrant que les faits sont justifiés par une cause objective étrangère à tout harcèlement », voit la qualification retenue et une indemnité allouée en réparation du préjudice moral.

La motivation illustre une méthode rigoureuse et mesurée. Le juge isole des faits utiles, écarte ceux qui ne sont pas établis, et apprécie l’ensemble à l’aune de leur gravité et de leur convergence. La solution est conforme au droit positif qui fait de l’appréciation globale la clé de voûte de la présomption, tout en exigeant une base factuelle objectivée par écrits, témoignages et éléments médicaux.

B. La portée de l’arrêt sur l’indemnisation de la rupture et l’office du juge
En revanche, la cour confirme l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse telle que fixée en première instance. Elle souligne que, « alors qu’il était souligné que le salarié ne justifiait pas de son préjudice, il n’est produit à hauteur d’appel […] strictement aucun élément pour justifier de sa situation postérieurement au licenciement ». La décision distingue ainsi, avec netteté, l’indemnisation autonome du harcèlement prouvée par les faits de l’exécution du contrat, et la réparation liée à la rupture, cantonnée par le défaut d’éléments actualisés sur l’atteinte subie après le congédiement. Le rappel du cadre légal de plafonnement, évoqué par les parties, demeure en arrière-plan, mais le cœur de la solution tient au défaut de preuve, non à une contrainte abstraite du barème.

La portée pratique de l’arrêt est double. D’une part, il invite les employeurs à documenter ex ante la réalisabilité des objectifs et à conserver l’intégralité des paramètres de calcul des primes, sous peine de voir prospérer des demandes sur la base de schémas non contestés. D’autre part, il rappelle au salarié appelant la nécessité de verser des éléments contemporains et précis pour étayer l’ampleur du préjudice de rupture, distinct du préjudice moral de harcèlement. L’injonction de remboursement des allocations de chômage à l’organisme compétent, dans la limite légale, s’inscrit enfin dans une orthodoxie contentieuse classique, venant compléter l’architecture réparatrice sans en modifier l’économie.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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