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La rupture conventionnelle du contrat de travail constitue, depuis la loi du 25 juin 2008, un mode de rupture d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. La validité de cette rupture repose sur l’intégrité du consentement des parties. Par un arrêt du 27 juin 2025, la cour d’appel de Douai s’est prononcée sur les conditions dans lesquelles un contexte de harcèlement moral peut vicier ce consentement.
Une salariée a été engagée par une société spécialisée dans la boulangerie le 2 septembre 2013 et occupait les fonctions de manager de magasin. Le 22 juin 2021, les parties ont conclu une rupture conventionnelle, homologuée par l’autorité administrative le 27 juillet suivant. La salariée a saisi le conseil de prud’hommes le 29 juillet 2022 afin d’obtenir l’annulation de cette convention et des dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Le conseil de prud’hommes de Saint-Omer, par jugement du 27 septembre 2023, a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes. Cette dernière a interjeté appel. Devant la cour, elle soutenait avoir subi un harcèlement moral caractérisé par des pressions, une charge de travail inadaptée, une surveillance excessive et des propos dénigrants. Elle estimait que ce contexte avait vicié son consentement lors de la conclusion de la rupture conventionnelle. L’employeur n’a pas conclu en cause d’appel et était donc réputé s’approprier les motifs du jugement de première instance.
La cour devait déterminer si les pratiques managériales dénoncées constituaient un harcèlement moral et, dans l’affirmative, si ce contexte avait altéré le consentement de la salariée à la rupture conventionnelle au point d’en entraîner la nullité.
La cour d’appel de Douai infirme partiellement le jugement. Elle retient l’existence d’un harcèlement moral et prononce la nullité de la rupture conventionnelle pour vice du consentement, jugeant que celle-ci produit les effets d’un licenciement nul.
Cet arrêt illustre l’articulation entre le régime probatoire du harcèlement moral et ses conséquences sur la validité de la rupture conventionnelle (I), avant de révéler l’originalité de la qualification retenue par la cour, celle de violence morale (II).
I. La caractérisation du harcèlement moral par le biais du mécanisme probatoire prévu par la loi
La cour procède à une application rigoureuse du mécanisme de preuve aménagée (A), pour en déduire logiquement l’existence d’un harcèlement moral imputable aux méthodes managériales de l’employeur (B).
A. L’établissement de faits laissant supposer un harcèlement par la salariée
L’article L. 1154-1 du code du travail organise un partage de la charge de la preuve favorable au salarié. Ce dernier doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, puis l’employeur doit démontrer que ces agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, la salariée invoquait plusieurs éléments. La cour retient que « la société […] a adopté des méthodes de management anxiogènes ». Elle relève des pressions récurrentes liées à la gestion des plannings. Les pièces établissent que « l’élaboration des plannings et la gestion des temps de travail doivent impérativement prendre en considération un chiffre d’affaires quotidien prévisionnel ». La cour constate que « ce chiffre d’affaires est volontairement sous-évalué par la hiérarchie ou encore que le système informatique bride les informations renseignées ». Il en résulte que « les effectifs programmés sont fréquemment sous-estimés, entraînant surcharge de travail, tensions et anxiétés ».
La cour relève également une surveillance excessive, la direction exigeant l’envoi quotidien de photographies des rayons. Un courriel du 5 décembre 2020 témoigne de cette insistance : « c’est quand même pas compliqué de faire ce que je vous demande ». Enfin, des attestations concordantes établissent qu’un supérieur hiérarchique avait l’habitude d’appeler ses collaboratrices « bébé » ou « mon bébé ».
Ces éléments sont corroborés par l’avis d’un psychologue du travail consulté le 1er février 2019. Ce professionnel a constaté que la salariée présentait « un stress chronique dans son activité professionnelle ». La cour en déduit que « ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral ».
Cette appréciation globale des faits présentés par la salariée correspond à la méthode imposée par la Cour de cassation. Le juge ne peut examiner isolément chaque fait allégué mais doit les appréhender dans leur ensemble pour déterminer s’ils laissent supposer un harcèlement.
B. L’absence de justification objective de la part de l’employeur
La charge de la preuve bascule alors vers l’employeur. N’ayant pas conclu en cause d’appel, ce dernier était réputé s’approprier les motifs du jugement de première instance. Devant les premiers juges, il avait invoqué son pouvoir de direction et soutenu que les pratiques managériales étaient destinées à assurer le bon fonctionnement des magasins.
La cour écarte cette justification. Elle admet certes qu’il « relève du pouvoir de direction de l’employeur d’assurer un contrôle de l’activité de ses salariés et de maîtriser les temps de travail de ceux-ci ». Toutefois, elle juge que « l’employeur ne justifie pas de la nécessité pour atteindre ces objectifs de recourir à des pratiques pouvant apparaître déloyales ».
La cour vise particulièrement « la sous-estimation volontaire des chiffres d’affaires prévisionnels pris en compte pour l’élaboration des plannings ». Cette pratique, qualifiée de déloyale, engendre « pour les responsables de magasin une pression quotidienne, constante, et contribuant à dégrader leurs conditions de travail ».
Dès lors, la cour conclut que « l’employeur ne prouve pas que les décisions susvisées étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». Elle retient en conséquence que la salariée « a subi un harcèlement moral » et lui alloue 2 000 euros de dommages et intérêts.
Cette solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation. L’exercice du pouvoir de direction ne constitue pas en soi une justification suffisante. L’employeur doit démontrer que les mesures critiquées répondaient à une nécessité objective et proportionnée. La sous-estimation délibérée des prévisions de chiffre d’affaires pour contraindre les plannings ne saurait répondre à cette exigence.
II. L’annulation de la rupture conventionnelle fondée sur la violence morale
Après avoir caractérisé le harcèlement moral, la cour en tire les conséquences sur la validité de la rupture conventionnelle. Elle retient l’existence d’une violence morale ayant vicié le consentement (A), ce qui emporte des effets juridiques considérables (B).
A. La qualification de violence morale résultant du contexte de harcèlement
La rupture conventionnelle, pour être valable, suppose un consentement libre et éclairé des deux parties. L’article 1140 du code civil définit la violence comme l’exploitation abusive d’un état de dépendance. La jurisprudence admet que le vice de consentement peut résulter du contexte dans lequel la rupture conventionnelle a été conclue.
La cour relève que dès le 1er février 2019, le psychologue du travail avait noté que la salariée « éprouvait une anxiété relative à un sentiment d’inéluctabilité de sa situation et évoquait son souhait de quitter l’entreprise ». En juin 2021, selon l’attestation d’un délégué syndical, les mêmes dysfonctionnements ont conduit la salariée à solliciter son intervention avant de manifester sa volonté d’obtenir une rupture conventionnelle.
La cour en tire une conclusion décisive : « Dans un contexte de pratiques managériales relevant d’un harcèlement moral, ces éléments démontrent que l’appelante se trouvait dans une situation devenue insupportable, en l’absence de tout espoir d’amélioration, et qu’elle n’avait d’autre choix que de consentir à une rupture conventionnelle. »
La qualification retenue par la cour est particulièrement nette. Elle affirme que « la persistance de pratiques managériales anxiogènes comme l’état de stress chronique et durable en découlant, caractérisent, en l’espèce, l’existence d’une violence morale ». Cette formulation mérite attention. La cour ne se contente pas de relever un contexte défavorable. Elle qualifie expressément les faits de violence au sens du droit des contrats.
Cette solution s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation. La chambre sociale admet que l’existence d’un harcèlement moral peut vicier le consentement à une rupture conventionnelle. Encore faut-il établir un lien entre les agissements de harcèlement et la conclusion de la convention. Tel est le cas lorsque le salarié se trouve, du fait du harcèlement, dans une situation où il n’a d’autre issue que d’accepter la rupture.
B. Les effets de la nullité de la rupture conventionnelle
La cour prononce la nullité de la rupture conventionnelle et juge qu’elle « doit produire les effets d’un licenciement nul ». Cette qualification emporte des conséquences importantes.
Sur le plan indemnitaire, la salariée se voit allouer 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul, déterminée en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail. La cour tient compte de son âge, de son ancienneté de près de huit ans et de sa capacité à retrouver un emploi. Elle perçoit également l’indemnité compensatrice de préavis de 5 200 euros, les congés payés afférents de 520 euros et l’indemnité légale de licenciement de 5 062,52 euros.
La nullité emporte obligation réciproque de restitution. La salariée est condamnée à restituer l’indemnité de rupture conventionnelle de 5 090 euros qu’elle avait perçue. Cette restitution est logique puisque la convention est censée n’avoir jamais existé. La compensation entre les sommes dues permet de simplifier les flux financiers entre les parties.
L’arrêt ordonne également la remise de documents conformes, notamment le certificat de travail et l’attestation destinée à France travail. Ces documents doivent refléter la qualification de licenciement nul.
La portée de cet arrêt mérite d’être soulignée. Il confirme que les pratiques managériales, même présentées comme relevant du pouvoir de direction, peuvent constituer un harcèlement moral lorsqu’elles engendrent une pression quotidienne dégradant les conditions de travail. Il rappelle que le consentement à une rupture conventionnelle doit être apprécié au regard du contexte dans lequel il a été donné. Un salarié placé dans une situation insupportable du fait du harcèlement subi ne dispose pas de la liberté requise pour consentir valablement. La violence morale ainsi caractérisée entraîne la nullité de la convention et les effets protecteurs du licenciement nul.