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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai le 27 juin 2025 illustre les difficultés contentieuses propres aux groupements d’employeurs. Une salariée, engagée en qualité d’opérateur logistique polyvalent par un groupement d’employeurs, avait été mise à disposition de deux sociétés adhérentes successives avant d’être licenciée pour faute grave en raison d’absences injustifiées. Elle contestait la validité de son contrat de travail, revendiquait la qualité d’employeur des sociétés utilisatrices et invoquait une discrimination liée à son état de santé.
Les faits s’établissent comme suit. La salariée a été embauchée le 8 janvier 2018 par un groupement d’employeurs associatif. Elle a été mise à disposition d’une première société adhérente jusqu’au 8 novembre 2018, puis d’une seconde société à compter du 9 novembre 2018. Placée en arrêt maladie du 4 décembre 2018 au 10 février 2019, elle a adressé un message à son employeur exprimant son souhait de rompre le contrat. Aucune visite de reprise n’a été organisée. Le groupement l’a licenciée pour faute grave le 1er avril 2019.
La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Lens le 27 août 2020. Elle demandait la nullité de son contrat, la reconnaissance des sociétés utilisatrices comme employeurs véritables, ainsi que diverses indemnités pour discrimination, prêt illicite de main d’oeuvre et licenciement nul. Par jugement du 23 octobre 2023, le conseil de prud’hommes a déclaré irrecevables les demandes relatives à la rupture pour cause de prescription, débouté la salariée de ses prétentions et mis hors de cause les sociétés utilisatrices.
La Cour d’appel de Douai devait répondre à plusieurs questions. Le contrat de travail conclu avec le groupement encourt-il la nullité pour non-respect des mentions obligatoires prévues par l’article L. 1253-9 du code du travail ? Les sociétés utilisatrices peuvent-elles être qualifiées d’employeurs véritables ? Le licenciement est-il nul en raison d’une discrimination liée à l’état de santé ? La demande subsidiaire de licenciement sans cause réelle et sérieuse est-elle prescrite ?
La cour confirme pour l’essentiel le jugement entrepris. Elle juge que le non-respect des mentions obligatoires du contrat n’est pas sanctionné par la nullité. Elle écarte la qualification d’employeur véritable des sociétés utilisatrices. Elle considère que l’employeur justifie sa décision par des éléments objectifs exclusifs de toute discrimination. Enfin, si elle déclare recevable la demande de nullité du licenciement soumise à la prescription quinquennale, elle juge prescrite la demande subsidiaire fondée sur l’absence de cause réelle et sérieuse.
Cet arrêt mérite examen sur deux aspects. Il précise d’abord le régime de validité du contrat de travail au sein des groupements d’employeurs (I). Il illustre ensuite l’articulation des prescriptions applicables aux contestations du licenciement (II).
I. Le régime de validité du contrat dans les groupements d’employeurs
L’arrêt apporte des précisions sur les conséquences du non-respect des formalités contractuelles (A) et sur l’identification de l’employeur véritable (B).
A. L’absence de nullité pour défaut de mentions obligatoires
L’article L. 1253-9 du code du travail énumère les mentions devant figurer dans le contrat conclu par un groupement d’employeurs. Doivent notamment y apparaître les conditions d’emploi et de rémunération, la qualification professionnelle, la liste des utilisateurs potentiels et les lieux d’exécution du travail.
La salariée soutenait que le non-respect de ces exigences devait entraîner la nullité du contrat. La cour rejette cette prétention par un motif lapidaire : « aucun texte ne sanctionne le non-respect des formes prévues à l’article L. 1253-9 du code du travail par la nullité de ce contrat ».
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante selon laquelle la nullité ne se présume pas. Elle doit être expressément prévue par un texte ou résulter de la violation d’une règle d’ordre public. Le législateur n’ayant pas assorti les prescriptions de l’article L. 1253-9 d’une sanction de nullité, le juge ne peut y suppléer.
La portée de cette règle apparaît cependant limitée. Le salarié conserve la faculté de solliciter des dommages et intérêts s’il démontre un préjudice résultant du défaut d’information. Il peut également revendiquer, le cas échéant, la requalification de sa relation de travail avec l’entreprise utilisatrice.
B. Le maintien du lien de subordination avec le groupement
La salariée prétendait que son employeur véritable était non pas le groupement mais les sociétés auprès desquelles elle avait été mise à disposition. Elle invoquait le fait que les demandes d’heures supplémentaires étaient gérées par ces entreprises utilisatrices.
La cour écarte cette argumentation en rappelant que « les conditions d’exécution du travail relèvent de l’entreprise utilisatrice, conformément à l’article L. 1253-12 du code du travail ». Elle relève que le contrat a été signé par le groupement, que les arrêts maladie lui ont été adressés, que la salariée a contacté sa responsable hiérarchique au sein du groupement et que la procédure de licenciement a été menée par ce dernier.
Cette analyse respecte l’économie du dispositif légal. L’article L. 1253-1 du code du travail autorise les groupements à mettre leurs salariés à disposition de leurs membres. Cette mise à disposition n’opère pas transfert du lien de subordination. L’utilisateur exerce un pouvoir de direction fonctionnel sur les conditions d’exécution du travail, mais le groupement demeure l’employeur contractuel investi du pouvoir disciplinaire.
La jurisprudence admet toutefois la requalification lorsque l’utilisateur exerce en fait la totalité des prérogatives de l’employeur. En l’espèce, la salariée n’apportait aucun élément démontrant un tel transfert effectif.
II. L’articulation des prescriptions en matière de contestation du licenciement
L’arrêt illustre la complexité du régime des prescriptions applicables (A) et confirme l’autonomie de la demande de nullité fondée sur la discrimination (B).
A. La prescription annale de l’action en contestation du licenciement
L’article L. 1471-1 du code du travail soumet l’action portant sur la rupture du contrat de travail à un délai de prescription de douze mois à compter de la notification du licenciement.
Le licenciement ayant été notifié le 1er avril 2019, ce délai expirait en principe le 2 avril 2020. La cour applique le décret du 25 mars 2020 qui, dans le contexte de la crise sanitaire, a prorogé les délais arrivant à échéance pendant la période d’état d’urgence. Le délai a ainsi été reporté jusqu’au 24 août 2020.
Or la salariée n’a saisi le conseil de prud’hommes que le 27 août 2020. La cour déclare donc irrecevable comme prescrite sa demande tendant à voir juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Cette solution révèle l’importance pratique du calcul rigoureux des délais. Un retard de trois jours a suffi à rendre la demande irrecevable. Le praticien doit tenir compte non seulement du délai de base mais également des prorogations légales, dont le bénéfice est strictement encadré.
B. La recevabilité de la demande de nullité pour discrimination
La cour infirme partiellement le jugement de première instance qui avait déclaré irrecevables l’ensemble des demandes relatives à la rupture. Elle distingue selon le fondement de la contestation.
L’article L. 1471-1 du code du travail, en son dernier alinéa, exclut expressément de la prescription annale les actions exercées en application de l’article L. 1132-1 relatif aux discriminations. Ces actions relèvent du délai quinquennal de droit commun prévu par l’article 2224 du code civil.
La cour juge donc recevable la demande de nullité du licenciement fondée sur la discrimination. Le délai de cinq ans n’était pas écoulé lors de la saisine du conseil de prud’hommes le 27 août 2020, le licenciement datant du 1er avril 2019.
Sur le fond, la cour reconnaît que la salariée présente des éléments laissant supposer une discrimination : arrêt maladie de plus d’un mois, absence de visite de reprise, licenciement pour absences injustifiées. Ces éléments font peser sur l’employeur la charge de justifier sa décision par des éléments objectifs.
Le groupement satisfait à cette exigence. Il produit un message de la salariée exprimant son souhait de rompre le contrat, démontre avoir sollicité des justificatifs d’absence et rappelle qu’il disposait d’un délai de huit jours après la reprise effective pour organiser la visite médicale. La salariée n’ayant jamais manifesté la volonté de reprendre son poste, l’employeur établit que ses décisions étaient « fondées sur des éléments objectifs exclusifs de toute discrimination ».
Cette motivation illustre le mécanisme probatoire propre au contentieux des discriminations. Le salarié doit d’abord présenter des éléments de fait. Il revient ensuite à l’employeur de démontrer que ses décisions procèdent de considérations étrangères à tout motif prohibé. En l’espèce, le comportement de la salariée justifiait objectivement la sanction prononcée.