Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, n°24/00037

La Cour d’appel de Douai, par un arrêt du 27 juin 2025, statue sur l’action en réparation du préjudice d’anxiété formée par un ancien salarié exposé à l’amiante sur son lieu de travail. Cette décision s’inscrit dans le contentieux abondant relatif à l’indemnisation des travailleurs de l’amiante.

Un salarié a exercé les fonctions de lamineur au service forge au sein de l’Usine des Dunes de Leffrinckoucke du 16 octobre 1972 au 1er janvier 1986. Plusieurs sociétés ont successivement exploité ce site industriel. La société Ascometal Usine des Dunes, exploitante de 1987 à 2014, a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire le 7 mars 2014, puis d’une liquidation judiciaire le 24 juillet 2014. Estimant avoir été exposé à l’inhalation de poussières d’amiante durant sa carrière, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Dunkerque afin d’obtenir réparation de son préjudice d’anxiété.

Le conseil de prud’hommes de Dunkerque, statuant en formation de départage le 15 novembre 2023, a déclaré l’action du salarié irrecevable. Le salarié a interjeté appel de cette décision le 4 janvier 2024. Devant la cour, il sollicite l’infirmation du jugement, le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription, la reconnaissance de son exposition à l’amiante et la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire à hauteur de 30 000 euros. Le liquidateur judiciaire conclut à la confirmation du jugement en invoquant la prescription de l’action. L’AGS demande sa mise hors de cause.

La cour était saisie de deux questions distinctes. En premier lieu, l’action du salarié était-elle prescrite au regard du délai biennal de l’article L. 1471-1 du Code du travail ? En second lieu, le salarié pouvait-il obtenir réparation de son préjudice d’anxiété et l’AGS devait-elle garantir cette créance ?

La Cour d’appel de Douai infirme partiellement le jugement entrepris. Elle déclare l’action recevable, fixe au 20 décembre 2018 le point de départ de la prescription et reconnaît l’exposition du salarié à l’amiante. La cour fixe au passif de la liquidation judiciaire une créance de 10 000 euros au titre du préjudice d’anxiété. Elle met toutefois l’AGS hors de cause au motif que la créance est née postérieurement à l’ouverture de la procédure collective.

Cet arrêt présente un intérêt à double titre. La détermination du point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété constitue un premier apport substantiel (I). L’articulation entre la naissance de la créance indemnitaire et la garantie de l’AGS révèle les limites de la protection des salariés en cas de liquidation judiciaire (II).

I. La détermination du point de départ de la prescription, révélatrice de la spécificité du préjudice d’anxiété

La cour retient une conception subjective du point de départ de la prescription (A), qu’elle fait concrètement reposer sur la connaissance du risque par le salarié (B).

A. L’adoption d’une conception subjective du point de départ

La Cour d’appel de Douai rappelle le principe posé par l’article L. 1471-1 du Code du travail selon lequel « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». Elle précise que « le point de départ du délai de prescription de l’action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d’anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ».

Cette formulation reprend la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt d’Assemblée plénière du 5 avril 2019. La cour souligne que « ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin ». Elle ajoute que « le préjudice d’anxiété voit son origine dans l’exposition du salarié dans l’entreprise » tout en relevant que « ces deux éléments ne sont pas nécessairement concomitants, alors que le travailleur n’a pas nécessairement une connaissance pleine entière et immédiate du danger que représente cette exposition ».

La cour adopte ainsi une conception subjective du point de départ de la prescription, liée à la connaissance effective du risque par le salarié. Cette approche se distingue d’une conception objective qui aurait fait courir le délai à compter de la fin de l’exposition ou de la rupture du contrat de travail. Le liquidateur judiciaire soutenait précisément que « dans la mesure où la rupture de son contrat de travail est intervenue plus de deux ans avant la saisine du conseil de prud’hommes, son action se voit nécessairement prescrite ». La cour rejette cette argumentation en distinguant le fait générateur du dommage de la connaissance du risque par la victime.

B. La caractérisation concrète de la connaissance du risque

La cour confirme l’analyse des premiers juges qui avaient « retenu que la date de point de départ de la connaissance du risque devait être fixée au 20 décembre 2018, date de la publication d’un article de La Voix du Nord relatif à un jugement favorable du tribunal administratif de Lille concernant une demande d’inscription du site de LEFFRINCKOUCKE sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA ».

La cour justifie ce choix en relevant que « l’action visant à voir bénéficier des mesures de l’ACAATA, permettant aux salariés d’obtenir un départ anticipé à la retraite en raison de la fragilité physique qu’induit l’exposition des salariés à l’amiante au sein de l’entreprise, constitue le point d’orgue du préjudice d’anxiété subi ». Elle ajoute que « la diffusion de cette information sur un quotidien à très large diffusion constitue donc une mise en exergue de l’incidence de l’exposition à l’amiante sur la durée de vie des salariés du site, et partant, la connaissance complète de son danger et le point de départ du préjudice d’anxiété subi ».

La cour rejette les éléments invoqués par le liquidateur judiciaire pour établir une connaissance antérieure du risque. Elle observe que « les pièces produites par la société BTSG ès qualités ne suffisent pas à considérer que c’est à l’occasion de tel ou tel événement (la constitution d’une association de défense par exemple) que le salarié a eu une complète connaissance du danger ». Elle rappelle que la charge de la preuve incombe à celui qui invoque la prescription et que l’employeur « ne rapporte pas la preuve de la date à laquelle l’employeur a informé le salarié personnellement des risques auxquels son travail l’exposait, conformément à l’article 9 du décret du 17 août 1977 ».

Le salarié ayant saisi le conseil de prud’hommes dans le délai de deux ans suivant le 20 décembre 2018, son action est déclarée recevable. La question de la prescription étant tranchée, la cour examine le bien-fondé de la demande de réparation du préjudice d’anxiété.

II. L’indemnisation du préjudice d’anxiété confrontée aux limites de la garantie collective

La cour reconnaît le droit à réparation du salarié en établissant le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (A), mais exclut la garantie de l’AGS en raison de la date de naissance de la créance (B).

A. La reconnaissance du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

La cour rappelle qu’« en application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, il appartient à l’employeur, dont la responsabilité contractuelle est engagée du fait de l’exposition d’un salarié à l’inhalation des poussières d’amiante dans le cadre de l’exécution de son travail, de justifier qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

Le salarié établit son exposition à l’amiante par la production de témoignages. Un ancien collègue atteste que « ce travail s’effectuait dans une atmosphère permanente de poussières d’amiante et de produits réfractaires à base d’amiante » et précise que « nous n’avions pas de protections individuelles et collectives contre l’amiante ». La cour en déduit que « pendant sa carrière au sein de l’Usine des Dunes, et dans le cadre des fonctions qui lui ont été dévolues, M. [V] rapporte la preuve qu’il a été exposé durablement aux poussières d’amiantes ».

L’employeur tente de s’exonérer en invoquant des travaux de désamiantage effectués en 2003. La cour écarte cette argumentation en relevant qu’« il n’est pas possible d’apprécier non seulement les résultats positifs de ces travaux pour l’avenir, sur quels secteurs, mais aussi d’évaluer les efforts allégués au cours des années précédentes ». Elle constate qu’« il n’est pas démontré que M. [V] a été effectivement, personnellement et suffisamment été protégé par mesures individuelles ou générales de manière efficace face aux dangers connus de l’employeur ».

La cour souligne que « les dangers des poussières d’amiante, étaient identifiés dès le début du siècle » en citant un rapport de 1906 et un article médical de 1930. Elle rappelle que « le décret de 1977 a évoqué la particularité de l’amiante » et que « l’employeur ne pouvait objectivement ignorer le danger de l’amiante et le risque vital auquel étaient exposés ses salariés pendant des années ».

La cour précise qu’« il importe peu que le salarié ne soit ni malade ni contaminé, le préjudice d’anxiété allégué résultant de la seule inquiétude permanente de voir déclarer une maladie consécutive à une exposition à l’amiante ». Les témoignages familiaux établissent l’état d’anxiété du salarié, décrit comme « très inquiet, stressé, toujours angoissé et très souvent insomniaque ». La cour fixe l’indemnisation à 10 000 euros, montant inférieur aux 30 000 euros réclamés.

B. L’exclusion de la garantie de l’AGS en raison de la postériorité de la créance

La cour rappelle que « l’article L.3253-8 du code du travail dispose que l’AGS couvre notamment les sommes dues au salarié à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ». Elle constate que la société « a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire par décision du tribunal de commerce de Nanterre du 7 mars 2014 puis d’une liquidation judiciaire suivant jugement du 24 juillet 2014 ».

La cour procède ensuite à une analyse décisive de la date de naissance de la créance. Elle retient que « la créance due à M. [V] en réparation de son préjudice d’anxiété est née le 20 décembre 2018, date à laquelle il a eu une connaissance complète du risque élevé de développer une pathologie grave résultant d’une exposition à l’amiante ». Elle qualifie cette connaissance de « fait générateur du préjudice d’anxiété ».

Cette analyse conduit à exclure la garantie de l’AGS. La cour relève que « cette connaissance, qui constitue le fait générateur du préjudice d’anxiété, est intervenue postérieurement à la date d’ouverture du redressement et de la liquidation judiciaires de la société ASCOMETAL Usine des Dunes ». Elle en conclut que « l’AGS n’a pas vocation à garantir le préjudice d’anxiété né de l’exposition de M. [V] à l’amiante » et prononce la mise hors de cause de l’organisme de garantie.

Cette solution révèle un paradoxe. Le même événement, la publication de l’article de presse du 20 décembre 2018, sert à la fois à rendre l’action recevable et à exclure la garantie de l’AGS. Si la cour avait retenu une date antérieure comme point de départ de la prescription, l’action aurait été irrecevable. En retenant la date du 20 décembre 2018, la cour permet au salarié d’agir mais le prive de toute garantie effective de paiement. Le salarié obtient la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire sans certitude d’en percevoir le montant, la société étant en liquidation judiciaire depuis 2014.

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Hassan KOHEN
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