Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, n°24/00112

Now using node v22.15.1 (npm v10.8.2)
Utilisation de Node.js v20.19.4 et npm 10.8.2
Codex est déjà installé.
Lancement de Codex…
Cour d’appel de Douai, 27 juin 2025, chambre sociale (prud’hommes). Le litige naît d’une demande d’indemnisation du préjudice d’anxiété liée à l’exposition à l’amiante sur un site sidérurgique. Le salarié avait travaillé de 1972 à 2007. L’employeur a été placé en redressement puis liquidation en 2014. Saisi, le Conseil de prud’hommes de Dunkerque, formation de départage, le 15 novembre 2023, a retenu la responsabilité de l’employeur et fixé l’indemnité à 10 000 euros, en appelant la garantie du régime légal de protection des créances salariales.

En cause d’appel, l’organisme de garantie conteste la condamnation et, subsidiairement, sa garantie, tandis que le mandataire judiciaire soulève la prescription. Le salarié sollicite la confirmation. La juridiction du second degré devait trancher trois questions principales. D’abord, la détermination du point de départ de la prescription biennale applicable à l’action fondée sur le manquement à l’obligation de sécurité. Ensuite, l’établissement du manquement au regard des mesures de prévention et de protection exigées. Enfin, la date de naissance de la créance d’anxiété pour l’application du régime légal de garantie des créances salariales. La Cour déclare l’action recevable et non prescrite, retient la responsabilité de l’employeur et évalue l’anxiété à 10 000 euros, mais écarte la garantie de l’organisme de garantie au motif que la créance est née postérieurement au jugement d’ouverture.

I. Prescription et manquement à l’obligation de sécurité

A. Le point de départ du délai biennal

La Cour rappelle d’abord la règle gouvernant la prescription de l’action fondée sur l’exécution du contrat. Elle cite que « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qu’il exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». S’agissant du préjudice d’anxiété lié à l’amiante, elle précise que « le point de départ du délai de prescription […] est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ».

Elle ajoute un garde-fou chronologique déterminant en affirmant que « ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin ». Ce double attendu articule utilement la connaissance qualifiée du risque et la fin de l’exposition, pour éviter une antériorité artificielle. Les juges du fond fixent la connaissance complète au 20 décembre 2018, date à laquelle une information publique substantielle sur l’éligibilité au dispositif d’anticipation de retraite a mis « en exergue l’incidence de l’exposition à l’amiante sur la durée de vie des salariés du site ». La charge de démontrer une connaissance antérieure pèse sur le défendeur. La Cour souligne que « c’est à lui qu’il appartient de démontrer une telle antériorité » et qu’« il ne rapporte pas la preuve de la date à laquelle l’employeur a informé le salarié personnellement des risques ». L’action introduite dans le délai biennal est donc recevable.

B. La caractérisation du manquement de l’employeur

La juridiction d’appel rappelle l’assise textuelle de l’obligation de sécurité. Il « appartient à l’employeur […] de justifier qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». L’employeur ne peut s’exonérer par des mesures tardives, lacunaires, ou non individualisées. La Cour note l’insuffisance des éléments produits, limités à des opérations de désamiantage en 2003 sans portée pleinement démontrée, et l’absence de preuve d’une protection personnelle et continue du salarié durant toute sa carrière.

La Cour dégage ensuite la nature autonome du dommage d’anxiété, indépendamment de toute atteinte pathologique déjà constituée. Elle énonce que « il importe peu que le salarié ne soit ni malade ni contaminé, le préjudice d’anxiété allégué résultant de la seule inquiétude permanente ». L’inquiétude est ici établie par témoignages concordants et certificat médical. L’ensemble justifie la responsabilité contractuelle de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité, sans qu’il soit besoin d’une qualification fautive aggravée.

II. Indemnisation du préjudice d’anxiété et portée quant à la garantie

A. L’évaluation souveraine d’un dommage moral spécifique

Le dommage indemnisé relève d’un trouble psychique objectivé par des éléments sérieux. Les juges retiennent la durée d’exposition, l’intensité des tâches, l’absence de protection adéquate, et la persistance d’une inquiétude rationnelle. Ils soulignent que « l’inquiétude […] est démontrée par les témoignages et documents […] attestant de l’existence de son état d’anxiété ». L’évaluation à 10 000 euros s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle mesurée, attachée à l’individualisation des situations. Elle témoigne d’une exigence probatoire réaliste, évitant à la fois l’automaticité et l’exigence disproportionnée d’une pathologie déclarée.

Cette appréciation préserve l’équilibre entre prévention et réparation. Elle incite à la conservation des preuves d’information, de formation, et de protection individuelles, que l’employeur doit pouvoir verser utilement aux débats. La cohérence avec la responsabilité contractuelle ressort pleinement, la preuve de l’exécution des obligations pesant sur le débiteur de sécurité.

B. La naissance de la créance et l’exclusion de la garantie des salaires

La Cour opère une distinction temporelle décisive, centrée sur le fait générateur du dommage réparable. Elle relève que « la créance due […] en réparation de son préjudice d’anxiété est née le 20 décembre 2018 », car « cette connaissance, qui constitue le fait générateur du préjudice d’anxiété, est intervenue postérieurement à la date d’ouverture » des procédures collectives. Dès lors, la créance ne répond pas au critère d’exigibilité ou d’existence à la date du jugement d’ouverture exigé par le régime légal de garantie des créances salariales.

Cette solution s’accorde avec la finalité stricte de la garantie, cantonnée aux sommes dues à la date d’ouverture et aux indemnités étroitement connexes. Elle emporte une conséquence pratique importante. En matière d’anxiété amiante, la date de connaissance du risque, distincte de la fin d’exposition, devient décisive pour la garantie. La Cour consacre ici une lecture sécurisée, qui protège l’égalité des créanciers dans la procédure tout en garantissant l’indemnisation sur le passif. Elle confirme la fixation de la créance au passif et met hors de cause l’organisme de garantie, sans priver le salarié de son droit à réparation.

Cette articulation, entre temporalité de la connaissance du risque et champ de la garantie, prolonge la jurisprudence reconnaissant l’autonomie du préjudice d’anxiété hors inscription préalable à un dispositif spécifique. Elle en précise la portée dans le contexte des entreprises en difficulté. L’exigence d’une date de naissance postérieure à l’ouverture exclut la garantie, mais clarifie le régime applicable et la trajectoire de recouvrement, en assurant la cohérence du droit des entreprises en difficulté avec le droit de la santé au travail.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture