- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Par un arrêt du 27 juin 2025, la cour d’appel de Douai s’est prononcée sur l’indemnisation du préjudice d’anxiété d’un ancien salarié exposé à l’amiante et sur la garantie de l’AGS en matière de procédure collective.
Un salarié a travaillé du 2 février 1973 au 30 novembre 2011 au sein d’une usine sidérurgique, en qualité d’agent de parachèvement-contrôleur service métallurgique-laminoir. Cette usine a été exploitée par plusieurs sociétés successives, dont l’une a fait l’objet d’un redressement judiciaire le 7 mars 2014, puis d’une liquidation judiciaire le 24 juillet 2014. Le 20 décembre 2018, un jugement du tribunal administratif de Lille, relatif à l’inscription du site sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante, a été rendu et médiatisé. Estimant avoir été exposé à l’inhalation de poussières d’amiante, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Dunkerque aux fins d’obtenir réparation de son préjudice d’anxiété.
Le conseil de prud’hommes, statuant en formation de départage le 15 novembre 2023, a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et fixé au passif de la procédure collective une créance de 10 000 euros au bénéfice du salarié. L’AGS a relevé appel de cette décision, contestant notamment l’existence du préjudice et sa garantie. Le liquidateur judiciaire a conclu à la prescription de l’action et, subsidiairement, à la réduction du quantum des dommages-intérêts.
La question de droit portait, d’une part, sur la détermination du point de départ du délai de prescription biennal applicable à l’action en réparation du préjudice d’anxiété et, d’autre part, sur la garantie de l’AGS pour une créance née postérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
La cour d’appel de Douai confirme la recevabilité de l’action, fixe la créance du salarié à 10 000 euros au passif de la liquidation judiciaire et met l’AGS hors de cause au motif que la créance est née postérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
Cette décision appelle un examen tant du régime probatoire et de la prescription applicable au préjudice d’anxiété (I) que de l’articulation entre la naissance de ce préjudice et la garantie de l’AGS (II).
I. La reconnaissance du préjudice d’anxiété et la question de la prescription
A. L’établissement du préjudice d’anxiété par le salarié
La cour d’appel de Douai retient que le salarié « rapporte la preuve de son exposition durable aux poussières d’amiantes » dans le cadre de ses fonctions. Elle s’appuie sur plusieurs témoignages de collègues attestant que l’intéressé travaillait « dans un atelier très poussiéreux » où « les poussières d’amiante étaient très présentes », que son poste le conduisait à proximité de « tours de traitement thermique dans lesquels l’amiante servait d’isolation » et que « le travail était effectué sans aucune protection individuelle et collective ».
Cette motivation illustre l’assouplissement jurisprudentiel des exigences probatoires en matière de préjudice d’anxiété. La Cour de cassation a admis, depuis son arrêt d’Assemblée plénière du 5 avril 2019, que tout salarié exposé à l’amiante peut solliciter réparation de ce préjudice, sans être tenu de justifier d’une inscription de son employeur sur la liste ouvrant droit à l’ACAATA. La cour d’appel de Douai s’inscrit dans cette jurisprudence en affirmant qu’« il importe peu que le salarié ne soit ni malade ni contaminé, le préjudice d’anxiété allégué résultant de la seule inquiétude permanente de voir déclarer une maladie consécutive à une exposition à l’amiante ».
L’arrêt souligne également le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. La cour relève que « les dangers des poussières d’amiante, étaient identifiés dès le début du siècle » et que l’employeur « ne pouvait objectivement ignorer le danger de l’amiante et le risque vital auquel étaient exposés ses salariés ». Le fait que l’entreprise n’ait finalement pas été inscrite sur la liste ACAATA par la cour administrative d’appel « n’a pas pour autant pour effet de remettre en cause les conséquences dommageables d’une exposition des salariés de cet employeur aux poussières d’amiante ».
B. La fixation du point de départ de la prescription biennale
La détermination du point de départ du délai de prescription constitue l’enjeu central du litige relatif à la recevabilité. L’article L. 1471-1 du code du travail prévoit que toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans « à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».
La cour d’appel de Douai retient que « le point de départ du délai de prescription de l’action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d’anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ». Elle précise que ce point de départ « ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin » mais que « ces deux éléments ne sont pas nécessairement concomitants ».
En l’espèce, le contrat de travail avait pris fin le 30 novembre 2011, soit plus de sept ans avant la saisine du conseil de prud’hommes. Le liquidateur judiciaire soutenait que le salarié avait « manifestement connaissance de la présence d’amiante dans l’entreprise » depuis les années 2000. La cour rejette cette argumentation en fixant le point de départ au 20 décembre 2018, date de publication d’un article de presse relatif au jugement favorable du tribunal administratif. Elle retient que « l’action visant à voir bénéficier des mesures de l’ACAATA constitue le point d’orgue du préjudice d’anxiété subi » et que « la diffusion de cette information sur un quotidien à très large diffusion constitue une mise en exergue de l’incidence de l’exposition à l’amiante sur la durée de vie des salariés du site ».
Cette solution fait peser sur l’employeur la charge de démontrer une connaissance antérieure du risque par le salarié. La cour précise qu’« il ne rapporte pas la preuve de la date à laquelle l’employeur a informé le salarié personnellement des risques auxquels son travail l’exposait ».
II. L’exclusion de la garantie de l’AGS pour une créance née postérieurement à la procédure collective
A. Le fondement textuel de l’exclusion
L’article L. 3253-8 du code du travail définit les créances couvertes par l’AGS. Le texte vise notamment « les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ». La cour d’appel de Douai en déduit que la garantie suppose une créance née antérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
En l’espèce, le redressement judiciaire a été ouvert le 7 mars 2014 et la liquidation judiciaire prononcée le 24 juillet 2014. La cour retient que « la créance due au salarié en réparation de son préjudice d’anxiété est née le 20 décembre 2018, date à laquelle il a eu une connaissance complète du risque élevé de développer une pathologie grave ». Elle qualifie cette connaissance de « fait générateur du préjudice d’anxiété » et constate qu’elle « est intervenue postérieurement à la date d’ouverture du redressement et de la liquidation judiciaires ».
Cette analyse conduit à mettre l’AGS hors de cause. La cour conclut que « l’AGS n’a pas vocation à garantir le préjudice d’anxiété né de l’exposition du salarié à l’amiante ».
B. La portée de la solution et ses implications pratiques
La solution retenue par la cour d’appel de Douai soulève une difficulté conceptuelle relative à la date de naissance du préjudice d’anxiété. L’exposition à l’amiante, fait matériel générateur du risque sanitaire, s’est produite pendant l’exécution du contrat de travail, donc bien avant l’ouverture de la procédure collective. Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est également antérieur à cette date.
La cour opère toutefois une distinction entre le fait dommageable et la naissance du préjudice lui-même. Le préjudice d’anxiété se caractérise par une inquiétude permanente qui naît de la connaissance du risque. Cette connaissance constitue, selon l’arrêt, le fait générateur de la créance indemnitaire. La logique juridique est cohérente : on ne saurait éprouver d’anxiété à raison d’un risque dont on ignore l’existence.
Les conséquences pratiques de cette solution méritent attention. Le salarié obtient la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire mais ne bénéficie d’aucune garantie de l’AGS. Le recouvrement effectif de son indemnité dépendra des fonds disponibles dans le cadre de la procédure collective. Cette situation peut sembler paradoxale dès lors que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité pendant la relation contractuelle.
L’articulation entre le régime du préjudice d’anxiété et celui de la garantie des salaires illustre les limites de la protection offerte aux victimes de l’amiante. La reconnaissance du préjudice et son indemnisation théorique ne garantissent pas une réparation effective lorsque l’employeur est en liquidation judiciaire et que la créance est réputée née postérieurement à l’ouverture de la procédure.