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Par un arrêt de la Cour d’appel de Douai du 27 juin 2025 (chambre sociale), statuant sur appel d’un jugement du conseil de prud’hommes de Dunkerque du 15 novembre 2023, la juridiction confirme la recevabilité d’une action en réparation d’un préjudice d’anxiété lié à l’amiante, retient la responsabilité de l’employeur pour manquement à l’obligation de sécurité, fixe l’indemnité à 10 000 euros et écarte la garantie de l’organisme de garantie des salaires. L’arrêt tranche deux questions centrales. D’une part, il précise le point de départ de la prescription biennale de l’action fondée sur l’anxiété d’amiante. D’autre part, il délimite les conséquences de la date de naissance de la créance sur la garantie du régime de protection des créances salariales en cas de procédure collective.
Le litige naît du parcours d’un salarié exposé à l’amiante sur un site industriel durant une longue période, son contrat ayant pris fin avant l’ouverture d’une procédure de redressement puis de liquidation judiciaires de l’employeur. Postérieurement à la rupture, une information publique relative à la procédure d’inscription du site au dispositif d’anticipation de retraite a mis en lumière l’ampleur du risque sanitaire. Le salarié saisit alors la juridiction prud’homale pour obtenir l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété. Le premier juge accueille partiellement la demande, retient la responsabilité de l’employeur, alloue une somme de 8 000 euros et admet l’opposabilité au régime de garantie. La cour d’appel confirme la recevabilité et la responsabilité, augmente le quantum à 10 000 euros et exclut la garantie. Elle rappelle d’abord les principes gouvernant le point de départ de l’action et l’obligation de sécurité, puis en déduit la solution assurantielle.
I. Le sens de la décision
A. Le point de départ de l’action fixé à la connaissance complète du risque
La juridiction fixe avec précision le cadre juridique de la prescription. Elle énonce que « Attendu qu’en application de l’article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qu’il exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». Elle ajoute, à propos du préjudice invoqué, que « le point de départ du délai de prescription de l’action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d’anxiété, [est] la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ». La solution s’inscrit dans la logique d’un fait générateur subjectif fondé sur la connaissance, et non dans une référence automatique à la date de fin d’exposition ou de rupture du contrat.
La cour précise utilement la portée temporelle de ce point de départ. Elle affirme que « ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin ». Elle écarte cependant toute automaticité entre fin d’exposition et connaissance efficace en soulignant que « toutefois ces deux éléments ne sont pas nécessairement concomitants, alors que le travailleur n’a pas nécessairement une connaissance pleine entière et immédiate du danger que représente cette exposition ». Elle complète en indiquant que « cette connaissance, qui n’est complète que lorsque cette exposition a pris fin, n’intervient pas obligatoirement à l’issue de cette exposition, voire au moment de la rupture du contrat de travail du salarié ». Le raisonnement articule ainsi trois repères. La connaissance ne peut, par définition, précéder la fin du risque d’exposition. Elle peut intervenir plus tard, au gré d’éléments révélateurs. Elle déclenche alors le délai biennal, sous réserve de la charge de la preuve.
La juridiction rattache la connaissance complète à une information publique massive relative au dispositif d’anticipation de retraite, considérée comme révélatrice de l’ampleur du danger pour les salariés du site. Elle juge que les éléments adverses ne démontrent pas une antériorité de la connaissance, en rappelant la charge probatoire pesant sur celui qui oppose la prescription. La solution entend préserver l’accès au juge lorsque la compréhension du risque s’est construite tardivement, sans dénaturer le principe de sécurité juridique.
B. La responsabilité de l’employeur pour manquement à l’obligation de sécurité et la preuve du préjudice
Sur le fond, la cour rappelle l’étendue de l’obligation de sécurité et la charge qui en découle. Elle affirme que « Attendu qu’en application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, il appartient à l’employeur, dont la responsabilité contractuelle est engagée du fait de l’exposition d’un salarié à l’inhalation des poussières d’amiante dans le cadre de l’exécution de son travail, de justifier qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, prévues par les textes susvisés ». L’arrêt constate une exposition durable, appuyée par des témoignages sur l’absence de protections et la présence d’amiante dans divers ateliers, et relève l’insuffisance des pièces produites pour établir des mesures de prévention efficaces sur l’ensemble de la période d’emploi.
La juridiction précise la logique probatoire en santé-sécurité. Elle souligne que la démonstration doit porter sur des mesures effectives, personnelles et continues, et non sur des opérations ponctuelles de désamiantage isolées. Elle retient, en outre, que la connaissance ancienne de la dangerosité de l’amiante aggravait l’exigence de prévention. Enfin, elle caractérise le préjudice spécifique. Elle énonce que « Attendu qu’il importe peu que le salarié ne soit ni malade ni contaminé, le préjudice d’anxiété allégué résultant de la seule inquiétude permanente de voir déclarer une maladie consécutive à une exposition à l’amiante ». L’arrêt fixe en conséquence une indemnité de 10 000 euros, au regard de la durée d’exposition, de la nature des tâches et des manifestations d’anxiété établies.
II. Valeur et portée
A. La cohérence du choix d’un fait révélateur public et les exigences probatoires
Le choix d’un événement d’information publique comme repère de connaissance complète présente une cohérence méthodologique. Il fournit un jalon objectif, aisément datable, révélant l’ampleur du risque pour une collectivité de travailleurs exposés. Il permet aussi de différencier le savoir diffus et l’alerte effective, nécessaire pour mesurer la réalité d’une « inquiétude permanente ». Cette option respecte la construction jurisprudentielle d’un point de départ subjectif mais raisonnable, encadré par la fin d’exposition. Elle n’érige pas en principe un acte administratif déterminé, mais retient sa publicité et son contenu informatif comme révélateurs crédibles.
La cour renforce ce choix en rappelant la charge probatoire pesant sur celui qui invoque la prescription. Elle constate « qu’il ne rapporte pas la preuve de la date à laquelle l’employeur a informé le salarié personnellement des risques auxquels son travail l’exposait, conformément à l’article 9 du décret du 17 août 1977 ». Ce rappel recentre le débat sur l’information individuelle et la prévention, qui sont au cœur des obligations légales. La solution incite les entreprises à conserver des traces précises d’information et de formation, faute de quoi la prescription ne peut jouer qu’exceptionnellement dans des environnements à risques historiquement connus.
Ce cadre évite de confondre notoriété générale et connaissance juridiquement opérante. Il laisse néanmoins une place à des éléments révélateurs plus précoces, s’ils sont établis, ce qui préserve l’équilibre entre sécurité juridique et protection de la santé au travail. L’approche est mesurée, respectueuse du texte de prescription et des principes directeurs du contentieux de l’amiante.
B. La délimitation de la garantie en procédure collective et la définition du fait générateur
Sur la garantie en procédure collective, la solution s’attache à la date de naissance de la créance. Le principe est rappelé par le texte selon lequel la garantie « couvre notamment les sommes dues au salarié à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ». La cour détermine alors le fait générateur du préjudice d’anxiété comme étant la connaissance complète du risque, postérieure en l’espèce aux jugements d’ouverture. La créance naît à cette date, indépendamment de la période d’exposition, ce qui exclut la prise en charge par le régime de garantie.
Cette construction présente deux vertus. Elle s’accorde d’abord avec la nature du préjudice, qui se cristallise au jour de l’appréhension effective du risque et de l’inquiétude durable, non au seul temps de l’exposition. Elle assure ensuite la cohérence du droit des entreprises en difficulté, en limitant la garantie aux créances existant au jour de l’ouverture, selon un critère temporel clair et prévisible. La solution évite un glissement qui conduirait à garantir, par un mécanisme collectif, des créances nées bien après l’ouverture et dont le fait générateur est conceptuellement distinct de l’exécution salariale antérieure.
L’exclusion de garantie ne prive pas la victime de réparation. La créance est fixée au passif de la procédure, selon les règles ordinaires de la liquidation. L’arrêt articule ainsi la protection de la santé au travail avec les impératifs du droit des procédures collectives. Il maintient la responsabilité de l’employeur, confirme l’autonomie du préjudice d’anxiété et circonscrit avec précision la portée de la garantie. L’économie générale demeure lisible. La prévention prime sur l’aléa, la réparation s’opère dans le cadre collectif approprié, la garantie n’est pas étendue au-delà de son périmètre légal.