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La Cour d’appel de Douai, 27 juin 2025, statue sur les suites d’une action en réparation d’un préjudice d’anxiété consécutif à une exposition professionnelle à l’amiante. L’affaire naît d’une carrière longue sur un site industriel, close en 2003, puis d’une liquidation judiciaire intervenue en 2014. Le salarié assigne l’employeur, en présence du liquidateur, et sollicite l’intervention de l’organisme de garantie des salaires au titre de la procédure collective.
Le conseil de prud’hommes a accueilli la demande, rejeté la fin de non‑recevoir tirée de la prescription, fixé l’indemnité et mis à la charge de la liquidation les dépens, tout en organisant les diligences accessoires. Saisie par l’organisme de garantie et par le liquidateur, la juridiction du second degré limite le débat aux prétentions dirigées contre la liquidation et à la question de la garantie. Les appelants invoquent la prescription, l’absence de manquement, la minoration du quantum, et l’exclusion de la garantie légale en raison de la naissance supposée postérieure de la créance.
La question principale porte sur le point de départ de l’action fondée sur l’anxiété amiante au regard de l’article L.1471‑1 du code du travail, sur la preuve du manquement de sécurité au sens des articles L.4121‑1 et L.4121‑2, puis sur la date de naissance de la créance au regard de l’article L.3253‑8. La Cour confirme la recevabilité, retient un point de départ situé en 2018, caractérise l’exposition et le manquement, évalue l’anxiété à 10 000 euros, et écarte la garantie de l’organisme de salaires.
I – Détermination du point de départ et accueil du préjudice d’anxiété
A – La connaissance du risque comme déclencheur de la prescription biennale
La Cour rappelle d’abord la règle applicable: « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qu’il exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». Elle précise ensuite la spécificité de l’action en anxiété amiante: « Que le point de départ du délai de prescription de l’action […] et la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ». La borne minimale est également fixée par un principe clair: « Que ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin ».
Sur cette base, la juridiction du fond situe la connaissance complète du risque au 20 décembre 2018, consécutivement à une information publique relative aux démarches ACAATA concernant le site. Cette date n’est pas déduite d’une simple rumeur, mais d’un fait notoire et objectivé, aisément accessible, qui révèle l’ampleur et la nature du danger. La charge de démontrer une antériorité pèse, en outre, sur l’employeur, spécialement au regard du devoir d’information individuelle prévu par le décret du 17 août 1977. Faute d’éléments précis et personnels établissant une connaissance antérieure, la fin de non‑recevoir est écartée dans le délai biennal.
Ce raisonnement, fidèle à la logique de l’action en anxiété, articule de manière cohérente la fin de l’exposition, la diffusion effective de l’information sur le risque, et le fardeau probatoire. Il offre un critère opératoire, compatible avec les exigences de sécurité juridique, sans présumer artificiellement la connaissance du salarié.
B – La caractérisation du manquement de sécurité et du préjudice indemnisable
Sur le fond, la Cour rappelle la norme de comportement: il incombe à l’employeur de « justifier qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Les témoignages concordants établissent une exposition durable à des poussières d’amiante dans des ateliers identifiés, durant une période étendue. Les éléments produits en défense, centrés sur des opérations de désamiantage tardives, ne permettent pas de démontrer une protection effective, individualisée et continue.
La motivation est nette: « en ne démontrant pas avoir effectivement pris les mesures nécessaires pour éviter la mise en contact des salariés avec l’amiante, alors qu’il ne pouvait manquer d’avoir conscience du danger que représentait une telle exposition, l’employeur a commis un manquement aux dispositions légales susvisées, dont il doit assumer les conséquences dommageables ». La nature du dommage est, elle aussi, clairement posée: « il importe peu que le salarié ne soit ni malade ni contaminé, le préjudice d’anxiété allégué résultant de la seule inquiétude permanente de voir déclarer une maladie consécutive à une exposition à l’amiante ».
La Cour s’inscrit ainsi dans une ligne désormais établie: l’anxiété, distincte de l’atteinte corporelle, est indemnisable dès lors qu’une exposition fautive est établie et que l’inquiétude est caractérisée. L’évaluation à 10 000 euros reflète l’intensité, la durée et la crédibilité des éléments produits, dans une fourchette usuelle du contentieux amiante hors dispositif ACAATA.
II – Naissance de la créance et étendue de la garantie salariale
A – Le fait générateur postérieur à l’ouverture et l’exclusion de la garantie
La Cour articule ensuite le régime de l’article L.3253‑8 avec la nature de la créance d’anxiété. Elle énonce que « l’[organisme de garantie] couvre notamment les sommes dues au salarié à la date du jugement d’ouverture ». Or, la créance d’anxiété ne naît pas au jour de l’exposition, mais au jour de la connaissance juridiquement caractérisée du risque. La formule décisive est explicite: « Que cette connaissance, qui constitue le fait générateur du préjudice d’anxiété, est intervenue postérieurement à la date d’ouverture du redressement et de la liquidation judiciaires ».
Cette qualification entraîne mécaniquement l’exclusion de la garantie. La créance, née après l’ouverture, n’entre pas dans le champ temporel de la couverture légale. La solution met hors de cause l’organisme de garantie et cantonne la dette au passif de la liquidation, conformément aux finalités de la sûreté collective et au bornage strict du dispositif de garantie des salaires.
Ce faisant, la Cour confirme une lecture rigoureuse du couple fait générateur/naissance de la créance, adaptée aux dommages d’anxiété dont la réalisation juridique dépend d’un événement cognitif objectivable.
B – Appréciation de la solution et portée pratique
La décision présente une cohérence d’ensemble. Elle harmonise le point de départ de l’action, la qualification du fait générateur et le périmètre de la garantie. Elle clarifie l’articulation entre prévention des risques, charge de la preuve et temporalité de l’indemnisation. Elle évite, en outre, une confusion entre exposition ancienne et naissance contemporaine de la créance.
On peut relever cependant une zone de vigilance pratique. L’ancrage de la connaissance sur un fait d’information général peut varier selon les espèces, au risque d’hétérogénéités entre salariés d’un même site. L’identification d’une information individualisée, notamment par le respect documenté du devoir d’information, pourrait déplacer la date retenue et, partant, influer sur la prescription et la garantie.
La portée de l’arrêt est nette pour le contentieux amiante hors liste ACAATA. La reconnaissance du préjudice d’anxiété reste ouverte, sous réserve d’une exposition établie et d’un manquement non démontré comme évité. La fixation de la naissance de la créance au jour de la connaissance renforce, enfin, la prévisibilité du régime de garantie salariale, en réservant celle‑ci aux seules créances antérieures à l’ouverture.