Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, n°24/00197

Now using node v22.15.1 (npm v10.8.2)
Utilisation de Node.js v20.19.4 et npm 10.8.2
Codex est déjà installé.
Lancement de Codex…
La décision rendue par la Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, tranche un litige relatif à l’indemnisation du préjudice d’anxiété d’un ancien salarié exposé à l’amiante sur un site industriel sidérurgique, dans un contexte de procédures collectives. Le salarié a travaillé de 1969 à 1993 comme soudeur‑chaudronnier. L’entreprise a été placée successivement en redressement puis liquidation judiciaires en 2014. À la suite d’informations publiques relatives à l’exposition à l’amiante des salariés de ce site, l’intéressé a saisi le Conseil de prud’hommes de Dunkerque, le 15 novembre 2023, qui a retenu la responsabilité de l’employeur et alloué 8 000 euros, avec mise en cause de l’organisme de garantie des salaires.

Sur appel du garant et du liquidateur, les prétentions ont porté, d’abord, sur la prescription biennale de l’action, ensuite, sur l’existence et l’évaluation du préjudice d’anxiété, enfin, sur l’étendue de la garantie en procédure collective. Deux thèses s’opposaient quant au point de départ de la prescription et à la naissance de la créance d’indemnisation. La juridiction d’appel affirme la recevabilité de l’action, confirme l’engagement de la responsabilité contractuelle de l’employeur pour manquement à l’obligation de sécurité, réévalue à 10 000 euros l’indemnité, et met hors de cause l’organisme de garantie des salaires au motif que la créance est née postérieurement au jugement d’ouverture.

La question de droit tient, d’une part, à la détermination du point de départ de la prescription de l’action en réparation d’un préjudice d’anxiété lié à l’amiante hors mécanisme ACAATA, et, d’autre part, à la caractérisation du manquement de l’employeur et à la date de naissance de la créance indemnitaires en contexte de procédures collectives. La Cour répond en fixant la connaissance complète du risque au 20 décembre 2018 et en retenant que l’anxiété est indemnisable sans pathologie constituée, tout en excluant la garantie au regard de la date de naissance de la créance.

I. La fixation du point de départ de la prescription et la recevabilité de l’action

A. La connaissance du risque comme critère déterminant du délai biennal
La Cour rappelle le cadre légal et la logique probatoire gouvernant le délai. Elle énonce, d’abord, que « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qu’il exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». Elle précise, ensuite, la spécificité de l’anxiété liée à l’amiante: « le point de départ du délai de prescription (…) est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ». Enfin, elle fixe une borne minimale cohérente avec l’exécution du contrat: « ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin ». Le raisonnement articule ainsi information pertinente, exposition achevée et certitude suffisante du risque, ce qui interdit de confondre rumeur générale et connaissance juridiquement opérante.

Le choix de la Cour d’un point de départ ancré dans la connaissance complète du danger s’inscrit dans une jurisprudence exigeant la révélation effective du risque pour que la prescription commence à courir. Cette exigence rejoint l’approche de l’assemblée plénière du 5 avril 2019, qui a reconnu l’autonomie du préjudice d’anxiété hors des seuls établissements listés, sous réserve d’une démonstration circonstanciée de l’exposition et de la connaissance. La solution favorise la sécurité juridique en évitant qu’un délai précoce ne se déclenche avant l’information décisive.

B. L’application au cas d’espèce et la charge de la preuve d’une antériorité
La juridiction retient comme date pivot la diffusion publique d’informations en décembre 2018, révélant l’ampleur du risque encouru sur le site industriel, et elle écarte les indices avancés par le liquidateur comme insuffisants pour établir une connaissance plus ancienne. Elle souligne le principe directeur de la charge de la preuve: « c’est à lui qu’il appartient de démontrer une telle antériorité ». Ce rappel conforte le juge du fond dans l’exigence d’éléments précis sur l’information délivrée au salarié et sa portée concrète, notamment au regard des obligations réglementaires d’information et de prévention.

Le raisonnement convainc par sa cohérence interne. L’information publique, relayée à large audience, rend plausible la cristallisation de l’inquiétude en une connaissance complète. L’absence d’éléments probants sur une sensibilisation personnelle antérieure, pourtant exigible au regard des textes de prévention, justifie la confirmation de la recevabilité. Cette première série d’enseignements ouvre sur l’examen du manquement à l’obligation de sécurité et de la naissance de la créance.

II. La caractérisation du manquement de l’employeur et la portée assurantielle en procédures collectives

A. L’obligation de sécurité, la preuve de l’exposition et l’autonomie du préjudice d’anxiété
La Cour adopte une lecture classique des articles L. 4121‑1 et L. 4121‑2 du code du travail: « il appartient à l’employeur (…) de justifier qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Les pièces du salarié établissent une exposition durable aux poussières d’amiante; les pièces adverses, limitées et tardives, ne suffisent pas à établir une protection effective, continue et adaptée. Le manquement est caractérisé par l’écart entre la dangerosité notoire du matériau et l’insuffisance des mesures de prévention démontrées.

S’agissant du dommage indemnisable, la Cour rappelle un principe désormais ferme: « il importe peu que le salarié ne soit ni malade ni contaminé, le préjudice d’anxiété allégué résultant de la seule inquiétude permanente ». La reconnaissance de ce dommage autonome, indépendante d’une pathologie constituée, respecte la finalité préventive du droit de la santé au travail. L’évaluation à 10 000 euros, supérieure à l’allocation de première instance, s’explique par la durée d’exposition, la nature des tâches et l’intensité de l’angoisse étayée.

B. La date de naissance de la créance et l’exclusion de la garantie en cas de postériorité
En procédures collectives, la garantie légale des créances salariales demeure cantonnée aux créances nées à la date du jugement d’ouverture. La Cour identifie expressément le fait générateur de la créance d’anxiété: « cette connaissance, qui constitue le fait générateur du préjudice d’anxiété, est intervenue postérieurement à la date d’ouverture ». La conséquence en découle logiquement: la créance naissant en 2018, elle échappe au champ temporel de la garantie attachée à l’ouverture intervenue en 2014.

Cette solution, techniquement rigoureuse, articule droit du travail et droit des entreprises en difficulté autour de la notion de fait générateur. Elle évite une extension indue de la solidarité financière au‑delà des bornes fixées par le législateur, sans priver le salarié de son indemnisation, laquelle est fixée au passif. Elle éclaire, enfin, la portée de la décision: l’indemnisation du préjudice d’anxiété demeure possible après l’achèvement de l’exposition, mais la couverture garantie ne suit pas lorsque la naissance de la créance est postérieure à l’ouverture de la procédure.

En définitive, la Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, consolide une grille de lecture désormais stabilisée: détermination exigeante du point de départ de la prescription par la connaissance complète du risque, stricte appréciation de l’obligation de sécurité, autonomie du préjudice d’anxiété et circonscription temporelle de la garantie en procédures collectives. Ces précisions renforcent la sécurité juridique des acteurs et ordonnent la répartition des charges au regard du fait générateur.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture