Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, n°24/00207

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La cour d’appel de Douai, chambre sociale, 27 juin 2025, statue sur l’action d’un ancien salarié d’un site sidérurgique exposé aux poussières d’amiante. Le litige porte sur la prescription de l’action en réparation d’un préjudice d’anxiété, sur la responsabilité de l’employeur au titre de l’obligation de sécurité, et sur l’intervention de la garantie salariale en contexte de procédure collective. Le conseil de prud’hommes de Dunkerque, le 15 novembre 2023, avait retenu l’exposition du salarié, admis la responsabilité de l’employeur et fixé une indemnité de 10 000 euros, tout en discutant les délais et la garantie. Saisie par l’organisme de garantie et le mandataire liquidateur, la juridiction d’appel confirme l’absence de prescription et la réparation, mais écarte la garantie en raison de la date du fait générateur.

Les faits tiennent à une activité de contrôle polyvalent au sein d’un site industriel où des opérations et déplacements en ateliers impliquaient des contacts répétées avec des poussières, sans protection adéquate. La procédure collective de l’employeur est ouverte en 2014. La controverse sur l’inscription du site au dispositif d’allocation de cessation anticipée n’empêche pas l’action en responsabilité civile contractuelle au titre de l’obligation de sécurité. Le salarié assigne pour obtenir réparation du préjudice d’anxiété. En appel, les débats portent d’abord sur le point de départ de la prescription biennale, ensuite sur la preuve de l’exposition et des manquements, enfin sur la temporalité de la créance d’indemnisation au regard de la garantie légale.

La question centrale est double. Il convient, d’une part, de déterminer à quelle date court la prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété fondée sur un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité. Il s’agit, d’autre part, de dire si la créance indemnitaire, née d’un fait générateur postérieur au jugement d’ouverture, peut relever de la garantie légale de salaires. La cour répond en retenant une connaissance complète du risque fixée au 20 décembre 2018 comme point de départ, admet l’exposition et l’état anxieux, évalue le dommage à 10 000 euros, puis met hors de cause la garantie salariale, la créance étant née après l’ouverture de la procédure.

I. Délimitation du point de départ et contenu de l’obligation de sécurité

A. Le point de départ biennal du droit d’agir

La cour rappelle le régime applicable et place la connaissance du risque au cœur du délai. Elle énonce que « le point de départ du délai de prescription de l’action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d’anxiété, [est] la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ». Elle ajoute avec clarté que « ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin ».

Cette formulation s’inscrit dans une ligne désormais constante qui dissocie l’exposition, cause matérielle du risque, de la connaissance, cause juridique de l’exigibilité de l’action. La cour insiste sur l’absence de concomitance nécessaire en précisant que « ces deux éléments ne sont pas nécessairement concomitants », ce qui évite de figer artificiellement le départ du délai à la rupture du contrat ou à la cessation de l’exposition.

Au regard des pièces, la juridiction retient une date pivot, associée à une information publique massive sur le risque au sein du site, fixée au 20 décembre 2018. Elle en déduit l’absence de prescription, la saisine étant intervenue dans le délai biennal. Le raisonnement protège un droit d’agir effectif, fondé sur une connaissance complète et socialement objectivable, plutôt que sur des signaux flous ou des rumeurs d’atelier.

B. La charge probatoire et l’étendue du devoir de prévention

La cour circonscrit l’obligation de sécurité en droit positif. Elle vise les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et rappelle que « il appartient à l’employeur […] de justifier qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». La charge pèse donc sur l’employeur, qui doit établir des mesures concrètes, adaptées et continues, et non une simple intention.

Au fond, l’arrêt constate une exposition durable, corroborée par des témoignages concordants et par un certificat médical établissant un état anxieux secondaire à l’exposition. La défense s’appuie sur des opérations de désamiantage ponctuelles du début des années 2000, mais sans traçabilité suffisante quant à leur périmètre, leurs résultats concrets, et leur effectivité continue pour le poste considéré. La cour souligne enfin que « il importe peu que le salarié ne soit ni malade ni contaminé, le préjudice d’anxiété allégué résultant de la seule inquiétude permanente de voir déclarer une maladie consécutive à une exposition à l’amiante ». Elle évalue sobrement ce dommage à 10 000 euros, appréciation mesurée qui reflète la durée d’exposition, l’incertitude sanitaire persistante et la gravité des pathologies redoutées.

II. Cohérence du régime de garantie et effets pratiques de la solution

A. Temporalité du fait générateur et exclusion de la garantie

La décision articule rigoureusement droit des procédures collectives et réparation du préjudice d’anxiété. Elle rappelle que la garantie de salaires couvre « les sommes dues au salarié à la date du jugement d’ouverture ». Elle ajoute, s’agissant du dommage d’anxiété, que « cette connaissance, qui constitue le fait générateur du préjudice d’anxiété, est intervenue postérieurement à la date d’ouverture du redressement et de la liquidation judiciaires ». La conclusion en découle logiquement : la garantie n’a pas vocation à intervenir lorsque la créance naît après l’ouverture.

Cette solution préserve la hiérarchie des priorités de la procédure collective et sécurise l’assiette temporelle de la garantie. Elle évite de faire supporter à la garantie des créances dont le fait générateur est postérieur, même si l’exposition matérielle est antérieure. Le choix consacre la nature spécifique du préjudice d’anxiété, dont la naissance est attachée à la connaissance complète du risque, et non au seul passé d’exposition.

B. Portée jurisprudentielle et incidences contentieuses

La portée de l’arrêt est nette sur deux plans. D’abord, la prescription des actions en anxiété-amiante s’ancre dans une connaissance complète, contextualisée et prudente, qui peut postdater de plusieurs années la fin de l’exposition. Les juridictions du fond pourront retenir des événements d’information de masse, ou des mises en évidence publiques, comme pivots temporels fiables. Ensuite, l’exclusion de la garantie pour les créances nées postérieurement à l’ouverture va structurer le contentieux dans les entreprises en difficulté, en reportant l’essentiel de l’indemnisation sur le passif, sans avance par la garantie.

D’un point de vue pratique, l’arrêt incite les employeurs historiques à documenter systématiquement leurs mesures de prévention et d’information, faute de quoi la présomption de manquement demeurera prégnante. Il encourage aussi les salariés à consolider la preuve de la connaissance du risque, en recourant à des sources notoires et datées. La cohérence d’ensemble de la solution, ferme mais mesurée, conforte un équilibre entre la réparation d’un dommage autonome et la discipline temporelle de la garantie légale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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