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La réparation du préjudice d’anxiété des salariés exposés à l’amiante soulève des questions fondamentales tenant à la prescription de l’action comme aux contours de l’obligation de sécurité de l’employeur. La cour d’appel de Douai, dans son arrêt du 27 juin 2025, apporte des précisions significatives sur ces deux aspects, tout en excluant la garantie de l’AGS pour les créances nées postérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
Un salarié avait été employé du 1er juillet 1968 au 31 juillet 2011 au sein d’une usine sidérurgique exploitée successivement par plusieurs sociétés. Il avait exercé diverses fonctions, notamment électricien, agent de contrôle thermique et agent de mesure, qui l’avaient exposé de manière durable aux poussières d’amiante. La société employeur avait fait l’objet d’un redressement judiciaire le 7 mars 2014, puis d’une liquidation judiciaire le 24 juillet 2014. Le 20 décembre 2018, un jugement du tribunal administratif de Lille avait annulé le refus ministériel d’inscrire l’usine sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante, décision ultérieurement annulée par la cour administrative d’appel le 9 juillet 2020.
Le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes pour obtenir réparation de son préjudice d’anxiété. Par jugement de départage du 15 novembre 2023, la juridiction prud’homale avait accueilli sa demande et fixé sa créance à 8000 euros au passif de la liquidation judiciaire. L’AGS et le liquidateur judiciaire ont interjeté appel, contestant tant la recevabilité de l’action que le bien-fondé de la demande.
Deux questions se posaient à la cour. En premier lieu, à quelle date devait être fixé le point de départ de la prescription biennale de l’action en réparation du préjudice d’anxiété? En second lieu, la créance née postérieurement à l’ouverture de la procédure collective entrait-elle dans le champ de la garantie de l’AGS?
La cour d’appel de Douai confirme la recevabilité de l’action et la responsabilité de l’employeur, portant l’indemnisation à 10000 euros. Elle juge que le point de départ de la prescription doit être fixé au 20 décembre 2018, date de la connaissance complète du risque par le salarié. Elle exclut toutefois la garantie de l’AGS, la créance étant née postérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
Cette décision invite à examiner successivement la détermination du point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété (I), puis l’exclusion de la garantie collective pour les créances nées après l’ouverture de la procédure (II).
I. La détermination du point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété
La cour retient une conception subjective du point de départ de la prescription, fondée sur la connaissance effective du risque par le salarié (A), ce qui emporte des conséquences significatives quant à la charge de la preuve pesant sur l’employeur (B).
A. L’adoption d’une conception subjective de la connaissance du risque
L’article L.1471-1 du code du travail soumet les actions relatives à l’exécution du contrat de travail à un délai de prescription de deux ans. Ce délai court « à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». La cour d’appel rappelle que « le point de départ du délai de prescription de l’action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d’anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ».
La juridiction précise toutefois que cette connaissance n’est pas nécessairement concomitante à la fin de l’exposition. Elle relève que « le travailleur n’a pas nécessairement une connaissance pleine entière et immédiate du danger que représente cette exposition ». Cette affirmation traduit une conception subjective du point de départ, distincte de la simple cessation matérielle du risque. La cour souligne que « cette connaissance, qui n’est complète que lorsque cette exposition a pris fin, n’intervient pas obligatoirement à l’issue de cette exposition, voire au moment de la rupture du contrat de travail du salarié ».
En l’espèce, la cour retient comme point de départ le 20 décembre 2018, date de publication d’un article de presse relatant le jugement favorable du tribunal administratif concernant l’inscription du site sur la liste ACAATA. Elle considère que « l’action visant à voir bénéficier des mesures de l’ACAATA, permettant aux salariés d’obtenir un départ anticipé à la retraite en raison de la fragilité physique qu’induit l’exposition des salariés à l’amiante au sein de l’entreprise, constitue le point d’orgue du préjudice d’anxiété subi ». Cette solution illustre que la connaissance du risque peut être différée bien au-delà de la cessation des fonctions, dès lors qu’un événement extérieur révèle au salarié la gravité effective de son exposition.
B. Le renversement de la charge probatoire au détriment de l’employeur
La cour met à la charge de l’employeur la démonstration d’une connaissance antérieure du risque par le salarié. Elle relève que « les pièces produites par la société ne suffisent pas à considérer que c’est à l’occasion de tel ou tel événement que le salarié a eu une complète connaissance du danger de l’inhalation des poussières d’amiante ». Cette exigence probatoire se révèle particulièrement rigoureuse.
La juridiction précise en effet que « c’est à lui qu’il appartient de démontrer une telle antériorité ». Elle ajoute que l’employeur « ne rapporte pas la preuve de la date à laquelle l’employeur a informé le salarié personnellement des risques auxquels son travail l’exposait, conformément à l’article 9 du décret du 17 août 1977 ». Ce fondement textuel renforce l’exigence d’une information individuelle et circonstanciée, dont l’absence fait obstacle à toute invocation d’une prescription antérieure.
La cour écarte ainsi l’argument tiré de la constitution d’une association de défense des victimes ou de témoignages portant sur des périodes anciennes. Ces éléments, selon elle, ne caractérisent pas une connaissance personnelle et complète du danger par le salarié concerné. Cette solution protège les droits des victimes d’exposition à l’amiante en évitant que des indices généraux puissent faire courir la prescription à leur insu.
II. L’exclusion de la garantie collective pour les créances nées après l’ouverture de la procédure
La cour dissocie le fait générateur du préjudice de son origine matérielle pour déterminer la date de naissance de la créance (A), ce qui conduit à l’exclusion de la garantie de l’AGS selon un critère temporel rigoureux (B).
A. La distinction entre l’origine du préjudice et la naissance de la créance indemnitaire
L’article L.3253-8 du code du travail limite la garantie de l’AGS aux sommes dues au salarié à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective. Cette condition temporelle implique de déterminer avec précision la date de naissance de la créance indemnitaire. La cour opère une distinction essentielle entre l’exposition à l’amiante, fait matériel survenu durant la relation de travail, et le préjudice d’anxiété lui-même.
Elle retient que « la créance due en réparation de son préjudice d’anxiété est née le 20 décembre 2018, date à laquelle il a eu une connaissance complète du risque élevé de développer une pathologie grave ». Cette date correspond au point de départ de la prescription précédemment examiné. La cour en déduit que « cette connaissance, qui constitue le fait générateur du préjudice d’anxiété, est intervenue postérieurement à la date d’ouverture du redressement et de la liquidation judiciaires ».
Cette analyse distingue l’origine causale du préjudice, située dans l’exposition passée, et son fait générateur juridique, résidant dans la connaissance du risque. Le préjudice d’anxiété suppose en effet une appréhension consciente du danger. Avant cette prise de conscience, le salarié ne souffre pas encore de l’inquiétude qui fonde sa demande indemnitaire. La créance ne peut donc naître qu’au jour où cette inquiétude devient effective.
B. L’application rigoureuse du critère temporel de la garantie
La conséquence de cette analyse conduit à exclure la garantie de l’AGS. La cour énonce que « l’AGS n’a pas vocation à garantir le préjudice d’anxiété né de l’exposition à l’amiante » et prononce sa mise hors de cause. Cette solution laisse le salarié face à une créance fixée au passif de la liquidation judiciaire, sans garantie de règlement effectif.
Cette exclusion peut paraître sévère au regard de la situation des victimes. Le salarié voit son préjudice reconnu et évalué à 10000 euros, mais la perspective de recouvrement demeure incertaine dans le cadre d’une procédure collective clôturée depuis plusieurs années. La solution résulte cependant d’une application stricte des textes, qui subordonnent la garantie à l’antériorité de la créance par rapport à l’ouverture de la procédure.
Cette décision illustre la tension entre la protection des salariés victimes d’exposition à l’amiante et les règles du droit des procédures collectives. La reconnaissance tardive du préjudice d’anxiété, si elle permet de surmonter l’obstacle de la prescription, conduit paradoxalement à priver le salarié du bénéfice de la garantie collective. La date retenue pour caractériser la connaissance du risque détermine ainsi simultanément la recevabilité de l’action et l’exclusion de la garantie, produisant des effets contradictoires pour le créancier.