Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, n°24/00332

La Cour d’appel de Douai, chambre sociale, par arrêt du 27 juin 2025 (RG 24/00332), statue à la suite d’un départage du conseil de prud’hommes de Cambrai du 8 janvier 2024. Le litige naît d’une cession de parts stipulant un engagement d’embauche, de l’exécution de tâches administratives sans écrit signé, puis d’une rupture imputée à l’employeur. La question porte sur la qualification de la clause d’engagement (offre ou promesse unilatérale), la preuve d’un contrat sans écrit par le début d’exécution sous subordination, et l’allégation d’une atteinte au contradictoire.

Lors de la cession, l’acquéreur s’est engagé à conclure deux contrats de travail, dont l’un au bénéfice de l’intéressée, avec fonctions, rémunération, reprise d’ancienneté et date de prise d’effet déterminées. L’un des contrats a été signé, l’autre non. L’intéressée a réclamé la régularisation écrite et a parallèlement accompli diverses tâches administratives sous l’autorité du repreneur. L’employeur a ultérieurement pris acte d’un prétendu refus de signature et a mis fin à la relation. La juridiction prud’homale a jugé la rupture dépourvue de cause réelle et sérieuse, a alloué des salaires, indemnités et dommages-intérêts, et a ordonné la remise des documents. L’employeur a relevé appel en invoquant la nullité pour violation du contradictoire, l’incompétence matérielle et l’absence de contrat. La salariée a sollicité la confirmation, la reconnaissance de la relation de travail depuis la cession et la condamnation au titre de la rupture.

La cour d’appel rejette la demande de nullité, qualifie l’engagement stipulé comme une promesse unilatérale et, surtout, retient l’existence d’un contrat de travail du fait du travail exécuté sous subordination. Elle confirme la qualification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixe les rappels salariaux et indemnités, refuse l’astreinte et écarte le préjudice moral faute de preuve.

I. La qualification de l’engagement et l’établissement du contrat

Sous-partie 1. De l’offre à la promesse unilatérale
La cour rappelle la distinction entre l’offre rétractable et la promesse unilatérale, dont la révocation est sans effet sur la formation du contrat une fois l’option ouverte. Elle cite que « La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis (arrêt n° 1, pourvoi n° 16-20.103, et arrêt n° 2, pourvoi n° 16-20.104) ». La clause issue de la cession déterminait l’emploi, la rémunération, l’ancienneté reprise et l’entrée en fonction, de sorte que le consentement du bénéficiaire seul manquait à la perfection du contrat.

En outre, les échanges postérieurs, qui reportent la signature sans rétracter l’engagement, confortent l’analyse d’une promesse maintenue. La cour en déduit que l’employeur ne peut se prévaloir d’une prétendue caducité, l’option ayant été exercée par la demande de régularisation écrite suivie d’une exécution conforme au poste stipulé.

Sous-partie 2. Le contrat sans écrit et le lien de subordination
La cour fonde son raisonnement sur les critères classiques du contrat de travail et de la répartition de la charge probatoire. Elle énonce que « Par ailleurs, il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération ». Elle ajoute utilement que « En présence d’un contrat de travail écrit ou apparent, il appartient à celui qui entend en contester l’existence de rapporter la preuve de son caractère fictif. En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve ».

Les tâches effectuées après la cession (planning, suivi médecine du travail, facturation, paie) et les comptes rendus adressés au nouveau dirigeant caractérisent un travail exécuté sous directives, contrôle et pouvoir de sanction. La cour constate un début d’exécution dans les termes de la promesse, sans rémunération, ce qui emporte reconnaissance d’un contrat à durée indéterminée et rattache la rupture à un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

II. Valeur de la solution et portée pratique

Sous-partie 1. Pouvoir de requalification et respect du contradictoire
L’employeur invoquait une violation du contradictoire au motif que le juge aurait substitué à la thèse débattue une qualification inédite. La cour répond que la clause d’engagement était au cœur des débats et que sa qualification relevait du pouvoir du juge, dès lors que les parties avaient discuté de son contenu et de ses effets. Elle précise que « En qualifiant la clause litigieuse de promesse de contrat de travail, le juge n’a fait que restituer à cette clause son exacte qualification sans violation du principe du contradictoire ».

Cette affirmation s’inscrit dans la logique de l’office du juge prud’homal, libre de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, pourvu que les moyens pertinents aient été soumis au débat. Elle sécurise le traitement des promesses d’embauche insérées dans des opérations de transmission d’entreprises, où le libellé contractuel peut occulter la nature véritable de l’engagement.

Sous-partie 2. Conséquences indemnitaires et sécurité des opérations de cession
La cour confirme les rappels de salaires pour la période travaillée, l’indemnité légale de licenciement selon l’ancienneté reprise, l’indemnité compensatrice de préavis et des dommages-intérêts dans les bornes légales. Elle applique ainsi le cadre légal rappelé par l’arrêt, selon lequel, « Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur entre les montants minimaux et maximaux fixés par la loi ». La demande distincte de réparation morale est écartée faute d’éléments probants, ce qui souligne l’exigence d’une démonstration spécifique du dommage personnel distinct de la perte d’emploi.

La portée pratique est nette. Lorsque la cession conditionne le consentement du vendeur à l’embauche de personnes désignées, une promesse unilatérale claire emporte, en cas d’option ou de commencement d’exécution, formation du contrat. La preuve d’un travail réalisé sous subordination suffit alors, même sans écrit, à faire naître les obligations salariales et à imposer, en cas de rupture, le régime du licenciement. Les opérateurs doivent en tirer deux conséquences immédiates: clarifier la temporalité d’option et de prise d’effet, et éviter toute mise au travail non rémunérée pendant un prétendu « report » de signature, source d’un risque contentieux élevé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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