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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai le 27 juin 2025 illustre les exigences probatoires pesant sur le salarié qui invoque le travail dissimulé pour obtenir l’indemnité forfaitaire prévue par le code du travail. Un ouvrier, embauché en novembre 2021 par une société dont la liquidation judiciaire fut prononcée en janvier 2023, sollicitait la fixation de sa créance au passif à hauteur de 23 100 euros au titre du travail dissimulé et de 5 390 euros au titre des congés payés. Après avoir été débouté en première instance par le conseil de prud’hommes de Dunkerque le 29 février 2024, il interjeta appel.
Le salarié soutenait que son employeur appartenait à une organisation frauduleuse et lui versait des sommes trois fois supérieures à ses appointements contractuels, sans les déclarer aux organismes sociaux. Il ajoutait qu’un procès-verbal de l’URSSAF avait constaté une infraction de travail dissimulé et que tous ses bulletins de paie ne lui avaient pas été remis. L’AGS concluait à la confirmation du jugement, arguant de l’absence de preuve et de sa propre absence de garantie dès lors que la rupture n’était pas intervenue dans les quinze jours suivant la liquidation.
La question principale se posait en ces termes : le salarié rapportait-il la preuve des éléments constitutifs du travail dissimulé justifiant l’allocation de l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire ? Subsidiairement, pouvait-il obtenir une indemnité compensatrice de congés payés directement contre l’employeur défaillant ?
La Cour d’appel de Douai confirma le rejet de la demande d’indemnité pour travail dissimulé, faute pour le salarié d’avoir établi l’un quelconque des faits constitutifs de l’infraction. Elle infirma en revanche le jugement sur les congés payés, fixant la créance à 1 590 euros, l’employeur n’ayant pas justifié du versement des cotisations à la caisse compétente.
La décision mérite examen tant sur le régime probatoire du travail dissimulé (I) que sur les conséquences de la défaillance patronale en matière de congés payés du bâtiment (II).
I. L’exigence d’une preuve rigoureuse du travail dissimulé
La Cour rappelle les différentes formes légales du travail dissimulé avant de constater leur absence de démonstration en l’espèce.
A. Le rappel des fondements légaux de l’infraction
La Cour d’appel de Douai énonce avec précision le cadre normatif applicable. Elle vise les articles L. 8221-5, L. 8221-3 et L. 8223-1 du code du travail pour définir les comportements sanctionnés. Le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié résulte soit de la soustraction intentionnelle à la déclaration préalable à l’embauche, soit de l’absence de délivrance des bulletins de paie, soit de la minoration des heures de travail sur ces documents.
L’arrêt rappelle également la dissimulation d’activité, laquelle suppose que l’employeur n’ait pas demandé son immatriculation ou n’ait pas procédé aux déclarations obligatoires auprès des organismes de protection sociale ou de l’administration fiscale. La sanction prévue est une « indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire » en cas de rupture du contrat de travail. Cette énumération exhaustive structure l’examen auquel la Cour procède ensuite, chaque hypothèse étant successivement envisagée puis écartée.
L’élément intentionnel revêt une importance centrale puisque le texte exige une soustraction « intentionnelle » aux obligations légales. Cette exigence subjective impose au salarié de démontrer non seulement un manquement objectif mais aussi la volonté délibérée de l’employeur de se soustraire à ses obligations. La jurisprudence constante de la Cour de cassation exige que le caractère intentionnel résulte d’éléments objectifs et non de simples allégations.
B. L’échec probatoire du salarié sur chaque chef de dissimulation
La Cour examine méthodiquement chaque grief avancé par le salarié pour constater systématiquement l’insuffisance des preuves produites. S’agissant du procès-verbal de l’URSSAF invoqué, elle relève qu’il « est antérieur à l’embauche de l’appelant et qu’il n’a pas été dressé à l’encontre de la société CSPM ou de son dirigeant ». Ce document, daté du 15 octobre 2018 alors que l’embauche n’intervint qu’en novembre 2021, ne pouvait donc établir une infraction imputable à l’employeur concerné.
La Cour observe de surcroît que le salarié, qui « déclare avoir été victime d’une organisation douteuse, n’apparaît pas s’être manifesté auprès des autorités pour pouvoir disposer de preuves ». Cette remarque souligne l’incohérence d’une position consistant à invoquer une fraude massive sans avoir entrepris la moindre démarche pour la faire constater. Le salarié « n’a non plus interrogé ni l’employeur ni le liquidateur sur les raisons expliquant la présence sur son compte de versements conséquents présentés comme étant de nature salariale ».
Concernant l’absence alléguée de remise des bulletins de paie, la Cour rappelle que ces documents sont quérables et non portables. Le salarié devait donc en demander la délivrance. Or « il n’a pas accompli de démarche à cet effet ». Cette passivité interdit de caractériser une soustraction intentionnelle de l’employeur. Quant aux versements bancaires prétendument salariaux, la Cour relève qu’ils « ne présentent aucune régularité et aucune identité de montants », ce qui affaiblit considérablement la thèse défendue. L’appelant n’établit pas davantage avoir lui-même déclaré ces sommes à l’administration fiscale comme salaires, ce qui aurait pu accréditer leur nature salariale.
II. L’obligation patronale de cotisation à la caisse de congés payés du bâtiment
L’infirmation partielle du jugement sur les congés payés révèle l’application stricte de la charge de la preuve pesant sur l’employeur.
A. Le régime dérogatoire des congés payés dans le bâtiment
La Cour d’appel de Douai rappelle la règle spécifique applicable au secteur : « dans la branche du bâtiment les indemnités de congés payés sont servies par une caisse se substituant à l’employeur ». Ce système de caisse de compensation, instauré pour tenir compte de la mobilité des salariés entre entreprises, fait peser sur l’employeur l’obligation de verser des cotisations permettant ensuite le paiement des indemnités aux salariés.
La Cour précise néanmoins l’exception à cette règle : le salarié peut réclamer directement le paiement à l’employeur « n’ayant pas payé les cotisations afférentes » lorsque celui-ci « soit à l’origine, par sa faute, du préjudice causé au salarié ». Le défaut de cotisation de l’employeur ouvre ainsi une action directe du salarié contre lui. Ce mécanisme garantit au salarié le bénéfice effectif de ses droits à congés malgré la défaillance patronale.
L’articulation entre le régime de droit commun et le régime spécial du bâtiment témoigne de l’adaptation du droit du travail aux réalités sectorielles. Le salarié du bâtiment n’a normalement pas à agir contre son employeur pour ses congés payés, la caisse jouant le rôle d’intermédiaire. La faute de l’employeur fait toutefois renaître l’action directe contre lui.
B. La charge de la preuve du paiement des cotisations
L’AGS tentait de faire valoir que le salarié n’avait pas accompli de démarche auprès de la caisse pour obtenir ses indemnités. La Cour rejette fermement cette argumentation en relevant que « ce faisant elle tente d’inverser la charge de la preuve incombant à l’employeur ». Les intimées ne justifiant pas « du paiement de cotisations auprès de la caisse territorialement compétente », la créance du salarié devait être fixée au passif.
La Cour précise cependant les modalités de calcul de l’indemnité due. Elle écarte le salaire revendiqué par le salarié pour retenir « celui mentionné sur les bulletins de paie conformément au contrat de travail ». Cette position est cohérente avec le rejet de la demande pour travail dissimulé : les versements bancaires n’ayant pas été reconnus comme salaires, ils ne peuvent servir de base au calcul des congés payés. L’indemnité est ainsi fixée à 10 % des rémunérations contractuelles, soit 1 590 euros au lieu des 5 390 euros réclamés.
Cette décision illustre la rigueur du contrôle juridictionnel en matière de preuve du travail dissimulé. Le salarié ne saurait se prévaloir d’allégations non étayées pour obtenir l’indemnité forfaitaire substantielle de six mois de salaire. La Cour d’appel de Douai s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante exigeant des éléments objectifs caractérisant l’intention frauduleuse de l’employeur. La solution retenue sur les congés payés rappelle toutefois que la défaillance probatoire de l’employeur peut, sur d’autres chefs de demande, profiter au salarié.