Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, n°24/00948

Par un arrêt du 27 juin 2025, la cour d’appel de Douai a infirmé un jugement du conseil de prud’hommes de Lille qui avait déclaré irrecevable une demande d’indemnité de licenciement au motif de l’autorité de la chose jugée.

Une salariée avait été engagée par contrat à durée indéterminée le 2 juin 2015 en qualité de technicien paie. Elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 2 juillet 2020. Par une première requête reçue le 15 octobre 2020, elle a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 14 janvier 2022, a requalifié cette prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l’employeur au paiement de diverses sommes, notamment des dommages et intérêts et une indemnité compensatrice de préavis. La salariée a ensuite saisi de nouveau le conseil de prud’hommes par requête du 4 mai 2022 afin d’obtenir le versement de l’indemnité de licenciement. Par jugement du 23 février 2024, cette demande a été déclarée irrecevable en vertu de l’autorité de la chose jugée. La salariée a interjeté appel le 28 mars 2024.

L’appelante soutenait que sa demande d’indemnité de licenciement n’avait jamais été présentée ni tranchée lors de la première instance et que le principe de l’unicité de l’instance ayant été abrogé, l’autorité de la chose jugée ne pouvait lui être opposée. Elle ajoutait que la première saisine avait interrompu la prescription. L’employeur intimé faisait valoir que la demande se heurtait à l’autorité de la chose jugée et, subsidiairement, que l’action était prescrite depuis le 3 septembre 2021.

La cour d’appel devait déterminer si une demande d’indemnité de licenciement, non formulée lors d’une première instance ayant statué sur la requalification d’une prise d’acte, est irrecevable au titre de l’autorité de la chose jugée et, dans la négative, si la prescription a été interrompue par la première saisine.

La cour a jugé que l’autorité de la chose jugée ne pouvait être opposée dès lors que le premier jugement n’avait pas tranché la question de l’indemnité de licenciement dont il n’était pas saisi. Elle a également estimé que la prescription avait été interrompue par la première requête du 15 octobre 2020 jusqu’au jugement du 14 janvier 2022, de sorte que l’action engagée le 4 mai 2022 n’était pas prescrite.

Cette décision invite à examiner successivement les conditions d’application de l’autorité de la chose jugée aux demandes omises (I) puis le mécanisme d’interruption de la prescription par une instance connexe (II).

I. Le cantonnement de l’autorité de la chose jugée au dispositif de la décision

A. L’exigence d’une identité d’objet strictement entendue

La cour d’appel de Douai rappelle le principe posé par l’article 1355 du code civil selon lequel « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif ». Cette formulation impose une lecture restrictive de la triple identité traditionnellement requise. L’identité d’objet ne se présume pas et ne saurait s’étendre aux demandes potentielles qui auraient pu être formulées.

En l’espèce, la cour relève que « le jugement du conseil de prud’hommes du 14 janvier 2022 n’a pu trancher le différend portant sur l’allocation d’une indemnité de licenciement puisqu’il n’en était pas saisi ». Cette motivation traduit une conception objective de l’autorité de la chose jugée attachée au seul dispositif de la décision. Le juge ne peut avoir tranché ce dont il n’a pas été saisi. Cette évidence procédurale mérite d’être soulignée car l’employeur tentait d’invoquer une conception extensive de l’autorité attachée à l’ensemble du litige.

B. L’abandon du principe de concentration des demandes en matière prud’homale

La position adoptée par la cour s’inscrit dans le contexte de l’abrogation de l’ancien article R. 1452-6 du code du travail qui imposait l’unicité de l’instance prud’homale. Depuis le décret du 20 mai 2016, les salariés ne sont plus contraints de formuler l’ensemble de leurs demandes dès la première saisine sous peine de forclusion. Cette réforme a profondément modifié l’économie du contentieux prud’homal.

La cour d’appel tire pleinement les conséquences de cette évolution législative. Elle refuse d’opposer à la salariée une fin de non-recevoir tirée de la concentration des moyens que la Cour de cassation impose en d’autres matières. L’appelante pouvait légitimement présenter sa demande d’indemnité de licenciement dans une instance distincte dès lors que cette prétention n’avait pas été tranchée antérieurement.

II. L’effet interruptif de prescription attaché à la première instance

A. L’unité de cause entre les demandes successives

La cour d’appel retient que « l’action engagée par l’appelante par sa requête reçue le 4 mai 2022 avait une même cause et tendait au même but que celle initiée le 15 octobre 2020 ». Cette appréciation de l’identité de cause conditionne l’application de l’article 2241 du code civil selon lequel la demande en justice interrompt le délai de prescription.

Les deux instances trouvaient leur source dans un fait générateur unique, à savoir la prise d’acte de rupture du 2 juillet 2020. La demande d’indemnité de licenciement constituait une conséquence directe de la requalification de cette prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’unité de la situation litigieuse justifie que l’effet interruptif de la première saisine bénéficie à la seconde demande.

B. Le calcul du délai de prescription après interruption

La cour précise que « la prescription a donc été interrompue à cette date et jusqu’au jugement du 14 janvier 2022 ». Le nouveau délai d’un an prévu par l’article L. 1471-1 du code du travail a commencé à courir à compter de cette décision. La requête du 4 mai 2022 a été formée moins de quatre mois après le jugement, soit bien avant l’expiration du délai.

Cette solution protège efficacement les droits des salariés qui découvriraient tardivement l’étendue de leurs créances ou qui omettraient de formuler certaines demandes accessoires. La cour admet implicitement que l’interruption de prescription ne se limite pas aux seules demandes expressément formulées mais s’étend aux prétentions procédant de la même cause. Cette interprétation favorable au créancier s’inscrit dans la finalité protectrice du droit du travail.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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