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Par son arrêt du 27 juin 2025, la cour d’appel de Douai statue sur les demandes d’un salarié engagé en qualité d’ouvrier qui sollicitait, à la suite de la liquidation judiciaire de son employeur, une indemnité pour travail dissimulé ainsi qu’une indemnité compensatrice de congés payés.
Un salarié avait été embauché le 30 août 2021 par une société intervenant dans le secteur de la construction métallique. Le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de l’employeur le 5 janvier 2023. Le salarié soutenait avoir perçu des sommes trois fois supérieures à ses appointements contractuels, sans déclaration correspondante aux organismes sociaux, et ne pas avoir reçu l’ensemble de ses bulletins de paie. Il invoquait un procès-verbal de l’URSSAF constatant une infraction de travail dissimulé.
Le conseil de prud’hommes de Dunkerque avait débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes par jugement du 29 février 2024. Le salarié a interjeté appel en sollicitant la fixation au passif de la liquidation d’une indemnité pour travail dissimulé de 30 012 euros et d’une indemnité compensatrice de congés payés de 6 502 euros. L’AGS demandait la confirmation du jugement, faisant valoir que les allégations n’étaient étayées d’aucun élément probant.
La cour devait déterminer si les conditions du travail dissimulé étaient réunies et si le salarié pouvait prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés à l’encontre de son employeur.
La cour d’appel confirme le rejet de l’indemnité pour travail dissimulé mais infirme partiellement le jugement en accordant au salarié une indemnité de congés payés de 2 184 euros. Elle retient que la charge de la preuve du paiement des cotisations à la caisse de congés payés du bâtiment incombe à l’employeur.
L’exigence probatoire en matière de travail dissimulé constitue un obstacle majeur pour le salarié invoquant des versements occultes (I). En revanche, le régime spécifique des congés payés dans le bâtiment impose à l’employeur de justifier de l’accomplissement de ses obligations (II).
I. L’échec probatoire du salarié sur le terrain du travail dissimulé
La cour rappelle le cadre légal applicable avant de constater l’absence de preuve de l’élément intentionnel.
A. Le rappel rigoureux des conditions légales du travail dissimulé
La cour d’appel énonce les articles L. 8221-5, L. 8221-3 et L. 8223-1 du code du travail qui définissent le travail dissimulé. Elle précise qu’« est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié ou d’activité le fait pour tout employeur : soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ».
Cette énumération exhaustive des hypothèses légales structure l’examen de la demande. Le salarié doit caractériser l’une de ces situations et, surtout, établir l’intention frauduleuse de l’employeur. La cour souligne que l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire suppose une rupture de la relation de travail avec un employeur ayant eu recours au travail dissimulé dans les conditions légales. Cette exigence cumulative impose au salarié d’apporter des éléments tangibles sur chaque composante de l’infraction.
Le choix méthodologique de la cour révèle une approche analytique. Elle examine successivement chaque grief invoqué par le salarié pour vérifier si les conditions textuelles sont satisfaites. Cette démarche rigoureuse permet d’éviter toute confusion entre les différentes formes de travail dissimulé et garantit que l’indemnité forfaitaire ne soit accordée qu’en présence d’une caractérisation précise de l’infraction.
B. L’insuffisance des éléments rapportés par le salarié
La cour relève que le procès-verbal de l’URSSAF « dressé pour travail dissimulé le 15 octobre 2018 est antérieur à l’embauche de l’appelant et il n’a pas été dressé à l’encontre de la société CSPM ou de son dirigeant ». Ce document n’a donc « aucun caractère probant ». Le salarié invoquait des versements trois fois supérieurs à ses appointements contractuels sans pouvoir les rattacher à une pratique imputable à son employeur.
La cour observe que « les virements et les dépôts de chèques sur son compte ne présentent aucune régularité et aucune identité de montants ce qui aurait pu étayer sa thèse ». Elle ajoute que « l’appelant ne soutient pas avoir procédé auprès de l’administration fiscale à la déclaration, à titre de salaires, des sommes versées sur son compte ». Cette incohérence entre les prétentions du salarié et son propre comportement déclaratif affaiblit considérablement sa position.
Sur l’absence de remise des bulletins de paie, la cour rappelle que « les bulletins sont quérables, c’est-à-dire que le salarié doit en demander la délivrance ». Faute pour le salarié d’avoir accompli de démarche, « la soustraction intentionnelle de l’employeur à son obligation de délivrance n’est donc pas prouvée ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant la démonstration du caractère délibéré du manquement patronal.
La sévérité de l’examen probatoire sur le travail dissimulé contraste avec l’approche adoptée pour les congés payés.
II. L’application du régime dérogatoire des congés payés dans le bâtiment
La cour applique les règles spécifiques au secteur du bâtiment puis en tire les conséquences sur la répartition de la charge de la preuve.
A. Le mécanisme de substitution des caisses de congés payés
La cour rappelle qu’« il est de règle que dans la branche du bâtiment les indemnités de congés payés sont servies par une caisse se substituant à l’employeur ». Ce système particulier résulte des articles L. 3141-32 et suivants du code du travail qui organisent l’affiliation obligatoire des entreprises du bâtiment à une caisse de congés payés. L’employeur verse des cotisations permettant à la caisse de régler directement les indemnités aux salariés.
Toutefois, la cour précise que le salarié peut demander le paiement directement à l’employeur « à moins que n’ayant pas payé les cotisations afférentes celui-ci soit à l’origine, par sa faute, du préjudice causé au salarié ». Cette exception permet de sanctionner l’employeur défaillant dans ses obligations de cotisation. Le salarié ne doit pas subir les conséquences d’un manquement patronal qui le priverait de toute indemnisation.
En l’espèce, les bulletins de paie produits ne font « apparaître la prise d’aucun congé et le versement d’aucune indemnité de congés payés ». Cette situation suggère que l’employeur n’a pas accompli ses obligations envers la caisse, privant le salarié de tout droit à indemnisation par ce canal. La cour peut alors rechercher si l’employeur a commis une faute justifiant sa condamnation directe.
B. Le renversement de la charge probatoire au détriment de l’employeur
La cour constate que « les intimées ne justifient pas du paiement de cotisations auprès de la caisse territorialement compétente ». Elle rejette l’argument de l’AGS selon lequel le salarié n’aurait pas accompli de démarche auprès de la caisse en considérant que « ce faisant elle tente d’inverser la charge de la preuve incombant à l’employeur ».
Cette position s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui impose à l’employeur de prouver l’exécution de ses obligations en matière de congés payés. L’arrêt applique le principe selon lequel celui qui se prétend libéré d’une obligation doit justifier le fait qui a produit l’extinction de celle-ci. L’employeur, tenu d’affilier son salarié et de verser les cotisations, doit établir qu’il a satisfait à ces exigences.
La cour limite cependant l’indemnisation au salaire contractuel. Elle précise que « le salaire à retenir étant non pas celui dont le salarié se prévaut mais celui mentionné sur les bulletins de paie conformément au contrat de travail ». Le salarié obtient 10 % de ses rémunérations totales contractuelles soit 2 184 euros au lieu des 6 502 euros demandés. Cette solution assure la cohérence avec le rejet de la thèse des versements occultes et cantonne l’indemnisation aux seules sommes dont la nature salariale est établie.