Cour d’appel de Douai, le 27 juin 2025, n°24/01231

Cour d’appel de Douai, 27 juin 2025. Un salarié, embauché depuis de longues années sous convention collective du bois, a été licencié pour faute grave après une altercation verbale et physique avec un collègue sur le site de l’entreprise. Le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement fondé sur une faute grave. En appel, le salarié sollicitait la requalification du motif, ainsi que les indemnités de préavis, de licenciement et de mise à pied, tandis que l’employeur demandait la confirmation du jugement ou, subsidiairement, la réduction des prétentions indemnitaires. La question posée à la cour tenait à la caractérisation d’une faute grave en présence de violences réciproques au travail, et aux effets indemnitaires d’une éventuelle requalification. La cour retient la cause réelle et sérieuse, mais écarte la faute grave, relevant notamment que « Néanmoins, compte tenu du caractère isolé de cet acte et de la nature des violences commises […] il ne revêt pas une gravité telle qu’il était impossible […] de poursuivre la relation de travail pendant la durée limitée du préavis ».

I. La faute grave à l’épreuve des violences réciproques

A. Le cadre normatif et la charge de la preuve
La cour rappelle d’abord la définition de la faute grave, qui « résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits […] d’une importance telle qu’elle rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis ». Ce standard souligne le caractère exceptionnel de l’exclusion du préavis, laquelle suppose une atteinte d’une intensité particulière à l’exécution loyale du contrat. Elle précise parallèlement l’économie probatoire du litige en indiquant que le juge doit, à défaut de preuve d’une faute grave, « rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d’une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse ». Le contrôle juridictionnel se déploie donc en deux temps, sans dilution du fardeau probatoire pesant initialement sur l’employeur.

Ce rappel méthodique du critère de gravité et de la marche probatoire évite l’assimilation automatique de la violence en entreprise à la faute grave. Il invite à resituer l’incident dans son contexte objectif, sa dynamique, et ses suites concrètes, en appréciant la possibilité pratique de maintenir le lien contractuel au moins pendant le préavis. L’office du juge est ici pleinement mobilisé, la lettre de licenciement fixant les limites du litige, mais non la qualification ultime des faits.

B. L’appréciation concrète des faits et l’écartement de la faute grave
Sur le terrain factuel, la cour retient que l’altercation, nourrie d’insultes et de gestes déplacés, a dégénéré en « violences verbales et physiques réciproques sur le lieu de travail en raison de désaccords professionnels ». La réciprocité des coups et des mots, corroborée par un témoignage, écarte l’image d’une agression unilatérale, sans pour autant blanchir le salarié de toute responsabilité disciplinaire. Surtout, l’intensité de l’atteinte est jugée modérée, les blessures documentées étant légères, et l’incident demeurant isolé dans une relation de travail ancienne.

Dès lors, « le grief visé dans la lettre de licenciement est établi », mais il ne franchit pas le seuil d’intolérabilité immédiate requis par la faute grave. La cour maintient la rupture pour « cause réelle et sérieuse », tout en refusant l’exclusion du préavis. Cette solution articule fermeté disciplinaire et proportionnalité, en réservant la faute grave aux hypothèses où la poursuite, même brève, de la relation est objectivement impossible. La qualification retenue commande désormais les effets indemnitaires de la rupture.

II. Les effets indemnitaires de la requalification

A. Le rétablissement des droits liés au préavis et au licenciement
L’écartement de la faute grave entraîne mécaniquement la restitution des accessoires du contrat. La cour l’énonce nettement : « L’indemnité de licenciement et l’indemnité compensatrice de préavis sont dues en l’absence de faute grave, de même que le salaire pour la période de mise à pied conservatoire ». Elle fixe le montant du préavis selon la convention collective, retient un salaire de référence non contesté, et alloue les congés payés afférents. Elle accorde également l’indemnité légale de licenciement sur le fondement de l’article L.1234-9, plus favorable que les stipulations conventionnelles applicables au cas d’espèce.

Cette restitution des accessoires s’inscrit dans une logique de cohérence systémique. Le préavis rémunère la période qui, par hypothèse, pouvait être exécutée, tandis que l’indemnité de licenciement indemnise l’ancienneté. Le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire rectifie enfin les effets d’une mesure provisoire devenue injustifiée par l’écartement de la faute grave. La réparation demeure ainsi strictement corrélée à la qualification retenue.

B. L’exclusion des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La requalification n’ouvre pas droit à une indemnisation pour licenciement injustifié. La cour confirme en effet que le salarié est « débouté […] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Cette position découle directement de la qualification de cause réelle et sérieuse, que l’instruction factuelle a solidement établie. La réparation est ici bornée aux effets du retrait de la faute grave, sans basculer vers le régime indemnitaire de l’article L.1235-3.

L’économie générale de la décision s’avère ainsi équilibrée. D’un côté, la gravité insuffisante des faits écarte l’exclusion du préavis et réhabilite les droits acquis. De l’autre, la matérialité de manquements sérieux justifie la rupture sans faute de l’employeur quant au principe. Cette articulation claire se retrouve dans le dispositif, qui « requalifie le licenciement pour faute grave […] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse », ajuste les indemnités corrélatives, et partage sobrement les dépens, sans allouer de frais irrépétibles.

I. Le standard de gravité et son maniement

A. Une exigence d’impossibilité immédiate, strictement contrôlée
La motivation rappelle que la faute grave ne saurait résulter d’une simple faute sérieuse, même blâmable. Elle présuppose l’impossibilité « immédiate » de continuer la relation, au moins pendant le préavis. Le contrôle du juge, structuré par des extraits comme « rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l’entreprise », se montre attentif au contexte, à l’intensité et à l’isolement des faits. Ce prisme protège la finalité du préavis et la proportionnalité de la sanction.

B. Une application nuancée aux violences réciproques en entreprise
En présence de violences bilatérales, la cour refuse l’automaticité de la faute grave. Elle retient des invectives et coups « mutuels », des traces légères, et l’absence d’antécédents notables. L’incident reste circonscrit à un désaccord professionnel ponctuel. La qualification de cause réelle et sérieuse sanctionne le manquement, tout en préservant le champ d’application resserré de la faute grave. Cette démarche favorise la cohérence de la gradation des fautes disciplinaires.

II. Les conséquences pratiques de la requalification

A. La reconstitution des accessoires et la réparation exacte
La cour tire un trait net entre l’exclusion du préavis et la faute grave. Son retrait rouvre l’accès au salaire de préavis, aux congés payés y afférents, à l’indemnité de licenciement, et au rappel de mise à pied. Les visas aux textes applicables, combinés à l’appréciation non contestée du salaire de référence, garantissent une liquidation rigoureuse. La solution « confirme » et « infirme » utilement, selon les chefs, en rétablissant l’équilibre rompu par la qualification initiale.

B. La cohérence avec le régime du licenciement injustifié
Le refus des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse s’inscrit dans une stricte fidélité au droit positif. La reconnaissance d’une cause réelle et sérieuse exclut l’indemnisation barémisée, réservée aux ruptures injustifiées. La solution évite tout cumul indu, désormais écarté par un raisonnement qui dissocie nettement la qualification du motif et les accessoires de la rupture. L’économie d’ensemble de la décision demeure lisible et prévisible.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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