Cour d’appel de Douai, le 3 juillet 2025, n°23/05312

Le contrat de partenariat liant un courtier principal à un mandataire chargé de présenter des dossiers de financement soulève des questions récurrentes en matière d’exception d’inexécution et de droit à commission. La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 3 juillet 2025, apporte des précisions utiles sur l’articulation entre le non-respect d’un délai de préavis contractuel et l’obligation de paiement des commissions dues au mandataire.

En l’espèce, deux sociétés avaient conclu, le 4 février 2019, une convention de partenariat exclusif par laquelle l’une s’engageait à présenter les dossiers de demande de financement de ses clients pour le compte de l’autre, moyennant une commission égale à 70 % de la commission bancaire et des honoraires perçus. Le contrat prévoyait une durée indéterminée avec un délai de prévenance de 12 mois en cas de résiliation.

Le 9 décembre 2019, le mandataire a résilié le contrat par simple courriel, sans respecter ce délai. Le mandant a pris acte de cette décision sans protestation apparente. Le mandataire a ensuite réclamé le paiement de commissions restant dues. Face au refus du mandant, il l’a assigné en paiement. Le mandant a opposé l’exception d’inexécution et sollicité des dommages et intérêts pour rupture abusive.

Le tribunal de commerce de Lille Métropole, par jugement du 24 octobre 2023, a rejeté les demandes du mandant et l’a condamné au paiement des commissions ainsi qu’à des dommages et intérêts pour résistance abusive. Le mandant a interjeté appel.

La question posée à la cour était double. D’une part, le non-respect du délai de préavis contractuel par le mandataire autorisait-il le mandant à opposer l’exception d’inexécution pour refuser le paiement des commissions ? D’autre part, ce non-respect constituait-il une faute ouvrant droit à indemnisation ?

La cour d’appel de Douai a jugé que l’exception d’inexécution ne pouvait être opposée, faute d’interdépendance entre l’obligation de respecter le préavis et celle de payer les commissions. Elle a également estimé que le mandant ne rapportait pas la preuve d’un préjudice résultant de la rupture. Elle a condamné le mandant au paiement des commissions, tout en rejetant la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formée par le mandataire.

L’arrêt présente un intérêt certain tant sur le terrain de l’exception d’inexécution dans les contrats de partenariat commercial (I) que sur celui du droit à commission du mandataire après résiliation (II).

I. Le rejet de l’exception d’inexécution pour défaut d’interdépendance des obligations

La cour procède à une analyse rigoureuse des conditions de l’exception d’inexécution (A) avant d’en tirer les conséquences sur l’impossibilité de suspendre le paiement des commissions (B).

A. L’exigence d’une connexité entre les obligations réciproques

La cour d’appel rappelle avec précision le régime de l’exception d’inexécution prévu à l’article 1217 du code civil. Elle énonce que « la mise en oeuvre de cette exception est subordonnée à deux conditions » : une inexécution suffisamment grave dont la preuve incombe à l’excipiens, et le caractère certain de la créance opposée. Elle ajoute que « les obligations en cause ‘ celle inexécutée et celle que l’excipiens refuse d’exécuter en retour ‘ doivent être connexes ou interdépendantes, autrement dit liées l’une à l’autre ».

Cette exigence de connexité constitue un apport essentiel de l’arrêt. L’exception d’inexécution ne saurait être un moyen commode de se soustraire à toute obligation contractuelle dès lors qu’un manquement quelconque est constaté chez le cocontractant. Les obligations doivent entretenir un lien fonctionnel direct pour que le refus d’exécution soit légitime.

La cour relève également que le mandant avait « pris acte de cette décision sans émettre la moindre protestation ni réserve ». Cette attitude passive affaiblit considérablement l’argumentation tirée de la gravité du manquement. Le silence du mandant face à la résiliation anticipée suggère une forme d’acceptation, ou à tout le moins l’absence de préjudice immédiat ressenti.

B. L’absence de lien entre préavis et droit à commission

Appliquant ces principes, la cour conclut qu’« il n’y a pas d’interdépendance entre l’obligation pour la société [mandataire] de se conformer au délai de préavis de 12 mois et l’obligation de la société [mandant] de payer les commissions contractuellement dues ». Le non-respect du délai de préavis « n’autorisait pas la société [mandant] à ne pas payer les commissions dues à la société [mandataire] en contrepartie des prestations qu’elle avait effectivement exécutées ».

Cette solution est juridiquement fondée. Le droit à commission naît de l’exécution effective des prestations de présentation des dossiers, et non du respect des modalités de rupture du contrat. Les deux obligations se situent sur des plans distincts. L’une relève de l’exécution du contrat, l’autre de sa cessation. Admettre le contraire reviendrait à priver le mandataire de toute rémunération pour un travail accompli, au motif d’un manquement sans rapport avec ce travail.

La portée de cette décision est significative pour les contrats de partenariat commercial. Elle rappelle que l’exception d’inexécution n’est pas un instrument de représailles permettant de compenser n’importe quel grief par la rétention de n’importe quelle somme. Elle suppose une corrélation directe entre les prestations concernées.

II. La détermination du droit à commission et l’absence de préjudice établi

La cour procède ensuite à l’examen méthodique du droit à commission du mandataire (A) et rejette les demandes indemnitaires des deux parties faute de preuve du préjudice (B).

A. L’établissement du droit à commission par dossier

La cour applique les règles probatoires découlant de l’article 1353 du code civil. Elle indique qu’il appartient au mandataire « de rapporter la preuve de son droit à commission ». Concrètement, cette preuve implique de démontrer pour chaque dossier trois éléments : la présentation du dossier client, la réalisation effective de l’opération immobilière financée, et le montant des gains servant de base au calcul de la rétrocession de 70 %.

L’arrêt se distingue par son analyse dossier par dossier. La cour constate que le mandant « reconnaît l’intervention de la société [mandataire] dans les six dossiers fondant la demande » et que ces dossiers « ont abouti à un financement bancaire ». Deux des trois conditions sont donc établies. Le mandant soutenait avoir finalisé lui-même certains dossiers, mais « ne démontre pas, au moyen des pièces qu’elle verse aux débats, qu’elle aurait effectué la moindre diligence pour terminer elle-même l’un ou l’autre des six dossiers en cours ».

Cette rigueur probatoire aboutit à une condamnation légèrement inférieure à la demande initiale. La cour rectifie notamment le calcul pour un dossier où le mandataire réclamait 2 100 euros alors que la rétrocession de 70 % sur une commission de 2 500 euros représentait 1 750 euros. Le total s’établit à 6 040,30 euros contre 6 381,30 euros réclamés.

B. Le rejet des demandes indemnitaires pour défaut de preuve du préjudice

S’agissant de la demande du mandant fondée sur la rupture abusive ou brutale, la cour rappelle les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable. Elle note l’erreur de visa commis par l’appelant qui invoquait l’article L. 442-1, II, issu de l’ordonnance du 24 avril 2019 et inapplicable à un contrat conclu en février 2019.

La cour souligne également la question de compétence juridictionnelle. Elle rappelle que le contentieux de la rupture brutale relève de juridictions spécialisées avec appel devant la cour d’appel de Paris. Toutefois, conformément à l’article 76 du code de procédure civile, cette exception d’incompétence ne peut être relevée d’office en appel dès lors qu’elle n’entre pas dans les cas limitativement prévus.

Sur le fond, la cour juge qu’« en tout état de cause, force est de constater qu’au vu des pièces versées aux débats, la société [mandant] ne rapporte pas la preuve de la réalité du préjudice qu’elle invoque ». Cette exigence probatoire s’applique également au mandataire dont la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive est rejetée. La cour relève que « la circonstance que sa demande en paiement n’a pas été intégralement accueillie par la présente cour d’appel exclut toute résistance abusive ».

Cette solution illustre la rigueur contemporaine en matière de preuve du préjudice. La brutalité d’une rupture, même établie, ne suffit pas à fonder une indemnisation. Il appartient à celui qui se prétend victime de démontrer concrètement le dommage subi, qu’il s’agisse de pertes de chiffre d’affaires, de frais engagés inutilement ou de toute autre conséquence patrimoniale. En l’absence d’une telle démonstration, les demandes indemnitaires ne peuvent prospérer.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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