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La destruction par incendie d’une cuisine centrale exploitée dans le cadre d’une concession de service public confronte les juges à des problématiques complexes mêlant droit des assurances et responsabilité civile. La cour d’appel de Fort-de-France, par un arrêt du 24 juin 2025, s’est prononcée sur la validité d’un contrat d’assurance multirisque au regard des déclarations de l’assuré relatives à sa sinistralité antérieure.
Une société exploitant une cuisine centrale avait conclu un bail emphytéotique avec une commune et une concession de service public avec la caisse des écoles. Le 7 avril 2016, un incendie a détruit les locaux. L’expertise judiciaire a révélé une origine électrique liée à une friteuse industrielle, mettant en cause des défaillances multiples dans la maintenance. Il est apparu qu’un précédent incendie partiel s’était produit le 30 janvier 2015, également imputable à cette friteuse. Or, lors de la souscription d’un contrat d’assurance multirisque auprès d’un nouvel assureur en février 2016, la société avait déclaré n’avoir subi aucun sinistre au cours des vingt-quatre mois précédents. L’assureur a assigné la société en nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle.
Le tribunal judiciaire de Fort-de-France, le 19 décembre 2023, a rejeté la demande de nullité et condamné l’assureur à indemniser tant la société exploitante que la commune et la caisse des écoles. Les premiers juges ont considéré que la mention litigieuse constituait une clause pré rédigée insusceptible d’établir une déclaration mensongère ou une réticence de mauvaise foi. L’assureur a relevé appel de cette décision.
La question posée à la cour était de déterminer si une clause pré rédigée relative à l’absence de sinistre antérieur peut fonder la nullité du contrat d’assurance lorsqu’elle s’inscrit dans une phase précontractuelle au cours de laquelle l’assureur a expressément interrogé le souscripteur sur ses antécédents de sinistralité.
La cour d’appel de Fort-de-France infirme le jugement et prononce la nullité du contrat d’assurance. Elle retient que « la clause pré rédigée relative à l’absence de sinistre antérieure, en ce qu’elle est consécutive à deux projets de contrat, dont l’un est signé par le souscripteur, faisant l’un et l’autre apparaître la condition suspensive d’un relevé de sinistralité, ces deux projets ayant eux-mêmes été élaboré sur la base d’un questionnaire faisant apparaître la question des antécédents de sinistre sur les risques garantis, est suffisante à établir la mauvaise foi du souscripteur ».
Cette décision illustre l’articulation délicate entre l’exigence de questions précises posées par l’assureur et l’appréciation de la mauvaise foi du souscripteur (I), tout en révélant les conséquences patrimoniales considérables de la nullité pour les tiers bénéficiaires du contrat (II).
I. La caractérisation de la fausse déclaration intentionnelle par la contextualisation précontractuelle
La cour procède à une interprétation constructive des exigences jurisprudentielles relatives au questionnaire de déclaration du risque (A), ce qui lui permet de retenir la mauvaise foi du souscripteur au regard du contexte global de la souscription (B).
A. Le dépassement de l’exigence formelle du questionnaire préalable
Le régime de la nullité pour fausse déclaration repose sur l’article L. 113-8 du code des assurances, dont l’application suppose une réticence ou une fausse déclaration intentionnelle de nature à changer l’objet du risque ou à en diminuer l’opinion pour l’assureur. La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt de chambre mixte du 7 février 2014, que « l’assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu’il a apportées auxdites questions ». Cette jurisprudence interdit à l’assureur de se prévaloir d’une simple clause déclarative pré rédigée pour obtenir la nullité du contrat.
La cour de Fort-de-France ne méconnaît pas cette exigence. Elle rappelle que « l’assureur ne peut reprocher au souscripteur d’avoir signé une déclaration pré rédigée ne reflétant pas la réalité et qu’il ne peut se prévaloir de la nullité du contrat que sur les réponses du souscripteur à une question qu’il a lui-même posée ». Le tribunal avait retenu cette analyse pour débouter l’assureur. La cour d’appel opère une lecture différente des faits sans contredire le principe juridique.
La cour s’appuie sur une jurisprudence constante selon laquelle « la précision et l’individualisation des déclarations consignées dans le formulaire de déclaration des risques signé par l’assuré peuvent révéler qu’elles résultaient nécessairement de questions posées par l’assureur lors de la souscription du contrat ». Elle transpose cette solution au cas où la question n’a pas été posée dans le contrat définitif mais dans les documents précontractuels. Cette transposition s’inscrit dans une logique téléologique du droit des assurances : l’obligation de déclaration exacte du risque ne saurait être contournée par la seule modification formelle des documents contractuels.
B. L’appréciation in concreto de la mauvaise foi du souscripteur
La cour reconstitue minutieusement le processus de souscription pour établir la connaissance par l’assuré du caractère déterminant de l’information dissimulée. Elle relève l’existence d’un questionnaire du 5 novembre 2015 comportant un tableau relatif aux « antécédents du risque proposé au cours des trois dernières années », laissé vierge par le proposant. Elle constate que deux projets de contrat des 31 décembre 2015 et 11 janvier 2016 subordonnaient la souscription à la fourniture d’un relevé de sinistralité. Elle observe enfin que le souscripteur avait sollicité ce relevé auprès de son précédent assureur le 11 février 2016 et s’était heurté à un refus.
La cour en déduit que « la société Eco Restauration ne peut donc prétendre ignorer le caractère déterminant, dans l’évaluation du risque, de la survenance d’un sinistre au cours de la période antérieure ». Cette analyse factuelle est déterminante. Le souscripteur savait que l’assureur attachait de l’importance à cette information puisqu’il avait tenté de l’obtenir. Son impossibilité d’y parvenir ne l’autorisait pas à signer une déclaration contraire à la réalité.
La cour relève en outre que la mention litigieuse « venant manifestement se substituer à la fourniture du relevé de sinistralité, dans l’appréciation du risque ». Cette substitution révèle la volonté de l’assureur d’obtenir l’information par un autre moyen. Le souscripteur ne pouvait l’ignorer. La mauvaise foi se déduit ainsi non d’une seule signature apposée sur une clause standard, mais de l’ensemble du comportement du souscripteur au cours de la phase précontractuelle.
II. Les conséquences de la nullité sur les tiers au contrat d’assurance
La nullité du contrat d’assurance prive d’effet l’action directe des tiers lésés contre l’assureur (A), ce qui les contraint à rechercher d’autres voies d’indemnisation (B).
A. L’anéantissement de l’action directe des tiers bénéficiaires
La commune et la caisse des écoles avaient exercé une intervention volontaire pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices directement auprès de l’assureur de leur cocontractant. La cour confirme la recevabilité de cette intervention, les deux collectivités ayant « un intérêt à soutenir cette dernière pour faire échec à l’action en nullité de Groupama Antilles Guyane, afin que celle-ci bénéficie de la couverture assurantielle pour l’activité au titre de laquelle elle est leur cocontractante ». Le bail emphytéotique prévoyait en effet que le preneur répondait de l’incendie conformément à l’article L. 451-8 du code rural, et que les constructions feraient retour à la commune en fin de bail.
La recevabilité de l’intervention ne préjuge cependant pas de son bien-fondé. La cour rappelle que l’article L. 112-6 du code des assurances permet à « l’assureur d’opposer au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur d’origine ». La nullité du contrat constitue une telle exception. Elle est opposable aux tiers qui prétendent exercer l’action directe prévue à l’article L. 124-3 du même code.
La cour tire les conséquences de ce principe : « compte-tenu de la nullité prononcée, les demandes en paiement formulées par la société Eco Restauration mais aussi par la commune de [Localité 16] et la caisse des écoles de [Localité 16] dirigées contre la société Groupama Antilles-Guyane sur le fondement du contrat n° C107289 ne peuvent prospérer et seront rejetées ». La fausse déclaration du souscripteur se retourne ainsi contre les victimes du sinistre, privées d’un débiteur solvable.
B. Le report de l’action indemnitaire sur l’assureur de responsabilité civile
La cour ouvre néanmoins une voie de recours aux victimes en examinant leurs demandes dirigées contre l’assureur de responsabilité civile du souscripteur. Elle observe que « la réglementation relative au cumul d’assurance est ici inopérante en ce que les risques couverts par les deux contrats sont distincts, s’agissant pour le contrat Groupama Antilles-Guyane d’une assurance dommage aux biens, et pour le contrat Chubb European Group SE d’une assurance responsabilité civile ».
L’expertise judiciaire avait établi que « le fait générateur du sinistre met en cause l’intervention du technicien de Datex et l’absence d’entretien du bâtiment et de ses équipements ». Ces conclusions permettaient d’engager la responsabilité civile de la société exploitante. Son assureur de responsabilité civile pouvait donc être recherché par les tiers lésés sur le fondement de l’action directe.
Cette solution illustre la différence de nature entre l’assurance de dommages et l’assurance de responsabilité. La première couvre les biens de l’assuré et bénéficie aux tiers ayant un intérêt sur ces biens. La seconde couvre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile de l’assuré envers les tiers. La nullité de l’une n’entraîne pas celle de l’autre. Les victimes conservent ainsi une possibilité d’indemnisation, sous réserve des limites de garantie et des franchises contractuelles applicables au contrat de responsabilité civile.