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La prescription triennale applicable à l’exécution des contraintes émises par les organismes de sécurité sociale constitue un mécanisme protecteur du débiteur, dont la rigueur ne peut être atténuée que par des actes interruptifs précisément identifiés. La cour d’appel de Fort-de-France, dans un arrêt du 24 juin 2025, apporte des précisions utiles sur l’articulation entre ce délai de prescription et le régime dérogatoire instauré par l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la période d’urgence sanitaire.
Une caisse de sécurité sociale avait émis une contrainte le 26 décembre 2017, signifiée le 11 janvier 2018, pour le recouvrement de cotisations sociales. La société débitrice avait effectué plusieurs versements, dont le dernier le 18 février 2020. Le 4 avril 2023, la caisse fit signifier un commandement aux fins de saisie-vente. La société contesta ce commandement devant le juge de l’exécution, invoquant la prescription de l’action en recouvrement.
Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Fort-de-France, par jugement du 14 mai 2024, constata la prescription de l’exécution de la contrainte et annula le commandement litigieux. La caisse interjeta appel, soutenant que l’ordonnance du 25 mars 2020 avait interrompu le délai de prescription pour une durée de cent onze jours, de sorte que son action demeurait recevable au 4 avril 2023.
La question posée à la cour était la suivante : le mécanisme de report des délais institué par l’ordonnance du 25 mars 2020 était-il applicable à un délai de prescription triennale ayant commencé à courir le 19 février 2020, soit antérieurement à la période juridiquement protégée ?
La cour d’appel de Fort-de-France confirme le jugement entrepris. Elle relève que « ce nouveau délai n’est pas né durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 » et que « ce délai de prescription triennale n’est pas arrivé à expiration avant le 23 juin 2020, de sorte qu’aucun report des effets et du délai de la prescription triennale n’est applicable ». En l’absence d’acte interruptif entre le 18 février 2023 et le 4 avril 2023, la prescription était acquise.
Cette décision invite à examiner successivement les conditions d’application du régime dérogatoire de l’ordonnance du 25 mars 2020 (I), puis les conséquences de la prescription sur les mesures d’exécution forcée (II).
I. L’inapplicabilité du régime dérogatoire de l’ordonnance du 25 mars 2020
La cour procède à une interprétation stricte du champ d’application temporel de l’ordonnance (A), excluant tout bénéfice pour le créancier dont le délai de prescription n’était pas concerné par la période protégée (B).
A. Le champ d’application temporel strictement délimité
L’ordonnance du 25 mars 2020 a instauré ce que la cour qualifie de « période juridiquement protégée afin d’éviter que les acteurs économiques soient sanctionnés pour ne pas avoir respecté certains délais ». Cette protection ne bénéficie qu’aux délais présentant un lien temporel précis avec la période d’urgence sanitaire.
L’article 2 de l’ordonnance vise les actes qui auraient dû être accomplis « pendant la période mentionnée à l’article 1er », soit entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020. Le mécanisme de report suppose donc que le délai expire durant cette période ou qu’il naisse au cours de celle-ci. La cour souligne cette double condition alternative en distinguant nettement les deux hypothèses.
En l’espèce, le délai de prescription triennale avait commencé à courir le 19 février 2020, à la suite du dernier paiement effectué par la société débitrice. Son point de départ était donc antérieur au 12 mars 2020. La cour en déduit logiquement que « ce nouveau délai n’est pas né durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 ».
Cette analyse révèle une lecture rigoureuse du texte. Le législateur de l’urgence sanitaire n’a pas entendu accorder un bénéfice général à tous les créanciers, mais uniquement protéger ceux qui se trouvaient dans l’impossibilité d’agir en raison des circonstances exceptionnelles. Un délai ayant pris naissance avant la crise sanitaire ne relève pas de cette logique protectrice.
B. L’absence d’expiration du délai pendant la période protégée
La seconde branche du raisonnement porte sur le terme du délai de prescription. Même si le délai n’est pas né pendant la période protégée, il aurait pu bénéficier du report s’il avait expiré durant celle-ci. La cour écarte également cette hypothèse.
Le délai de trois ans ayant commencé à courir le 19 février 2020 devait normalement expirer le 18 février 2023. La cour constate que « ce délai de prescription triennale n’est pas arrivé à expiration avant le 23 juin 2020 ». Dès lors, aucune des conditions alternatives posées par l’article 1er de l’ordonnance n’était remplie.
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante refusant d’étendre le bénéfice de l’ordonnance au-delà de son champ d’application littéral. Le texte dérogatoire, adopté dans l’urgence pour répondre à une situation exceptionnelle, ne saurait recevoir une interprétation extensive. La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que ce mécanisme de report ne constitue pas une cause générale de suspension ou d’interruption de la prescription.
L’argument de la caisse, selon lequel l’ordonnance aurait interrompu la prescription pour cent onze jours, procédait d’une confusion entre le report du terme et l’interruption du délai. L’ordonnance n’a jamais eu pour effet d’interrompre les délais en cours ; elle s’est bornée à permettre aux justiciables d’accomplir utilement, après la fin de la période protégée, les actes dont le terme était échu pendant celle-ci.
II. Les conséquences de la prescription sur l’exécution forcée
La prescription de l’action en recouvrement entraîne l’irrecevabilité de celle-ci (A) et prive de fondement le commandement aux fins de saisie-vente (B).
A. L’irrecevabilité de l’action en recouvrement prescrite
L’article L. 244-9 du code de la sécurité sociale confère à la contrainte non contestée « tous les effets d’un jugement ». Cette assimilation au titre exécutoire judiciaire emporte application du délai de prescription triennale prévu par ce même texte, courant « à compter de la date à laquelle la contrainte a été notifiée ou signifiée, ou un acte d’exécution signifié en application de cette contrainte ».
La cour rappelle que ce délai spécial déroge au délai décennal de droit commun applicable à l’exécution des décisions de justice. Cette prescription abrégée se justifie par la nature particulière des créances de sécurité sociale et par la nécessité de ne pas maintenir indéfiniment les cotisants dans l’incertitude.
Les versements effectués par le débiteur constituent des actes interruptifs de prescription, faisant courir un nouveau délai de même durée. En l’espèce, le dernier paiement du 18 février 2020 avait fait naître un nouveau délai triennal expirant le 18 février 2023. Or, la caisse « ne justifie d’aucun acte interruptif de prescription entre le 18 février 2023 et le 04 avril 2023 », date de la signification du commandement litigieux.
Cette carence probatoire scelle le sort de l’action. Le créancier social disposait de près de trois années pour accomplir un acte interruptif ; il n’en a rien fait. La prescription extinctive produit alors son effet libératoire au profit du débiteur, rendant l’action en recouvrement irrecevable.
B. L’annulation du commandement dépourvu de titre exécutoire valide
Le commandement aux fins de saisie-vente constitue l’acte inaugural de cette mesure d’exécution forcée. L’article L. 221-1 du code des procédures civiles d’exécution subordonne sa validité à l’existence d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.
La prescription de l’action en recouvrement prive la contrainte de sa force exécutoire. Le titre sur lequel se fondait le commandement du 4 avril 2023 ne pouvait plus servir de support à une mesure d’exécution. La cour en tire la conséquence logique en confirmant l’annulation du commandement.
Cette solution illustre le lien indissociable entre le titre exécutoire et les actes d’exécution accomplis en vertu de celui-ci. L’extinction du droit de poursuite du créancier rejaillit nécessairement sur les mesures engagées postérieurement. Le commandement, fût-il régulier en la forme, ne peut suppléer l’absence d’un titre valide.
La portée de cet arrêt dépasse le cas d’espèce. Il rappelle aux organismes de sécurité sociale la nécessité d’une vigilance constante dans le suivi de leurs créances. Le délai triennal, plus bref que le délai de droit commun, impose une gestion rigoureuse des échéances. L’invocation tardive d’un texte d’exception, adopté dans un contexte de crise sanitaire, ne saurait pallier les carences du créancier dans l’exercice de ses droits.