Cour d’appel de Grenoble, le 1 juillet 2025, n°23/02797

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble le 1er juillet 2025 illustre avec netteté le régime des conditions suspensives dans les promesses unilatérales de vente immobilière. Cette décision rappelle les conséquences attachées à la défaillance du bénéficiaire dans l’accomplissement de ses obligations contractuelles.

Une promesse unilatérale de vente portant sur des bâtiments industriels a été consentie par acte authentique du 4 février 2021. Le prix convenu s’élevait à 650 000 euros. L’acte stipulait une condition suspensive d’obtention de prêt devant être réalisée au plus tard le 1er mai 2021. Une indemnité d’immobilisation de 65 000 euros était prévue avec dispense de versement immédiat. Le bénéficiaire n’a pas justifié de l’obtention d’un prêt conforme aux caractéristiques contractuelles dans le délai imparti. Le promettant a alors notifié la caducité de l’avant-contrat.

Le bénéficiaire a assigné le promettant en exécution forcée de la vente le 4 novembre 2021. Le tribunal judiciaire de Grenoble, par jugement du 22 juin 2023, a débouté le bénéficiaire de ses prétentions et l’a condamné au paiement de l’indemnité d’immobilisation. Appel a été interjeté le 24 juillet 2023. Le bénéficiaire a été placé en liquidation judiciaire le 19 décembre 2024. Le liquidateur judiciaire est intervenu volontairement à la procédure.

Devant la cour, le bénéficiaire soutenait avoir accompli les démarches nécessaires à l’obtention du financement. Il arguait que le promettant avait été informé de ses demandes de prêt et que le délai de réitération avait été prorogé. Le promettant répliquait que la condition suspensive n’avait pas été réalisée dans le délai contractuel. Il faisait valoir que la simple offre d’accompagnement produite ne valait pas accord de financement.

La question posée à la cour était de déterminer si la condition suspensive d’obtention de prêt avait été valablement accomplie et, dans la négative, quelles conséquences devaient en être tirées quant à la caducité de la promesse et au paiement de l’indemnité d’immobilisation.

La cour d’appel de Grenoble confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle retient que le bénéficiaire « devait obtenir, au plus tard le 1er mai 2021, un prêt immobilier » conforme aux caractéristiques stipulées et que la seule pièce versée « ne constitue pas une offre de prêt conforme ». Elle juge que le bénéficiaire « a fautivement empêché l’accomplissement de la condition suspensive » et le condamne au paiement de l’indemnité d’immobilisation.

Cet arrêt invite à examiner successivement les conditions de la caducité de la promesse pour défaillance de la condition suspensive (I) puis le régime de l’indemnité d’immobilisation due par le bénéficiaire défaillant (II).

I. La caducité de la promesse pour défaillance de la condition suspensive

La cour apprécie d’abord la réalisation de la condition suspensive au regard des stipulations contractuelles (A), avant d’en déduire la caducité de la promesse (B).

A. L’appréciation stricte de la réalisation de la condition

L’acte du 4 février 2021 définissait précisément les caractéristiques du prêt devant être obtenu. Le montant maximum était fixé à 659 341 euros, la durée à soixante mois et le taux d’intérêt hors assurances à 1,5 % au maximum. La date limite d’obtention était le 1er mai 2021.

La cour relève que le bénéficiaire verse « uniquement, une lettre de la Banque Populaire sur des modalités potentielles de financement ». Cette pièce ne satisfait pas aux exigences contractuelles. Une simple lettre évoquant des modalités potentielles ne saurait être assimilée à une offre de prêt ferme et définitive. Le document produit indiquait d’ailleurs expressément qu’il ne valait pas accord de financement.

Cette appréciation s’inscrit dans une jurisprudence constante. La condition suspensive d’obtention de prêt suppose la production d’une offre conforme aux caractéristiques stipulées. Une proposition de financement ou un accord de principe ne suffit pas. Le bénéficiaire doit démontrer qu’il a effectivement obtenu un prêt correspondant aux termes convenus.

La rigueur de cette analyse se justifie par la sécurité des transactions immobilières. Le promettant accepte d’immobiliser son bien pendant la durée de la promesse. En contrepartie, le bénéficiaire s’engage à accomplir les diligences nécessaires à la réalisation des conditions. Le respect des délais et des caractéristiques contractuelles n’est pas une simple formalité mais une obligation substantielle.

B. La caducité fondée sur les stipulations contractuelles

La promesse de vente prévoyait expressément qu’à défaut d’obtention du prêt dans le délai imparti, l’acte deviendrait caduc. La cour tire les conséquences de cette stipulation en jugeant que « c’est à bon droit que la SA Blanc se prévaut de la caducité de la promesse de vente conformément aux dispositions prévues à l’acte du 4 février 2021 ».

La caducité résulte ici de la défaillance de la condition suspensive. Cette défaillance n’est pas imputable à un événement extérieur mais au comportement du bénéficiaire. L’article 1304-3 du code civil dispose que « la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement ». Ce texte institue une fiction juridique sanctionnant la mauvaise foi du débiteur de la condition.

Toutefois, en l’espèce, la cour ne recourt pas à cette fiction. Elle constate simplement que la condition n’a pas été réalisée. Le bénéficiaire n’a pas produit d’offre conforme. La caducité découle donc directement de l’absence de réalisation de la condition dans le délai contractuel.

La cour ajoute une observation sur la situation actuelle du bénéficiaire. Elle s’interroge « sur les capacités financières de l’appelante mise en liquidation judiciaire ». Cette remarque souligne l’incohérence de la demande d’exécution forcée émanant d’une société désormais insolvable. Elle renforce la légitimité du refus de réitérer la vente.

La caducité prononcée libère les parties de leurs obligations. Le promettant retrouve la libre disposition de son bien. Le bénéficiaire est délié de son engagement d’acquérir. Cette solution préserve l’équilibre contractuel voulu par les parties lors de la conclusion de la promesse.

II. L’indemnité d’immobilisation due par le bénéficiaire défaillant

La cour examine le fondement de l’indemnité d’immobilisation (A) avant de rejeter les demandes indemnitaires formées par chacune des parties (B).

A. Le fondement de l’indemnité d’immobilisation

La promesse de vente stipulait une indemnité d’immobilisation de 65 000 euros. Cette somme représentait 10 % du prix de vente, pourcentage habituel dans ce type de contrat. Le bénéficiaire avait été dispensé de son versement immédiat.

La cour retient que le bénéficiaire « a fautivement empêché l’accomplissement de la condition suspensive en obtention de prêt ». Cette formulation est significative. Elle qualifie le comportement du bénéficiaire de fautif. L’absence de diligences suffisantes pour obtenir un prêt conforme constitue un manquement contractuel.

L’indemnité d’immobilisation trouve ainsi son fondement dans la faute du bénéficiaire. Celui-ci a bénéficié de l’engagement du promettant pendant plusieurs mois. Le bien a été immobilisé à son profit exclusif. Il n’a pas honoré ses obligations en retour. Le paiement de l’indemnité vient compenser le préjudice subi par le promettant du fait de cette immobilisation stérile.

Cette analyse s’inscrit dans la jurisprudence relative à la nature de l’indemnité d’immobilisation. Celle-ci n’est pas une clause pénale susceptible de modération judiciaire lorsqu’elle sanctionne le non-exercice de l’option par le bénéficiaire. Elle constitue le prix de l’exclusivité consentie par le promettant. Le bénéficiaire qui ne lève pas l’option ou qui empêche la réalisation des conditions doit s’en acquitter.

La condamnation est prononcée à l’encontre du liquidateur judiciaire ès qualités. Cette précision emporte des conséquences pratiques importantes. La créance de l’indemnité d’immobilisation devra être déclarée au passif de la liquidation judiciaire. Son recouvrement effectif dépendra de l’actif disponible.

B. Le rejet des demandes indemnitaires réciproques

Le bénéficiaire sollicitait subsidiairement des dommages-intérêts à hauteur de 206 936,80 euros. Il invoquait un préjudice économique résultant de l’échec de l’opération. La cour rejette cette demande en constatant qu’« aucune des demandes de la SARL Jados ne saurait prospérer ».

Ce rejet découle logiquement de l’imputation de la défaillance au bénéficiaire. Celui-ci ne peut se prévaloir de son propre manquement pour réclamer réparation. La perte d’une chance d’acquérir le bien résulte de sa propre carence dans l’obtention du financement. Aucune faute du promettant n’est caractérisée.

Le promettant réclamait quant à lui des dommages-intérêts pour procédure abusive à hauteur de 5 000 euros. La cour confirme le rejet de cette demande prononcé en première instance. Elle relève « l’absence de démonstration d’un abus de la part de la SARL Jados ».

L’exercice d’une action en justice, même vouée à l’échec, ne constitue pas en soi un abus. Le bénéficiaire pouvait légitimement soumettre son interprétation des faits à l’appréciation des juridictions. La liberté d’ester en justice est un droit fondamental. Sa limitation suppose la preuve d’une intention de nuire ou d’une légèreté blâmable. Ces éléments ne sont pas établis en l’espèce.

La solution retenue par la cour d’appel de Grenoble s’inscrit dans une application rigoureuse du droit des contrats. Elle rappelle que le bénéficiaire d’une promesse de vente ne dispose pas d’une option sans contrepartie. Son engagement à accomplir les diligences nécessaires à la réalisation des conditions suspensives est une obligation véritable. Son inexécution entraîne la caducité de la promesse et le paiement de l’indemnité d’immobilisation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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