Cour d’appel de Grenoble, le 11 septembre 2025, n°22/04405

Par arrêt du 11 septembre 2025, la Cour d’appel de Grenoble, chambre sociale, se prononce sur la contestation d’un licenciement économique consécutif à l’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle. La juridiction tranche, d’abord, la recevabilité au regard de la prescription annale, puis la nullité du licenciement pour défaut de plan de sauvegarde de l’emploi.

La salariée, engagée en 2005 à temps complet, a été convoquée en novembre 2018 pour un licenciement économique. Informée du contrat de sécurisation professionnelle, elle y a adhéré le 20 décembre 2018, la rupture intervenant au 26 décembre 2018. Parallèlement, l’employeur avait engagé des fermetures de magasins sur une période brève.

Le 1er juillet 2019, le tribunal de grande instance de Grenoble a jugé que l’employeur était tenu de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi pour plusieurs fermetures concomitantes. La salariée a saisi le 10 février 2020 le conseil de prud’hommes, qui a déclaré son action prescrite par jugement du 8 novembre 2022. Sur appel du 9 décembre 2022, la Cour d’appel de Grenoble est saisie.

La salariée demande la nullité du licenciement, subsidiairement son absence de cause, avec indemnisation. Les défendeurs opposent la prescription et, subsidiairement, sollicitent l’application des plafonds indemnitaires. Le régime de garantie des salaires est appelé et discute l’étendue d’une éventuelle garantie. Les questions portent sur le point de départ du délai d’un an après un CSP en cas de fraude et sur la nullité du licenciement pour absence de plan de sauvegarde de l’emploi. La Cour retient un report du point de départ au 1er juillet 2019, dit l’action recevable, constate la nullité du licenciement et alloue 33 900 euros, décision déclarée opposable au régime de garantie.

I — La prescription après adhésion au CSP

A — Cadre légal et report en cas de fraude
Le juge rappelle le texte applicable. « Toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif se prescrit par douze mois à compter de l’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle. Ce délai n’est opposable au salarié que s’il en a été fait mention dans la proposition de contrat de sécurisation professionnelle. » La Cour ajoute un principe d’information utile: « La remise par l’employeur au salarié, lors de la proposition du contrat de sécurisation professionnelle, d’un document d’information édité par les services de l’Unédic […] constitue une modalité d’information suffisante du salarié quant au délai de recours d’un an […] » (Soc., 11 décembre 2019, n° 18-17.707).

L’exception de fraude est ensuite mobilisée. La Cour cite le principe selon lequel « Si la fraude peut conduire à écarter la prescription annale prévue à l’article L. 1237-14 du code du travail, c’est à la condition que celle-ci ait eu pour finalité de permettre l’accomplissement de la prescription » (Soc., 22 juin 2016, n° 15-16.994). Transposée au délai de l’article L. 1233-67, cette logique justifie un report lorsque l’employeur organise le morcellement pour neutraliser le déclenchement des recours.

B — Connaissance de la fraude et point de départ
Les juges du fond caractérisent un stratagème de scission des fermetures, établi par la chronologie des consultations et des congés de baux. Ils retiennent qu’il était décidé, dans la période utile, « ainsi, de procéder de manière certaine à douze licenciements pour motif économique dans une période de trente jours ». Les indices retenus, convergents, écartent une simple succession autonome de projets.

Surtout, la Cour fixe le point de départ au jour de la connaissance de la fraude. Elle énonce que « la fraude, dans le morcellement artificiel d’un même projet de fermeture de quatre magasins […] a eu pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription prévu à l’article L. 1233-67 du code du travail à la date à laquelle la salariée a eu connaissance de la fraude qu’elle allègue, soit le 1er juillet 2019. » L’argument d’une connaissance antérieure, non démontré, est écarté comme une « simple affirmation ». La saisine du 10 février 2020 intervient dans le délai ainsi reconfiguré, de sorte que « son action est recevable ». Cette solution, articulée à une exigence probatoire rigoureuse, assure l’effectivité du contrôle juridictionnel en cas de manœuvres dilatoires.

II — La nullité pour absence de plan de sauvegarde de l’emploi

A — Projet unique et obligation de plan
La Cour vérifie l’atteinte du seuil légal dans une même période de trente jours, en retenant l’unicité du projet au-delà des présentations formelles. Elle constate la similitude des motifs économiques, la concomitance des démarches et la décision d’ensemble. À titre d’éclairage, elle rappelle que, même sans autorité de chose jugée, « il y a lieu de retenir, à titre de simple fait juridique, qu’ils ont tous les deux jugé que l’employeur était tenu de mettre en ’uvre un plan de sauvegarde de l’emploi », s’agissant d’un précédent local cohérent.

Le socle normatif est mobilisé. La juridiction retient la nullité en référence au texte applicable: « le licenciement intervenu en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation ou alors qu’une décision négative a été rendue est nul. » La qualification de projet unique, rigoureusement établie, déclenche mécaniquement l’obligation de plan et, faute de validation, la sanction de nullité.

B — Effets de la nullité et indemnisation
Constatant la nullité, la Cour applique le régime protecteur. Elle rappelle que « Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité […] qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. » La réintégration n’étant pas envisageable, l’indemnité est fixée à 33 900 euros, au regard de plus de treize années d’ancienneté et d’une rémunération mensuelle de référence de 2 712,12 euros.

Cette indemnité, relevant du régime de nullité, échappe au barème de l’article L. 1235-3 et s’apprécie de manière autonome, dans le respect du plancher légal. La décision est déclarée opposable au régime légal de garantie des créances salariales, dans les limites et plafonds fixés par le code du travail. L’économie de l’arrêt concilie, ainsi, sanction proportionnée de la fraude procédurale et protection effective des droits du salarié, dans la continuité d’une jurisprudence attentive à l’unité réelle des projets de suppression d’emplois.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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