Cour d’appel de Grenoble, le 11 septembre 2025, n°24/00687

Par arrêt du 11 septembre 2025, la Cour d’appel de Grenoble, chambre sociale, statue sur une action en faute inexcusable. Elle se prononce sur l’identification du défendeur légitime lorsque l’employeur public initial a été dissous et que la compétence a été transférée.

Un salarié saisonnier, conducteur de remontées mécaniques, a déclaré en 2014 une tendinopathie, ultérieurement prise en charge au titre des maladies professionnelles. La caisse avait d’abord refusé la prise en charge pour motif administratif, avant qu’un jugement de 2018 n’impose la couverture légale.

Après une tentative de conciliation en 2020, l’intéressé a saisi en 2021 la juridiction sociale d’une action en faute inexcusable. Par jugement du pôle social de Chambéry du 10 janvier 2024, la collectivité intercommunale a été mise hors de cause et la demande rejetée.

En appel, le salarié sollicite la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’exploitant public initial, en soutenant le transfert de la dette à ses successeurs. La collectivité intercommunale conclut à la confirmation de sa mise hors de cause et conteste toute qualité pour défendre à une telle action.

La question posée tient au périmètre du défendeur nécessaire à l’action prévue par l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale. Plus précisément, l’action peut-elle être dirigée contre la collectivité ou l’EPIC repreneurs de la compétence, après dissolution de l’employeur public initial?

La cour rappelle le principe selon lequel « la victime d’un accident du travail ne peut agir en reconnaissance d’une telle faute que contre son employeur ». Constatant l’absence dans la cause de l’employeur ou de ses représentants, elle déclare les demandes irrecevables et confirme la mise hors de cause.

I – Le cantonnement du défendeur à l’employeur juridique

A – Fondements légaux et jurisprudentiels

Le texte de référence encadre strictement le rapport de défendeur. « Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants ».

La jurisprudence de la Cour de cassation consacre la qualité exclusive de défendeur. « la victime d’un accident du travail ne peut agir en reconnaissance d’une telle faute que contre son employeur ». Plusieurs arrêts confirmatifs sont cités par la cour, notamment Soc., 31 mars 2003, 2e Civ., 10 juin 2003, et 2e Civ., 9 février 2017.

Ce rappel répond à la finalité du dispositif, qui attache l’indemnisation complémentaire à la personne de l’employeur responsable. L’action vise la faute inexcusable, dont le régime demeure indissociable du lien de subordination et de la direction effective.

B – Application aux personnes publiques employeurs et aux transferts de compétences

La solution est ici transposée au contexte des personnes publiques employeurs. La cour adopte une approche organique et non fonctionnelle du défendeur nécessaire.

Elle affirme que « la personnalité juridique ne saurait être confondue avec un ‘ site , une ‘ activité ou une ‘ compétence transférés ». La distinction entre transfert de compétences et transfert de la personnalité s’avère donc décisive pour déterminer le bon défendeur.

Dès lors, ni la collectivité intercommunale repreneuse de la compétence, ni l’EPIC ultérieurement créé, ne se substituent à l’employeur sans texte clair. La cour souligne encore l’inopérance des transferts de compétence pour déterminer le débiteur de la créance d’indemnisation née avant dissolution du syndicat employeur.

Les arguments tirés de l’article L. 1224-2 du Code du travail, inopérants faute de contrat en cours, ne modifiaient pas cette analyse organique. Le champ de la reprise des contrats ne coïncide pas avec l’obligation d’indemnisation civile complémentaire.

II – Valeur et incidences de l’arrêt sur la pratique contentieuse

A – Une solution de stricte légalité et de saine technique

La décision est d’abord cohérente avec l’économie du Livre IV du Code de la sécurité sociale, qui personnalise la responsabilité civile complémentaire de l’employeur. La qualité pour défendre ne se déduit ni des flux d’activités ni des réallocations de compétences.

En exigeant l’assignation de l’employeur ou de son représentant légal, elle évite l’extension indue du contentieux vers des personnes morales dépourvues de qualité. Le procès demeure centré sur la personne tenue à l’obligation, ce qui garantit la sécurité juridique.

La mise hors de cause de la collectivité intercommunale s’inscrit donc dans cette logique, d’autant qu’aucun mécanisme général de reprise du passif n’était établi. La cour censure corrélativement la décision au fond rendue sans le véritable défendeur.

Le rappel selon lequel « nul ne peut être jugé en son absence » confirme l’interdiction de statuer au fond lorsque le véritable employeur n’est pas dans la cause. Le juge d’appel en déduit l’irrecevabilité des demandes et l’infirmation partielle.

B – Exigences et précautions pour la conduite des recours

L’arrêt souligne des exigences procédurales fortes pour les victimes, en particulier dans les configurations publiques de type syndicat, collectivité et EPIC successifs. L’identification de la personne morale employeur au moment du risque est une étape incontournable.

Il impose d’identifier l’employeur de l’époque du risque, puis d’appeler, le cas échéant, ses successeurs en titre légalement désignés par les textes de dissolution. La charge de la preuve de la transmission des obligations ne peut résulter d’une simple continuité fonctionnelle.

À défaut, l’action encourt l’irrecevabilité, quand bien même la prise en charge professionnelle serait acquise et le dommage avéré par la reconnaissance antérieure. Le juge ne peut suppléer la carence de mise en cause par une assimilation des personnes.

La solution incite les praticiens à articuler utilement l’instance, en joignant les personnes investies de la représentation de l’employeur dissous et les collectivités éventuellement débitrices. La présence de la caisse, utile au recouvrement subrogatoire, demeure processuellement insuffisante.

Elle rappelle enfin que la caisse, présente à l’instance, ne dispose d’aucune qualité de défendeur principal à la faute inexcusable, son recours demeurant subrogatoire. L’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble, 11 septembre 2025, en fixe clairement les balises opératoires.

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