Cour d’appel de Grenoble, le 15 juillet 2025, n°24/00409

Par un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble du 15 juillet 2025, la chambre sociale – protection sociale est saisie d’un litige relatif à la reconnaissance d’une maladie professionnelle au titre du tableau n° 57. Le contentieux naît d’une déclaration visant une rupture de la coiffe des rotateurs, étayée par un arthroscanner mais dépourvue d’I.R.M., et d’un refus de prise en charge par la caisse.

Les faits utiles tiennent à la transmission d’un certificat médical initial, à une déclaration ultérieure de maladie, puis à un second certificat faisant état d’une intervention de la coiffe. L’assuré a produit un arthroscanner mettant en évidence des lésions compatibles avec le tableau 57. Aucune I.R.M. n’a toutefois été versée.

Sur la procédure, le pôle social du tribunal judiciaire d’Annecy, par jugement du 14 décembre 2023, a ordonné la prise en charge au titre du tableau 57. La caisse a interjeté appel, soutenant que le dossier n’était pas complet et que les conditions du tableau n’étaient pas réunies. L’assuré invoquait principalement l’écoulement du délai de 120 jours de l’article R. 461-9 du code de la sécurité sociale et, subsidiairement, la nécessité d’une saisine du comité régional.

La question portait, d’une part, sur le point de départ du délai d’instruction et l’existence d’une décision implicite de prise en charge en cas de dépassement, et, d’autre part, sur l’exigence probatoire propre au tableau 57, en particulier l’I.R.M., son éventuelle contre-indication, et l’opportunité d’une saisine du comité. La cour d’appel infirme le jugement, retenant l’incomplétude du dossier, l’absence de décision implicite, et l’inapplicabilité d’une saisine du comité faute de désignation conforme au tableau.

I. Le délai d’instruction et l’absence de décision implicite

A. Le point de départ subordonné à l’exhaustivité médicale

La cour rappelle le texte directeur, cité dans la décision: « I.-La caisse dispose d’un délai de cent-vingt jours francs pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie ou saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles mentionné à l’article L. 461-1. » Elle souligne que ce délai « court à compter de la date à laquelle la caisse dispose de la déclaration (…) et à laquelle le médecin-conseil dispose du résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prévus par les tableaux ».

L’arrêt constate l’absence d’I.R.M., exigée par la désignation médicale du tableau 57 en cas de rupture partielle ou transfixiante. En conséquence, « Dès lors, le délai de 120 jours n’a jamais pu commencer à courir ». Cette lecture protège l’économie du dispositif d’instruction en liant le temps à la complétude médicale. La solution s’accorde avec la conception finaliste de R. 461-9, qui conditionne le déclenchement à la réunion des éléments utiles à l’examen. Elle évite les imputations de retard indu à l’organisme gestionnaire en cas de dossier objectivement incomplet.

B. Les garanties procédurales et leur incidence limitée

Le texte intégralement cité précise que « La caisse informe la victime ou ses représentants ainsi que l’employeur de la date d’expiration du délai de cent-vingt jours francs prévu au premier alinéa du I (…) ». La cour relève que « la caisse ne justifie pas avoir informé l’assuré ni de la date d’expiration du délai de 120 jours francs ni d’avoir mis à sa disposition le dossier qu’elle avait constitué ». Le manquement existe, mais sa portée reste contenue.

La formation retient que l’incomplétude initiale neutralise toute prétention à une décision implicite favorable. L’équilibre est net: l’exigence d’information demeure, toutefois sa sanction ne peut suppléer la condition préalable de complétude médicale. Cette pondération rejoint une jurisprudence prudente, qui réserve l’inopposabilité aux hypothèses où les délais ont effectivement couru. La clause de sauvegarde procédurale n’est pas un substitut au respect des exigences probatoires du tableau. « Le jugement sera donc infirmé. »

II. La rigueur probatoire du tableau 57 et l’office du comité régional

A. L’exigence d’I.R.M. et la stricte application du tableau

La décision retient que le tableau 57 vise une « objectivation » par I.R.M., l’arthroscanner n’étant admis qu’en cas de contre-indication. La motivation insiste: « Les conditions du tableau 57 étant d’appréciation stricte ». L’arthroscanner confirme la lésion, mais les certificats produits ne mentionnent aucune contre-indication formelle à l’I.R.M.

La cour relève en outre une incohérence ponctuelle de la fiche médico‑administrative, qualifiée d’« erreur de plume », sans incidence sur l’appréciation d’ensemble: « Dès lors, le fait d’avoir coché que les conditions médicales réglementaires du tableau étaient remplies apparaît nécessairement comme une erreur de plume ». La solution consacre une lecture littérale et sécurisante du tableau: preuve par I.R.M. sauf impossibilité médicalement caractérisée. Elle écarte les accommodements techniques lorsque la désignation réglementaire désigne clairement l’examen de référence pour l’étiologie assurantielle.

B. L’absence de saisine du comité régional et ses justifications

La formation précise les conditions d’intervention du comité au regard de l’article L. 461-1, rappelé ainsi: « Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie (…) peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime. » Elle en déduit, s’agissant du cas, que « la désignation de ce comité n’étant prévue que lorsque la maladie est hors tableau ».

Le refus de saisine se comprend: le litige ne concerne ni le délai, ni la durée d’exposition, ni la liste des travaux, mais la désignation médicale elle‑même, c’est‑à‑dire l’exigence probatoire intrinsèque du tableau. La cour tire alors la conséquence normative, en termes clairs: « la cour constate que les conditions légales du tableau 57 ne sont pas respectées ». L’issue s’impose dans le dispositif, la pathologie « ne peut être prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ». « Ces différents moyens seront donc écartés. »

L’arrêt présente ainsi une cohérence serrée. Il articule utilement l’exigence d’exhaustivité du dossier pour le déclenchement des délais, la rigueur probatoire liée à la désignation du tableau, et l’office circonscrit du comité régional. L’ensemble confirme une protection procédurale réelle, mais subordonnée à la complétude médicale requise, afin de préserver la fiabilité de l’instruction et la sécurité des reconnaissances.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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