Cour d’appel de Grenoble, le 17 juin 2025, n°25/00215

Par un arrêt en date du 17 juin 2025, la cour d’appel de Grenoble s’est prononcée sur la question de la bonne foi du débiteur surendetté, condition essentielle d’accès aux mesures de traitement du surendettement prévues par le code de la consommation.

Une personne exerçant la profession de conseillère en relation clientèle, alors au chômage, avait saisi la commission de surendettement de l’Isère le 29 mars 2024. La commission avait déclaré son dossier recevable le 14 mai 2024 et orienté la procédure vers une mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. Les ressources mensuelles de la débitrice étaient évaluées à 819 euros pour des charges de 1 268 euros, avec un passif total de 2 518,48 euros. Un créancier, par l’intermédiaire de son mandataire, avait contesté cette mesure le 22 juillet 2024. Par jugement du 12 décembre 2024, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Vienne avait constaté la mauvaise foi de la débitrice et déclaré celle-ci irrecevable au bénéfice de la procédure de surendettement. Le premier juge avait retenu que la débitrice avait perçu la somme de 14 272,27 euros au titre du déblocage de son plan d’épargne pour la retraite collectif en octobre 2023, qu’elle n’avait affecté qu’une partie de cette somme au remboursement de ses dettes selon le plan établi par la commission, et que le reliquat d’environ 1 500 euros n’avait pas été affecté au remboursement de sa dette locative. La débitrice a interjeté appel de ce jugement le 2 janvier 2025.

Devant la cour, la débitrice faisait valoir que le reliquat du déblocage de son plan d’épargne n’avait fait que combler un découvert bancaire préexistant, ce qui ne saurait caractériser un comportement de mauvaise foi. Le créancier, régulièrement convoqué, n’a pas comparu.

La question posée à la cour d’appel de Grenoble était de déterminer si le fait pour un débiteur surendetté d’utiliser le reliquat d’une somme débloquée pour combler un découvert bancaire, plutôt que pour rembourser ses créanciers, caractérise la mauvaise foi excluant le bénéfice de la procédure de surendettement.

La cour d’appel infirme le jugement entrepris. Elle déclare la débitrice de bonne foi et recevable au bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers. Elle confirme la mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire imposée par la commission de surendettement.

Cette décision permet d’examiner successivement le régime probatoire de la bonne foi en matière de surendettement (I), puis les conditions d’une situation irrémédiablement compromise justifiant le rétablissement personnel (II).

I. Le régime probatoire de la bonne foi du débiteur surendetté

La cour rappelle les principes gouvernant la charge de la preuve de la mauvaise foi (A) avant d’appliquer ces principes à l’affectation du reliquat d’un déblocage d’épargne (B).

A. La présomption de bonne foi et le renversement de la charge probatoire

La cour d’appel rappelle le principe fondamental posé par l’article L.711-1 du code de la consommation selon lequel « le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi ». Elle précise que « la bonne foi étant présumée, il appartient à celui qui se prévaut de la mauvaise foi du débiteur d’en rapporter la preuve ». Cette présomption constitue une protection essentielle du débiteur en difficulté, traduisant la faveur du législateur pour le traitement social du surendettement.

La cour énonce les critères de caractérisation de la mauvaise foi. Il faut démontrer que le débiteur « a en fraude des droits de ses créanciers organisé ou aggravé son insolvabilité, ou qu’il a effectué des déclarations volontairement mensongères au moment de la demande de traitement de surendettement ou au cours de la procédure ». Ces critères alternatifs supposent tous un comportement délibérément frauduleux, non une simple négligence.

La cour ajoute une précision temporelle importante. La bonne foi « s’apprécie pendant le processus de constitution de l’endettement, au moment de la saisine de la commission, ainsi que tout au long de la procédure de traitement de la situation de surendettement ». Cette appréciation globale permet au juge d’examiner l’ensemble du comportement du débiteur, depuis l’origine de ses difficultés jusqu’au jour où il statue.

B. L’appréciation concrète de la bonne foi au regard de l’affectation des fonds

La cour procède à une analyse factuelle minutieuse pour renverser l’appréciation du premier juge. Elle relève qu’« il ressort des explications et des relevés de comptes produits en cause d’appel par la débitrice, notamment du relevé de compte en date du 6 septembre 2023 que son compte bancaire était à cette date, comme elle l’indique, débiteur à hauteur de 1 456,68 euros ».

La cour en déduit que « le reliquat du déblocage de son plan d’épargne pour la retraite collectif n’a fait que combler son découvert bancaire ». Cette constatation factuelle, étayée par des pièces nouvelles produites en appel, justifie l’infirmation du jugement. Le comblement d’un découvert bancaire préexistant ne saurait être assimilé à une organisation frauduleuse de l’insolvabilité.

La cour exige par ailleurs la caractérisation d’un élément intentionnel. La mauvaise foi « suppose au surplus la caractérisation de l’élément intentionnel constitué par la connaissance que le débiteur ne pouvait manquer d’avoir de sa situation et par sa volonté de l’aggraver, sachant qu’il ne pourrait faire face ensuite à ses engagements ». Or l’utilisation d’une somme pour combler un découvert ne traduit aucune volonté d’aggraver sa situation ni de frauder les créanciers.

II. Les conditions du rétablissement personnel sans liquidation judiciaire

La reconnaissance de la bonne foi acquise, la cour examine le caractère irrémédiablement compromis de la situation (A) et en tire les conséquences sur la mesure applicable (B).

A. La caractérisation de la situation irrémédiablement compromise

La cour procède à un examen chiffré de la situation financière de la débitrice. Elle relève que « ses ressources mensuelles s’élevant à la somme de 863 euros (580 au titre de l’allocation de solidarité spécifique et 283 euros au titre de l’allocation aide au logement) occasionnent une capacité de remboursement nécessairement nulle puisque le forfait total pour une personne seule retenu par la commission s’élève, à lui seul, à la somme de 876 euros ».

Cette arithmétique implacable révèle l’impossibilité structurelle pour la débitrice de dégager la moindre capacité de remboursement. Ses ressources, exclusivement constituées de minima sociaux, sont inférieures au minimum vital retenu par la commission. Cette situation rend vain tout plan de remboursement échelonné.

La cour ajoute un élément prospectif déterminant. Elle constate « l’absence d’éléments factuels permettant d’envisager une évolution favorable de sa situation ». La débitrice, au chômage et rencontrant des problèmes de santé qu’elle a évoqués à l’audience, ne présente aucune perspective d’amélioration de ses ressources. Cette absence de perspective justifie le recours à la mesure la plus protectrice.

B. La confirmation de la mesure de rétablissement personnel

La cour tire les conséquences de son analyse en confirmant « la mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire imposée par la commission de surendettement de l’Isère dans sa séance du 14 mai 2024 ». Cette mesure, prévue par les articles L.741-1 et suivants du code de la consommation, entraîne l’effacement de toutes les dettes non professionnelles du débiteur.

Le choix du rétablissement personnel sans liquidation judiciaire s’explique par l’absence de patrimoine de la débitrice, expressément constatée par la commission. Il serait vain d’ouvrir une procédure de liquidation alors qu’aucun actif n’est susceptible d’être réalisé au profit des créanciers.

Cette décision illustre la fonction sociale de la procédure de surendettement. Face à un passif de 2 518,48 euros, somme modeste mais insurmontable pour une personne vivant des minima sociaux, le rétablissement personnel offre une solution de dernier recours. L’effacement des dettes permet à la débitrice de repartir sur des bases saines, conformément à la philosophie de la fresh start inspirée du droit anglo-saxon. La cour fait ainsi prévaloir la finalité de réinsertion économique et sociale du débiteur sur les droits des créanciers, ces derniers n’ayant d’ailleurs pas jugé utile de comparaître pour défendre leurs intérêts devant la cour d’appel.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture