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La Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 19 juin 2025, s’est prononcée sur la validité d’une contrainte émise par un organisme de recouvrement à la suite d’un contrôle portant sur les années 2018 à 2020. Ce contrôle avait conduit à un rappel de cotisations et contributions obligatoires d’un montant supérieur à soixante-six mille euros, fondé sur plusieurs chefs de redressement relatifs à des frais professionnels non justifiés et à des comptes courants débiteurs.
Une société avait fait l’objet d’un contrôle de l’application des législations de sécurité sociale. À l’issue de ce contrôle, l’organisme de recouvrement lui avait adressé une lettre d’observations le 3 novembre 2021, puis une mise en demeure le 12 janvier 2022 portant sur une somme totale de plus de soixante-treize mille euros, incluant cotisations et majorations de retard. Face à l’absence de règlement, une contrainte avait été signifiée le 14 mars 2023. La société avait formé opposition à cette contrainte le 21 mars 2023. Le Pôle social du Tribunal judiciaire de Vienne, par jugement du 21 novembre 2023, avait déclaré l’opposition recevable mais validé la contrainte et condamné la société au paiement des sommes réclamées. La société avait alors interjeté appel.
Devant la cour d’appel, la société contestait la régularité de la procédure de recouvrement en soulevant plusieurs moyens de nullité. Elle reprochait à la contrainte et à la mise en demeure de ne pas mentionner la nature des cotisations, leurs taux et assiettes. Elle invoquait également l’absence de signature et d’identification de l’auteur de la mise en demeure, l’absence de signature de la lettre d’observations, le défaut d’habilitation de l’agent contrôleur et l’irrégularité de la liste des documents consultés.
La question posée à la Cour d’appel de Grenoble était de déterminer si les irrégularités formelles alléguées par la société cotisante étaient de nature à entraîner la nullité de la procédure de recouvrement engagée par l’organisme de sécurité sociale.
La cour d’appel a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par la société et confirmé intégralement le jugement de première instance. Elle a considéré que la contrainte et la mise en demeure comportaient toutes les mentions exigées par les articles L. 244-2 et R. 244-1 du Code de la sécurité sociale. Elle a estimé que l’absence de signature de la mise en demeure n’emportait pas nullité en l’absence de grief démontré. Elle a relevé que la lettre d’observations avait bien été signée, comme l’attestait le duplicata produit. Elle a constaté que l’agent contrôleur était régulièrement agréé et assermenté. Elle a enfin jugé que les documents consultés étaient correctement mentionnés.
Cet arrêt présente un intérêt certain en ce qu’il précise les conditions de validité formelle des actes de recouvrement en matière de sécurité sociale. La cour adopte une interprétation pragmatique des exigences textuelles, privilégiant l’effectivité de l’information du cotisant sur un formalisme excessif. Il convient d’examiner la confirmation d’une conception souple du formalisme des actes de recouvrement (I), avant d’analyser le rejet des moyens tirés de l’irrégularité des conditions du contrôle (II).
I. La confirmation d’une conception souple du formalisme des actes de recouvrement
La cour d’appel valide les mentions figurant dans la contrainte et la mise en demeure en se fondant sur une lecture téléologique des textes (A), puis écarte le moyen tiré de l’absence de signature de la mise en demeure en exigeant la démonstration d’un grief (B).
A. La suffisance des mentions permettant l’identification de l’obligation
La société appelante soutenait que la contrainte était irrégulière faute de mentionner « la nature des différentes cotisations sollicitées, leurs taux et assiettes, les couvertures sociales concernées ». La cour d’appel rejette ce moyen en rappelant les exigences posées par les articles L. 244-2 et R. 244-1 du Code de la sécurité sociale.
Ces textes imposent que l’avertissement ou la mise en demeure « précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, les majorations et pénalités qui s’y appliquent ainsi que la période à laquelle elles se rapportent ». La cour relève que la contrainte litigieuse mentionnait bien « la contrainte de s’acquitter de cotisations en qualité d’employeur du régime général », la référence à la mise en demeure, le motif du contrôle, les montants par année et le montant total.
La cour adopte une approche finaliste en considérant que la société « connaissait parfaitement, et sans risque de confusion, l’étendue de ses obligations ». Elle refuse d’exiger des précisions sur les taux, assiettes et couvertures « qui, de toute manière, figuraient dans la lettre d’observations à laquelle il était renvoyé ». Cette position s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui apprécie la validité des mises en demeure au regard de leur finalité informative.
Cette solution présente une cohérence certaine. Les actes de recouvrement forment une chaîne où chaque élément renvoie au précédent. Exiger que chaque acte soit autosuffisant alourdirait inutilement la procédure sans améliorer l’information du cotisant. La référence expresse à la lettre d’observations permet au destinataire de retrouver l’ensemble des éléments nécessaires à sa défense.
B. Le rejet du moyen tiré de l’absence de signature de la mise en demeure
La société invoquait l’absence de signature et d’identification de l’auteur de la mise en demeure, en se prévalant de l’article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l’administration et d’un arrêt d’assemblée plénière du 8 mars 2024.
La cour constate que la mise en demeure comportait la mention « LE DIRECTEUR (ou son délégataire) » sans signature apposée ni identification nominative. Elle écarte néanmoins le moyen en relevant que l’arrêt invoqué « n’est pas transposable à la présente espèce puisqu’il se fondait sur l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales et sur l’ampliation d’un titre exécutoire qui ne relèvent pas du régime des nullités du code de procédure civile ».
La cour ajoute que « rien ne permet donc de considérer que l’absence de signature de la mise en demeure de l’URSSAF emporte la nullité de cette mise en demeure, en l’absence de fondement juridique de ce moyen, en présence de l’identification expresse de l’auteur de la mise en demeure et au regard de l’absence de tout grief exprimé par la société cotisante ».
Cette motivation révèle l’application du principe selon lequel il n’existe pas de nullité sans texte et sans grief. L’organisme de recouvrement étant une personne privée chargée d’une mission de service public, le régime des décisions administratives ne lui est pas intégralement applicable. La cour s’inscrit dans la continuité d’un avis de la Cour de cassation du 22 mars 2004 estimant que l’omission de l’identité du signataire n’emporte pas nullité.
II. Le rejet des moyens tirés de l’irrégularité des conditions du contrôle
La cour écarte successivement les contestations portant sur la régularité formelle de la lettre d’observations (A), puis celles relatives aux conditions d’exercice du contrôle par l’agent de recouvrement (B).
A. La validation de la lettre d’observations malgré l’absence de signature sur la copie produite
La société reprochait l’absence de signature de la lettre d’observations par l’agent chargé du contrôle, en violation de l’article R. 243-59 III du Code de la sécurité sociale. Ce texte exige en effet que « les agents chargés du contrôle communiquent au représentant légal de la personne morale contrôlée une lettre d’observations datée et signée par eux ».
La cour relève que la société produisait « une copie de cette lettre sur papier jaune » sans signature. L’organisme produisait également une copie non signée, mais aussi un courriel du 1er juillet 2022 par lequel l’inspecteur avait adressé un duplicata de la lettre d’observations « conformément à votre demande ». Ce duplicata comportait bien la signature de l’agent.
La cour en déduit qu’« en l’état de l’envoi justifié de la lettre d’observations reçue le 10 novembre 2021 selon l’accusé de réception du courrier recommandé, de l’envoi par courriel et par le signataire d’un duplicata de cette lettre comportant sa signature, et en l’absence de production par l’appelante de l’original prétendument non signé », le moyen doit être rejeté.
Cette solution fait peser sur le cotisant la charge de prouver l’irrégularité qu’il invoque. La production d’une simple copie non signée ne suffit pas à établir que l’original était lui-même dépourvu de signature. Le duplicata signé envoyé à la demande du cotisant constitue un indice sérieux de la régularité de l’envoi initial. Cette approche probatoire apparaît équilibrée car elle évite qu’un cotisant puisse contester une procédure en se fondant sur une copie qu’il aurait lui-même altérée ou incomplètement reproduite.
B. La régularité des conditions personnelles et matérielles du contrôle
La société contestait enfin l’habilitation et l’assermentation de l’agent contrôleur ainsi que la liste des documents consultés figurant dans la lettre d’observations.
Sur le premier point, la cour relève que l’organisme « justifie bien d’une décision d’agrément définitif du 29 juillet 2021 à compter du 23 juillet 2021, et de sa prestation de serment du 4 janvier 2021, reçue par le greffe du Tribunal judiciaire de Grenoble le lendemain ». L’agent était donc régulièrement habilité lors du contrôle.
Sur le second point, la société reprochait l’absence dans la liste des documents consultés des statuts de la société et des contrats de travail et de mandat d’un associé, alors que ces éléments étaient mentionnés dans le corps de la lettre. La cour constate que « la lettre d’observations ne comporte aucune référence aux statuts » ni dans la liste ni dans le texte, et qu’« aucune référence n’est faite aux contrats de travail et de mandat » contrairement aux allégations de la société.
La cour ajoute que « l’article R. 243-59 exige la mention des documents consultés et que cette mention peut apparaître dans la liste figurant au début du document comme dans les observations qui doivent, selon cet article, être motivées par chef de redressement ». Cette précision méthodologique éclaire l’interprétation du texte : la liste liminaire n’est pas exclusive et les mentions figurant dans la motivation des chefs de redressement peuvent satisfaire à l’exigence légale.
Cette décision confirme une lecture fonctionnelle des exigences formelles du contrôle. L’agent n’est tenu de mentionner que les documents effectivement consultés, et non tous ceux qui auraient pu présenter un intérêt. L’information relative à la répartition du capital d’une société par actions simplifiée a pu être obtenue oralement lors du contrôle sans consultation des statuts.
L’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble du 19 juin 2025 s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel favorable à la sécurisation des procédures de recouvrement des cotisations sociales. En refusant d’annuler une contrainte pour des irrégularités formelles n’ayant causé aucun grief au cotisant, la cour privilégie l’efficacité du recouvrement social sur un formalisme procédural excessif. Cette orientation présente le mérite de la prévisibilité pour les organismes de sécurité sociale tout en préservant les droits des cotisants dès lors qu’un préjudice effectif serait démontré.