Cour d’appel de Grenoble, le 19 juin 2025, n°23/04179

Par un arrêt en date du 19 juin 2025, la chambre sociale de la cour d’appel de Grenoble se prononce sur la reconnaissance du caractère professionnel d’une pathologie psychique. Cette décision s’inscrit dans le contentieux relatif aux maladies hors tableau et éclaire les conditions dans lesquelles un syndrome dépressif peut être rattaché à l’activité professionnelle.

Un salarié, employé depuis 1988 en qualité de préparateur en peinture au sein d’une société de carrosserie, a sollicité le 22 février 2013 la prise en charge d’un syndrome dépressif réactionnel au titre de la législation professionnelle. Cette pathologie, attestée par un certificat médical initial du 9 janvier 2013, ne figurait dans aucun tableau de maladies professionnelles. Le médecin conseil a estimé que cette affection entraînait une incapacité permanente prévisible supérieure ou égale à 25 %. Toutefois, deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles ont successivement rendu des avis défavorables à la demande de prise en charge. La caisse primaire a donc notifié un refus. Le salarié a contesté cette décision devant le pôle social du tribunal judiciaire, qui l’a débouté par jugement du 9 novembre 2023. Il a interjeté appel.

Le demandeur soutenait que les comités n’avaient pas pris en considération l’ensemble des éléments médicaux versés au dossier, notamment l’expertise psychiatrique concluant à un état anxiodépressif grave consécutif à une problématique de harcèlement moral. Il invoquait également plusieurs attestations décrivant des conditions de travail dégradées. La caisse rétorquait que les deux avis concordants des comités devaient prévaloir et que le salarié n’apportait aucun élément nouveau.

La question posée à la cour était de déterminer si le syndrome dépressif déclaré par le salarié pouvait être reconnu comme maladie professionnelle hors tableau, c’est-à-dire si cette pathologie était essentiellement et directement causée par son travail habituel.

La cour d’appel infirme le jugement. Elle retient que le salarié rapporte la preuve d’un lien direct et essentiel entre le syndrome dépressif et ses conditions de travail. Elle ordonne la prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle.

Cette décision mérite examen tant au regard du régime probatoire applicable aux pathologies psychiques hors tableau (I) que de l’appréciation souveraine des juges du fond face aux avis des comités régionaux (II).

I. Le régime probatoire des pathologies psychiques hors tableau

L’arrêt précise les conditions légales de reconnaissance d’une maladie psychique comme maladie professionnelle (A) avant d’illustrer la nature des éléments probatoires exigés du salarié (B).

A. Les conditions légales de la reconnaissance

La cour rappelle les dispositions de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige. Elle cite notamment que « peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime ». Cette exigence du double lien, à la fois direct et essentiel, constitue le standard probatoire renforcé imposé aux pathologies hors tableau.

Le texte précise également que « les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle, dans les conditions prévues aux quatrième et avant-dernier alinéas du présent article ». Cette mention spécifique aux pathologies psychiques, introduite par la loi du 17 août 2015, traduit la volonté du législateur de ne pas exclure par principe les affections mentales du champ de la réparation des risques professionnels. La reconnaissance demeure cependant subordonnée à la démonstration d’un lien causal qualifié.

La cour souligne par ailleurs que la caisse primaire « reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ». L’avis du comité s’impose à la caisse. Cette architecture procédurale confère au comité un rôle déterminant dans l’instruction des demandes relatives aux maladies hors tableau.

B. La charge et l’objet de la preuve

L’arrêt illustre concrètement les éléments que le salarié doit produire pour satisfaire à la charge probatoire. La cour relève que le demandeur « justifie par la production de certificats médicaux et arrêts de travail », d’un « examen médico-psychologique » et d’une « expertise psychiatrique » souffrir d’un syndrome dépressif depuis 2013. L’expert psychiatre avait précisé que cette pathologie constituait une réaction à un harcèlement au travail et que le salarié « ne présentait jusqu’alors aucun antécédent médical notable ».

Cette absence d’antécédent revêt une importance particulière. Elle permet d’écarter l’hypothèse d’une origine extra-professionnelle de la pathologie et renforce le caractère essentiel du lien avec le travail. Le juge peut ainsi considérer que l’activité professionnelle constitue la cause déterminante de l’affection, non une simple cause concurrente parmi d’autres.

La preuve du lien causal repose également sur la démonstration des conditions de travail pathogènes. Le salarié verse aux débats plusieurs attestations décrivant « une ambiance de travail particulièrement délétère, des vexations quotidiennes à connotation raciste, dans un contexte de surcharge de travail ». Ces témoignages établissent que la cadence imposée avait doublé, passant de quinze à trente véhicules par jour. La cour relève aussi que des témoins attestent de la présence régulière du salarié au garage jusqu’à vingt heures, alors que ses horaires contractuels s’achevaient à dix-huit heures.

II. L’appréciation souveraine des juges du fond

La cour exerce un contrôle effectif sur les avis des comités régionaux (A) et procède à une évaluation contradictoire des éléments de preuve (B).

A. Le dépassement des avis défavorables des comités

Les deux comités régionaux saisis avaient rendu des avis défavorables à la reconnaissance de la maladie professionnelle. La caisse soutenait que ces avis concordants devaient conduire au rejet de la demande. La cour écarte cette argumentation. Elle relève que le premier comité « s’est contenté d’examiner l’avis du médecin conseil, du médecin du travail et de l’employeur » et que « la motivation du second [comité] est particulièrement succincte ».

Cette critique procédurale met en lumière l’insuffisance de l’instruction menée par les comités. La cour observe que le second comité « n’a pas tenu compte des pièces » transmises par le salarié et n’a « même pas fait état » de l’expertise psychiatrique concluant à une problématique de harcèlement moral. Le demandeur n’avait par ailleurs pas eu connaissance du rapport de l’employeur évoqué par le comité.

La juridiction d’appel exerce ainsi pleinement son pouvoir d’appréciation. L’avis du comité, bien qu’il s’impose à la caisse, ne lie pas le juge. Celui-ci conserve la faculté d’apprécier souverainement l’ensemble des éléments du dossier et de s’écarter des conclusions du comité lorsque celles-ci apparaissent insuffisamment motivées ou fondées sur une analyse incomplète des pièces.

B. L’évaluation contradictoire des preuves

La cour procède à une analyse minutieuse des éléments versés par chaque partie. Elle examine les attestations produites par le salarié et les confronte aux pièces de la caisse. Elle relève que le courrier du médecin du travail évoque le suivi du salarié depuis 2002 et l’intervention auprès de l’employeur en 2013, mais n’apporte pas d’éclairage sur la cadence de travail ou l’atmosphère générale au sein de l’atelier.

La cour écarte également l’attestation du gérant d’une société tierce relative à la formation des peintres, considérant qu’elle ne peut être rattachée au salarié et qu’elle est sans lien avec la pathologie déclarée. Elle constate enfin que la fiche de poste produite par la caisse, mentionnant un objectif de quinze véhicules par jour à compter de septembre 2012, ne suffit pas à remettre en cause les trois attestations concordantes versées par le demandeur.

La cour conclut que « M. [Y] [K] rapporte bien la preuve d’un lien direct et essentiel entre le syndrome dépressif déclaré en 2013 et ses conditions de travail ». Cette formulation reprend exactement les termes légaux et traduit la conviction du juge quant au caractère déterminant de l’activité professionnelle dans la survenance de la pathologie. La décision illustre l’office du juge dans le contentieux des maladies professionnelles hors tableau. Face à des avis administratifs défavorables, le contrôle juridictionnel permet de rétablir les droits du salarié lorsque la preuve du lien causal est rapportée par des éléments suffisamment probants.

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Hassan KOHEN
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